Kernos
La scène se passe plusieurs jours après les évènements du RP "Le songe du chêne" toujours en cours mais qui se passe en une seule journée. La lettre étant scellée et adressée qu'à une seule personne, seuls le destinateur et le destinataire, ainsi que les éventuelles personnes auxquelles l'un ou l'autre décideront de leur montrer. Merci de respecter cela.
[Demeure des Rouvray, à Die]
De retour en sa demeure dioise depuis quelques jours pour règler quelques affaires, Kernos avait rompu son exil glandageois, une fois ses amis repartis et les modalités de son testament achevées. Assis devant le bureau occupant son cabinet privé, une bouteille de vin entamée trônant aux côtés d'un parchemin encore vierge, le Seigneur de Glandage, plume en main, réfléchissait... réfléchir, voilà bien une activité à laquelle il s'était fort bien adonné depuis des mois, trop d'ailleurs, il y avait passé des jours entiers et même des nuits entières à réfléchir... à quoi? Si quelqu'un lui avait posé la question, il aurait répondu à la vie, à la mort, au destin, au malheur qui vous frappe sans crier gare alors que l'existence s'apprêtait à vous combler de bienfaits. Et si on lui demandait qu'est-ce que cela lui avait apporté? Kernos n'aurait su y répondre... Que lui avaient apporté ces pensées qu'il ressassait sans cesse et sans répit? Du chagrin, de la souffrance, de la colère, l'acédie... rien si ce n'est l'isolement et la peine dont il s'était entouré, telle la plus haute des murailles... rien si ce n'est le vide absolu de sa douleur.
Il se tenait là, le visage penché sur le vélin, jouant négligemment avec sa plume pendant que ses pensées prenaient forme petit à petit, prête à devenir des mots qu'il pourrait coucher afin d'exprimer son humeur du moment... enfin l'humeur qui était sienne depuis qu'à Lyon, il avait perdu son enfant et avait été rejetté par son épouse. Depuis lors, le Conseiller Militaire était en proie au tourment de son âme brisée, recroquevillé sur lui-même et aveugle à tout ce qui l'entourait. Sa main s'abessa, et la pointe de sa plume alla perturber le liquide épais et sombre qui reposait dans l'encrier, avant de se poser sur le parchemin où elle commença à tracer quelques caractères.
Lépreux, mendiants sont plus chanceux,
Manants, orphelins plus heureux,
Bêtes, brigands plus humains que moi
De puis que je suis loin de toi.
Ô vent, va t-en dire à ma belle
Que je me meurs d'amour sans elle
Kernos reposa sa plume et se saisit du verre de vin posé à côté de lui. Son regard brun sombre se posa un instant sur le liquide dont la robe cerise lui rappelait celle des lèvres d'Axel... Axel, un nom qui lui apportait joie immense et souffrance sans nom... La tristesse commençait à le reprendre, comme à chaque fois qu'il pensait à son amour, dont l'absence était comme une épée enfoncée dans ses entrailles que l'on tournait à chaque fois que son visage lui apparaissait en esprit. Il allait porter le verre à ses lèvres pour essayer de la repousser loin de lui par l'ivresse, quand son propre reflet lui apparu dans le vin. Un reflet trouble, sombre, comme l'homme qu'il était devenu depuis plusieurs semaines. Il vit son regard terni, ses joues creusées, ses paumettes saillantes et les rides qui se formaient à la jointure de ses sourcils, le début de barbe qui encadrait son visage et sa chevelure lui arrivant désormais aux épaules... Bon sang! Il n'en revenait pas. Etait-ce bien lui, ce reflet misérable, cet homme défait? Il n'était plus que l'ombre de lui-même, un semi-homme, loin de tout ce qu'il avait pu être, aussi bien physiquement que moralement.
Un bruit de verre éclatant résonna dans la demeure, suivi de près par la course précipitée des domestiques accourant vers le cabinet de leur maitre.
Sire? Est-ce que tout va bien?
Oui, tout va pour le mieux, allez me chercher un messager au plus vite, et préparez moi un bain, ainsi que de quoi me tailler la barbe et les cheveux.
