La Balafre
Cataclop. Cataclop. Cataclop.
L'équipée avance au trot, remontant du Nord au Sud, vers le village de Couesmes et la Forteresse qui se profile derrière celui-ci, majestueuse et dominante, aussi inattendue dans ce paysage d'apparence tranquille qu'inaccessible, posée qu'elle est par dessus un ravin vertigineux, dessus un roc inébranlable.
Inébranlable, comme la Noblesse des familles angevines, comme la Noblesse de sa lignée et des gens de sa race. C'est le sentiment qu'inspire sa place forte à Tithieu, le Balafré.
Un sourire vient déformer les traits tortueux du visage aliéné du Vicomte, qui avance au petit trot devers son village et devers sa Forteresse qui le surplombe, à ceste pensée. Un bien-estre malsain, sensation étrange, l'envahit alors qu'il contemple les hauts remparts de son Castel. Plénitude seigneurale, matérialisme stigmate de son temps de décadence indécente.
La toute-puissance de ce Castel de paille suffit à flatter son égo, et à faire son bien-estre. Ivresse illusoire, aussi éphémère que les pierres qui finissent, indubitablement, par s'effondrer. Ivresse illusoire, pareille à celle d'un vieux libertin qui, pour son plaisir, n'a plus qu'à contempler les jeux de l'amour sans plus pouvoir y prendre part.
Mort le jeune Duc qui voulait conquérir le monde. Le Vicomte se contente de se savoir craint et haï par ses contemporains et ses ennemis les plus proches, cela suffit à son sommeil. Celuy-ci, d'ailleurs, n'est plus peuplé de rêves de grandeur, juste de cauchemars de déchéance.
Cataclop. Cataclop. Cataclop.
"La chasse fut bonne, Monseigneur ?"
Point ne compte la chasse, mon brave. Ta récolte est importante, ma chasse est accessoire.
Mots échangés à la volée avec l'un de ses gens de ferme qui travaillent la terre et récoltent le blé pour emplir ses greniers, alors que la petite équipée qui accompagne le Balafré au retour de la chasse traverse le village. L'autre semble surpris. Pour une fois, le Vicomte n'est ni d'humeur méchante, ni d'humeur bravache. Il ne faict que passer, drapé en hault de son cheval dans un lourd manteau et dans sa neuve bienveillance pour ceste terre qui luy a tant manqué. La bonté luy sied fort bien au teint.
Cataclop. Cataclop. Cataclop.
Les chiens devant, en meute d'une dizaine d'épagneuls racés et repus de course et de viande fraiche, renversent sur leur passage quelques étales. La meute désorganisée et prise de frénésie écarte devant les cavaliers fourbus un large passage : les chiens du Vicomte ont toujours esté craints par les gens du Seigneur. Pourtant, ni eux ni leur maistre ne se nourrissent d'hommes ou d'enfants. Juste de femmes, parfois, pour le Balafré. Mais au jeu du "je te chasse, je te mange", s'il est souvent vainqueur, il est aussi trop souvent victime. Victime de sa propre gourmandise, et mesme parfois de son amour immodéré pour les femmes, et pour l'Amour en général : à trop vouloir estre aimer, on finit soi-mesme par tomber en amour de plusieurs proies, d'un amour passionnel, de ceux qui dévorent les vicères sans permettre de salut.
Et comme tout bon chasseur le sait, courrir deux biches est une course vaine : bien souvent, le friand chasseur revint seul de ses expéditions libertines, terrant sa solitude en son krak imprenable.
Les pierres pour seules compagnes loyales, constantes. Il pourra faire toutes les infidélités du monde à sa Forteresse, jamais ses puissants remparts ne l'abandonneront... Est-ce cela, son matérialisme ? La résultante d'un dépit amoureux, comme un jeune fils de Baron revêt la Robe après avoir esté éconduit ?
Cataclop. Cataclop. Cataclop.
Au sortir du village, la petite troupe menée par le Vicomte Penthièvrique bifurque à dextre, empruntant le sentier en pente raide qui mène à l'entrée du Castel, fasce au Sud et à la route de Chasteau-en-Anjou.
