Madnight
Les achats au marché avaient été baclés. Des prix exhorbitants, pas de poissons,ni viande ! Et pourtant, il fallait qu'elle rattrappe les forces qu'elle avait perdues... Comment pourrait elle encore se battre qu'en bouffant des miches de pain trempées dans du lait ?
Elle rongeait son frein, faute de mieux, en allant bosser dans la seule mine encore ouverte.
Foutue guerre !
Bref, d'une humeur massacrante, bien que la journée avait l'air assez calme, elle traversa la place où une paix relative régnait.
Elle passa à côté d'un trio assez hétéroclite, une dame et un gamin qui déjeunait, et une grande rouquine qu'elle reconnut aussitot pour être un membre actif du nouveau conseil en place.
Mad n'aimait pas les histoires, elle avait son franc parler, mais avait horreur de se mettre en avant, mais elle était vraiment de mauvaise humeur, et la conversation qu'elle entendit malgré elle, lui fit monter le feu aux joues.
Elle s'avança donc d'un pas décidé, tout autant que ses béquilles le lui permettaient, et participa à la conversation sans autre cérémonie.
Cela vous va bien de parler de légitimité ! êtes vous légitimes vous -mêmes ? Si vous l'étiez, nous ne serions pas si nombreux à essayer de vous foutre dehors et à nous battre ! Malheureusement nous n avons pas la chance, nous, d avoir une élection pour le faire.
Que je sache des élections ont eu lieu pour élire la marquise. Que les participants n aient pas été nombreux cela est un autre problème. Mais le résultat est la. Les absents n'avaient qu'à voter s'ils le voulaient. Personne ne les a empêché de le faire. Au contraire, une annonce a été faite pour inciter aux votes.
Combien a obtenu la liste adverse ? Y a t il eu d'abord une liste cohérente qui se soit présentée contre la marquise ?
Je ne suis pas une fervente admiratrice de la marquise, mais j ai le respect de l'électorat. Et je reconnais sa légitimité par le vote.
Et au lieu de nous faire envahir et massacrer par les ennemis, vous auriez pu intelligemment préparer une campagne électorale pour battre la marquise à la loyale.
Faute d'arguments et peut etre sachant que alliez perdre, vous avez opté pour la force et la félonie ! Bravo ! Vous avez vraiment l'étoffe de héros !
Sur ce je vous souhaite de manger votre pain blanc, si je puis dire.
Car ce n'est pas en nous affamant que vous arriverez à nous faire baisser la tête.
Mad s'emportait. Elle vidait son coeur. Elle s'étonnait elle même de son audace.
Madnight
Bien qu'elle ait vidé son coeur, Mad ne décolérait pas. Ses paumes étaient soudées sur ses béquilles, au point que le sang n'y circulait presque plus.
Elle n'était pas en position de force, ni physiquement ni moralement.
Il est vrai que la colère est mauvaise conseillère.
Aussi, lorsqu'elle entendit "l'ennemie" lui répondre avec douceur et courtoisie, elle se ramollit comme un soufflet sorti trop tot du four.
Euhh, enchantée Dame Istanga, je me présente Mad du village de Forcalquier. Mad savait également être polie quand il le fallait.
Puis-je ? Merci. Elle s'assit sur le banc, reposa ses béquilles à côté d'elle, et frotta ses mains devenues douloureuses l'une contre l'autre.
J'avoue être décontenancée par vos paroles, bien qu'elles n'arrivent point à me convaincre.
Lorsque je suis arrivée en Provence, celle ci était déjà indépendante, et vivait en paix. Apparemment, l'empereur et le roi de France, acceptaient de façon tacite cette indépendance, puisque des accords commerciaux et politiques ont été scellés.
La Provence souveraine était récriée mais tolérée. Et je crois qu'elle l'aurait été encore longtemps sans votre intervention, qui a mis le feu au poudre et ranimé les vieilles haines et ambitions.
Que les titres de la noblesse provençale ne soient pas reconnus au delà de nos frontières, qu'importe, dans la mesure où celle ci n'a d'autre but que de rester provençale ! J'ai été accueillie à bras ouverts par les gens du village et la noblesse en place. Des nobles humains et généreux, qui ont à coeur la sauvegarde de cette paix et le bien être des habitants.
J'ai pu assister à des réunions de conseil de mairie et constater avec quel acharnement et dévouement, ces gens là travaillaient.
La comtesse Hersende est issue de mon village. Je n'ai pas l'honneur de la connaitre personnellement, mais je sais qu'elle est aimée et estimée.
Bien sur le système n'est peut etre pas parfait. Certraines réformes doivent être faites. Pas facile de réformer lorsqu'on a choisi l'autarcie, je vous le concède. Mais jusqu'à présent, chacun et chacune pouvait trouver un emploi, se nourrir, se vetir, voyager, vivre sa vie et flatter gentiment son ego de provençal sans faire de tord à quiconque.
Vous allez me dire que j'ai une vision simpliste ou idyllique du monde?
Oui peut etre avez vous raison. J'ai horreur de la guerre quand de surcroit que la trouve inutile et qu'elle ne sert que les intérets de quelques uns.
Je ne comprends pas l'entrée de Gênes dans le Marquisat. C'est certainement une erreur politique, car de ce fait, cette expansion a pu etre considérée comme une atteinte à l'empire, et donner pas mal de bonnes ou mauvaises raisons à certains pour nous attaquer.
Mais je pense qu'il vous appartenait plus que jamais de regrouper les provençaux, de faire masse et non de les diviser par le sang et la révolte.
Vous n'etes pas d'accord avec la politique du marquisat ? Bien. Est ce une raison pour déclancher une guerre civile, et pactiser avec ceux qui nous haissent ? Nous devons actuellement nous battre contre l'empire, les françois, et nos propres frères!
Il est vrai que nos mairies ont fait un blocage de ravitaillement.
Celà va entrainer votre perte, mais les provençaux vont en souffrir aussi.
Pas d'omelette sans casser les oeufs !
Vous ne gagnerez pas et vous le savez. Les français sont battus à plate couture et rebroussent chemin en emportant leurs blessés et leurs morts.
Vous espérez quoi dans ce retour à l'empire ? Une récompense de l'empereur ? A quel prix chiffrez vous cette récompense ?
Mad soupira. Elle avait parlé sans haine. Juste une grande lassitude.
De toutes façons chacun resterait campé sur ses positions.
Elle était provençale et fière de l'être.
"Les autres" ne voyaient la provence que comme une insignifiante région dans un bout d'empire.
Madnight
Mad écoutait et sourit. En d'autres lieux, d'autres moments, ce trio de jeunes femmes, assises en train de discuter sur un banc de la grand place, aurait pu paraitre banal.
Mais c'était la guerre, et elles n'étaient pas dans un salon de thé en train de parler chiffon.
Mad se redressa, cala ses béquilles sous ses bras. Il était temps de retrouver ses amis et panser les plaies des blessés qui avaient besoin de ses soins.
Mesdames, effectivement nos points de vue sont très divergents.
Seul l'avenir nous dira peut etre qui a tord ou raison.
Vous êtes certainement autant déterminées que je puis l'être.
J'espère simplement que notre prochaine rencontre, se passe de la même façon, et non sur un champ de bataille.
Dans quelques jours, je pourrais jeter ces béquilles handicapantes, et j'aurais regret de me retrouver face à vous une épée à la main.
Qu'Aristote protège les siens !
Elle les salua d'un petit hochement de tête.