Debout devant son bureau, Kernos regarda quelques secondes le verre et la bouteille qu'il venait de fracasser contre le mur de son cabinet, et dont le contenu se répendait sur le plancher, avant de retourner à son écriture sur un parchemin neuf.
A ma tendre et chère épouse,
Axel, je t'écris ces mots depuis notre demeure dioise qui me semble bien vide et vroide sans ta présence. Depuis Lyon, je n'ai de cesse de me tourmenter, ma vie s'est envolée depuis ce jour, laissant place qu'à un amer néant où la peine et le désespoir sont mes seuls compagnons. La perte de notre fils, la manière dont tu m'as repoussé et ton départ précipité à Briançon ont été un déchirement pour mon être. Depuis lors, je me suis enfermé dans la solitude et le chagrin, soumis au joug de la souffrance... Comment ai-je pu être si aveugle et aussi sôt? Au lieu de me battre, j'ai fui dans le vin et l'isolement, alors que j'aurai dû être fort et faire front pour te soutenir mais, j'ai failli... failli à l'amour que je te porte, failli à mes devoirs d'époux, et je t'ai abandonné à ta douleur, à ta peine... comme un misérable lâche, trop aveuglé par son propre malheur pour sauver la personne lui étant la plus chère en ce monde.
Je ne suis que trop conscient que ce que j'ai fait est méprisable, qu'à tes yeux je dois être le plus détestable des hommes et le plus horrible des époux... Je ne le renirai pas, je ne mérite que ton dégôut et ton mépris. Mais, malgré la honte que j'éprouve et le tord que je t'ai causé, je ne peux me passer de toi... voilà pourquoi j'ai décidé de surmonter l'avertion que je m'inspire pour t'adresser cette lettre, parce que je ne supporte plus d'être séparé de toi et de nos enfants. Je n'ai que trop souffert de votre absence, lorsque ta santé t'obligea à gagner Sainte-Catherine, et je ne veux plus revivre ça après avoir attendu si longtemps pour vous retrouver.
Je t'en prie mon amour, je renoncerai à tout ce que je possède juste pour un mot d'amour de toi. Je suis prêt à faire la route jusqu'à Briançon vêtu de haillons et à pied comme un mendiant, courbé comme le plus humble des pénitents en chaque ville que je traverserai, pour me prosterner à tes pieds et implorer ton pardon. Peu m'importe mes charges, mes biens ou mon titre, peu me chaut l'honneur ou ma réputation, j'y renoncerai sans hésiter si cela pouvait me faire pardonner à tes yeux et me rendre ton amour. Demande moi n'importe quoi, je l'accomplirai pour faire pardonner mes fautes, même si je dois pour cela m'humilier, car je ne suis qu'une ombre sans toi. Tu es mon âme, ma force et ma vie, ma raison d'être. Laisse moi redevenir ton soutien, ton amant et ton époux comme autrefois.
Mon coeur et mon âme sont tiennes à jamais, à l'heure d'aujourd'hui et jusqu'au moment de ma mort, et même au delà.
Mea robur es, absque te amore, non spiro*
Faict à Die, le 1er jour du mois de février de l'an MCCCCLVIII
Sa lettre achevée, il la cacheta et la confia au coursier qu'on lui avait amené. L'homme reçu une bourse pleine et une seule directive.
File à Briançon sur le champ, sans halte ni repos inutiles, là-bas trouve la Dame Axel Rouvray, Dame de Roynac et de Glandage, et remets-lui cette lettre en main propre, et rien qu'à elle seule. Si tu ne la trouves pas par tes propres moyens, demande au Duc Hardryan Devirieu de t'aider, il est le bourgmestre de Briançon et l'un de nos meilleurs amis, il saura où elle loge. Va maintenant!
Le messager parti, Kernos resta debout dans la pièce, seul... Ce qu'il venait de faire était sans doute pure folie, tentative vaine et sans espoir d'un coeur malade mais, il l'avait fait. Fini de réfléchir, fini de se tourmenter, l'heure de l'action avait sonné et il était temps pour lui de se préparer.
Alea jacta est...Se prit-il à murmurer avant de prendre la direction des étuves pour retrouver un semblant de dignité humaine.
*"Tu es ma force, sans ton amour, je ne respire pas"
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