Dépasser le moulin et le meunier qui y travaille à son entretien. Longer la vigne, en friche hivernale, toute à son exposition Nord-Ouest. Puis le rempart de bois, premier barrage pour qui voudrait s'emparer de "Couesmes".
Et enfin, la Poterne, et ses factionnaires endoloris par le froid de l'hiver aussi rude qu'un corps à corps en plaine.
La herse relevée laisse filtrer sans mal la caravane au retour de chasse. Et le bruit des sabots martelant le planché du pont-levi qui sépare la prime Poterne à la Grande Poterne succède à celuy de la neige craquant dessous le trot des destriers et palefrois qui ont pris part à l'expédition du Seigneur de la Forteresse.
Le gibier aux cuisines, il y aura du broquart et du sanglier à ma table ce soir !
Les hommes du Balafré ont pénétré en la basse-cour, où il règne une fébrile agitation, les tâches quotidiennes étant rendues plus ardues et pénibles encore qu'à l'accoutumée par le froid d'un hiver qui n'en finit pas d'empirer.
Jehan, va quérir la Comtesse. Dis luy que son hoste dresse festin en son honneur, et que je ne tolérerais guère que ce poison déserte ma compagnie ce soir.
Le page exécute les ordres, sur un sourire connivent, et le cortège se scinde en deux. Le Grand Veneur, ou ce qui en fait office, emmène la meute dans son sillage, direction le chesnil.
Le Penthièvre, quant à luy, s'engage dans la rampe qui mène à la cour elle aussi dangereusement enneigée en ceste fin décembre, flanqué de deux acolytes.
Le dernier pont-levi - la cour et son calme relatif.
L'angevin tire sur les rênes de sa beste fûmante et écumante, immobilisant le destrier fourbu au milieu de la cour, et alors qu'il flatte le flanc de l'animal d'une tape bienveillante et affectueuse, un palefrenier se précipite à sa rencontre, pressé sûrement d'en finir avec Penneg et de pouvoir retourner au confort de son dortoir, ou de la grange qui en faict office.
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L'équipée avance au trot, remontant du Nord au Sud, vers le village de Couesmes et la Forteresse qui se profile derrière celui-ci, majestueuse et dominante, aussi inattendue dans ce paysage d'apparence tranquille qu'inaccessible, posée qu'elle est par dessus un ravin vertigineux, dessus un roc inébranlable.
Inébranlable, comme la Noblesse des familles angevines, comme la Noblesse de sa lignée et des gens de sa race. C'est le sentiment qu'inspire sa place forte à Tithieu, le Balafré.
Un sourire vient déformer les traits tortueux du visage aliéné du Vicomte, qui avance au petit trot devers son village et devers sa Forteresse qui le surplombe, à ceste pensée. Un bien-estre malsain, sensation étrange, l'envahit alors qu'il contemple les hauts remparts de son Castel. Plénitude seigneurale, matérialisme stigmate de son temps de décadence indécente.
La toute-puissance de ce Castel de paille suffit à flatter son égo, et à faire son bien-estre. Ivresse illusoire, aussi éphémère que les pierres qui finissent, indubitablement, par s'effondrer. Ivresse illusoire, pareille à celle d'un vieux libertin qui, pour son plaisir, n'a plus qu'à contempler les jeux de l'amour sans plus pouvoir y prendre part.
Mort le jeune Duc qui voulait conquérir le monde. Le Vicomte se contente de se savoir craint et haï par ses contemporains et ses ennemis les plus proches, cela suffit à son sommeil. Celuy-ci, d'ailleurs, n'est plus peuplé de rêves de grandeur, juste de cauchemars de déchéance.
Cataclop. Cataclop. Cataclop.
"La chasse fut bonne, Monseigneur ?"
Point ne compte la chasse, mon brave. Ta récolte est importante, ma chasse est accessoire.
