Gervaise!!! Elle s'appelait GER-VAISE, par Aristote! Mais cette baronne hautaine et insupportable n'en avait cure, elle était pas foutue de retenir le prénom de cette gueuse un peu plus futée que les autres, un brin plus érudite, qui avait opté pour le travail - bien plus rémunateur que celui de paysanne - de nourrice. Et il avait fallu qu'elle tombe sur une femme qu'elle n'avait jamais aimé. C'est que la Baronne du Dorat traitait avec beaucoup de mépris à peu près tous les serfs et les paysans, sans pour autant les maltraiter, c'est pas ca, mais juste qu'elle était pleine de dédain.
Et surtout vis-a-vis d'elle, la Gervaise... Le chouchou de la baronne, c'était l'vioque qui lui servait d'intendant. Toujours à fouiner partout, à se méfier... y voulait se faire bien voir, sans doute, à surprotéger la petiote et sa mère...
Gervaise, c'était pourtant pas compliqué à retenir... Mais non, c'était comme si qu'elle était transparente, parfois, la nourrice. Mais bon. Elle allait pas trop trop se plaindre, faut dire que finalement, elle avait très peu à s'occuper, vu que la mère couvait la fille comme une louve protège ses p'tits, pi elle l'emmenait partout, par dessus tout! Même au Castel de Limoges, même à cheval! Ca s'prétend noble et ca fait monter sa gosse comme un palefrenier, avant meme de lui avoir appris les bonnes manières! Mais ce qui l'énervait, la Gervaise, c'était les rares fois où Alcyone lui confiait Mara pour de bon, sans personne pour la surveiller. L'était insupportable à lui faire 36 recommandations, à vouloir tout contôler, savoir ousk'elle emmenait la gamine, pour faire quoi et patati et patata. A croire qu'elle avait peur qu'on l'enlève ou qu'il lui arrive quelque chose à tous les coins de rues, à la morveuse! Insupportable... Si elle n'était pas aussi bien payée, probablement qu'elle irait chercher du travail ailleurs, les nobles limousins savaient y faire pour pondre des mioches en veux-tu en voila...
Ca faisait plusieurs jours qu'elle avait reçu pour consigne de ne pas bouger d'un pouce de Sainte Anne. "Restez cloîtrés", qu'elle avait dit, la baronne. Que personne n'entre, que personne de l'extérieur n'entre en contact avec la gosse, que personne d'autre qu'elle ou Benoît ne la touche etc! Ben voyons! encore une excentricité et un caprice de la rouquine! Déjà que que la petite était traitée mieux qu'une princesse de sang royal, alors que bon, fallait dire ce qui était, l'était qu'une bâtarde, la mioche! La Gervaise rigolait d'ailleurs sous cape avec ses copines, parce que finalement, elle s'était faite engrosser comme une fille de peu, alors elle pouvait bien se donner des airs, la baronne, même si l'père avait fini par revenir, elle valait pas mieux qu'elles dans le fond. Brrr... elle frissonna d'ailleurs en songeant au père... Tout aussi invivable que la baronne, voire plus, même, mais dans un autre style... y faisaient la paire, les deux, et la Gervaise s'arrangeait toujours pour éviter soigneusement de le croiser.
Bref! Tout ca pour dire qu'elle en avait ras le pompom, la Gervaise, de rester bloquée à Sainte Anne avec la morveuse qu'était pleine de vie et qui courrait partout à l'en épuiser. Une bonne promenade dans la neige, voila ce qu'il lui fallait pour la calmer et bien la faire dormir au soir! Voila comment qu'on endurcissait les petites princesses! Et précisément... ce jour-là, Benoît, qui les épiait toujours pour aller sans doute faire des rapports à Alcyone comme un bon chienchien, avait relâché son attention... La routine s'était installée, et c'est toujours de ça qu'il faut profiter! Oh, y avait bien une explication à ce fait de vivre en reclus. "La peste", à ce qu'il parraissait. Mouais... mais la peste, tout le monde sait que c'est juste bon pour les pouilleux, pas pour les petites princesses ni pour leur nourrice...
Aussitôt dit, aussitôt fait... Elle habilla Mara chaudement, la petite était bien trop contente à la perspective de sortir, elle se laissa faire sagement, demandant à sa nourrice
- 'va où?
- On va s'promener, 'moizelle!
- 'veux Maman!!
- Heuuu... Nan nan, pas tout à fait, on va pas voir ta mère... on ira la voir... après!
- Papa!
- N... non plus... pas maintenant, Mara...
- Nan! Veux mé'nant!
La Gervaise savait bien que la petite, une fois qu'elle avait une idée dans la tête, elle l'avait pas ailleurs... et elle risquait d'attirer l'attention... Autrement dit, fallait lui proposer quelque chose qui la détournerait de son idée... La nourrice réfléchit à toute allure... L'idée lumineuse jaillit presque malgré elle...
- Bess! On va voir ta marraine, Bess Saincte-Merveille! On va aller jusqu'à Saint-Angel, pi on verra tes p'tits copains, tu sais, Bastian et Alessandro!
Voila qui eût l'effet escompté! La petite adorait sa marraine, et ses garçons, mêmes s'ils étaient plus grands qu'elle, constituaient des camarades de jeu bien plus intéressants que n'importe qui à Sainte Anne. Et voilà! La petite fut habillée, la vigilence de Benoît contournée et la nourrice emmena la petite chez sa marraine.
Lourd ne s'attendait pas à de la visite, faut dire. Et l'ex cap était meme pas la... mais bon... La Gervaise, du moment qu'elle pouvait papoter un peu, apprendre les ragots avec les servantes de Saint Angel, en propager de nouveaux, elle était contente. Et la gamine? Bah, elle jetait de temps en temps un coup d'oeil. Elle jouait avec Bastian et Alessandro... D'abord dans un des salons. Ils jouaient sagement, à cache-cache, à se courir après, la petite imitant ses aînés, les deux garçons lui apprenant parfois l'un ou l'autre gros mot à voix basse, pour pas que les grands entendent. Y avait bien le Bastian qu'avait un peu moins d'entrain que son frère, l'était un peu fiévreux, on aurait dit, mais quoi de plus normal avec le temps qu'y faisait... Les gamins avaient même voulu sortir jouer dehors, entraînant la petite pour profiter de la neige... puis... aller caresser les animaux de Saint Angel, les chevaux, les chiens, les chats... Tout ce que peuvent faire le plus innocement du monde trois gamins dans une grande cour et un vaste jardin un peu enneigés...
Et pendant ce temps, la Gervaise surveillait d'un oeil et buvait un coup avec ses copines en bavassant de tout et de rien... Sans se douter de ce qu'elle avait déclenché là...