Mots échangés à la volée avec l'un de ses gens de ferme qui travaillent la terre et récoltent le blé pour emplir ses greniers, alors que la petite équipée qui accompagne le Balafré au retour de la chasse traverse le village. L'autre semble surpris. Pour une fois, le Vicomte n'est ni d'humeur méchante, ni d'humeur bravache. Il ne faict que passer, drapé en hault de son cheval dans un lourd manteau et dans sa neuve bienveillance pour ceste terre qui luy a tant manqué. La bonté luy sied fort bien au teint.
Cataclop. Cataclop. Cataclop.
Les chiens devant, en meute d'une dizaine d'épagneuls racés et repus de course et de viande fraiche, renversent sur leur passage quelques étales. La meute désorganisée et prise de frénésie écarte devant les cavaliers fourbus un large passage : les chiens du Vicomte ont toujours esté craints par les gens du Seigneur. Pourtant, ni eux ni leur maistre ne se nourrissent d'hommes ou d'enfants. Juste de femmes, parfois, pour le Balafré. Mais au jeu du "je te chasse, je te mange", s'il est souvent vainqueur, il est aussi trop souvent victime. Victime de sa propre gourmandise, et mesme parfois de son amour immodéré pour les femmes, et pour l'Amour en général : à trop vouloir estre aimer, on finit soi-mesme par tomber en amour de plusieurs proies, d'un amour passionnel, de ceux qui dévorent les vicères sans permettre de salut.
Et comme tout bon chasseur le sait, courrir deux biches est une course vaine : bien souvent, le friand chasseur revint seul de ses expéditions libertines, terrant sa solitude en son krak imprenable.
Les pierres pour seules compagnes loyales, constantes. Il pourra faire toutes les infidélités du monde à sa Forteresse, jamais ses puissants remparts ne l'abandonneront... Est-ce cela, son matérialisme ? La résultante d'un dépit amoureux, comme un jeune fils de Baron revêt la Robe après avoir esté éconduit ?
Cataclop. Cataclop. Cataclop.
Au sortir du village, la petite troupe menée par le Vicomte Penthièvrique bifurque à dextre, empruntant le sentier en pente raide qui mène à l'entrée du Castel, fasce au Sud et à la route de Chasteau-en-Anjou.
Dépasser le moulin et le meunier qui y travaille à son entretien. Longer la vigne, en friche hivernale, toute à son exposition Nord-Ouest. Puis le rempart de bois, premier barrage pour qui voudrait s'emparer de "Couesmes".
Et enfin, la Poterne, et ses factionnaires endoloris par le froid de l'hiver aussi rude qu'un corps à corps en plaine.
La herse relevée laisse filtrer sans mal la caravane au retour de chasse. Et le bruit des sabots martelant le planché du pont-levi qui sépare la prime Poterne à la Grande Poterne succède à celuy de la neige craquant dessous le trot des destriers et palefrois qui ont pris part à l'expédition du Seigneur de la Forteresse.
Le gibier aux cuisines, il y aura du broquart et du sanglier à ma table ce soir !
Les hommes du Balafré ont pénétré en la basse-cour, où il règne une fébrile agitation, les tâches quotidiennes étant rendues plus ardues et pénibles encore qu'à l'accoutumée par le froid d'un hiver qui n'en finit pas d'empirer.
Jehan, va quérir la Comtesse. Dis luy que son hoste dresse festin en son honneur, et que je ne tolérerais guère que ce poison déserte ma compagnie ce soir.
Le page exécute les ordres, sur un sourire connivent, et le cortège se scinde en deux. Le Grand Veneur, ou ce qui en fait office, emmène la meute dans son sillage, direction le chesnil.
Le Penthièvre, quant à luy, s'engage dans la rampe qui mène à la cour elle aussi dangereusement enneigée en ceste fin décembre, flanqué de deux acolytes.
Le dernier pont-levi - la cour et son calme relatif.
L'angevin tire sur les rênes de sa beste fûmante et écumante, immobilisant le destrier fourbu au milieu de la cour, et alors qu'il flatte le flanc de l'animal d'une tape bienveillante et affectueuse, un palefrenier se précipite à sa rencontre, pressé sûrement d'en finir avec Penneg et de pouvoir retourner au confort de son dortoir, ou de la grange qui en faict office.
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