Aelith
Si la réaction d'Aldaric aux propos de la nouvelle venue ne manqua pas d'étonner Aelith, ce furent surtout les paroles de cette dernière qui laissèrent un instant la jolie rousse muette. Elle dévisagea la voleuse qui ne volait pas, s'arrêtant longuement sur ses yeux brillants. Puis, d'un geste presque las, elle indiqua un siège, l'invitant à prendre place avec eux, tout comme Aldaric l'avait fait. Il semblait s'être replongé dans ses sombres pensées comme on plonge à jamais dans un noir océan. Pianotant des doigts sur la table, Aelith reporta son attention sur la jeune femme, laissant l'Eälven à ses réflexions. Il en avait besoin...
Bien, articula-t-elle d'une voix qui, si elle n'était en aucun cas sèche, n'en était pas moins ferme. Vous parlez comme quelqu'un qui a de l'éducation. Et ce n'est pas dans les tavernes que l'on apprend à utiliser le verbe... Alors d'où venez-vous?
Regard inquisiteur. Aelith n'avait jamais beaucoup apprécié que l'on trouble sa tranquillité, et lorsque d'aventure quelqu'un s'y osait, il était évident que c'était pour une bonne raison. Comme attirer l'attention... N'était-ce pas exactement ce que la jeune femme venait de faire? N'en avait-elle pas eu précisément assez d'être cette "miette"?
Oh, et veuillez laisser ma canne en paix, je vous prie. Je risque d'en avoir besoin quelques temps encore.
Pure provocation, évidemment... Mais il ne fallait guère s'attendre à autre chose de la part d'Aelith.
Aelith
Ses doigts suivaient les veines du bois de la table avec application. C'était un mauvais tic, une sombre manie qu'elle avait: il lui fallait se concentrer sur quelques chose de manuel, toujours, lorsqu'on lui parlait. Et plus ses doigts redessinaient les variations du bois, plus elle ressentait le besoin impérieux d'empoigner les rênes de Tacite pour s'évader un peu plus loin.
C'est l'arrivée inattendue du pigeon qui stoppa Aelith dans son art complexe. Devant les mains d'Aldaric qui se tendaient vers le volatile portant missive, elle eut un pincement au cur. Elle avait pris coutume de croire au proverbe disant "Pas de nouvelles, bonne nouvelles" tout au long des années qu'elle avait passé à Paris et durant lesquelles sont père était resté désespérément silencieux, tellement même qu'il n'avait jamais saisi la moindre plume pour écrire à sa fille. Mais bien vite, le doute laissa place à un fin sourire devant le visage chargé d'émotion du brun: l'espoir renaîtrait-il?
Attrapant la lettre du bout des doigts, elle commença une lecture attentive des mots de Rodrielle. La mère semblait être en quête du pardon de son fils, que celui-ci aurait sans doute tout fait pour accorder. L'empressement qu'il avait à lui répondre témoignait de cet état de fait. Minutieuse comme elle était, Aelith ne put cependant s'empêcher de relever ces mots: "la perte d'Azurine"... Ainsi, ces deux êtres aussi avaient connus les douleurs de la mort d'un être cher? La jeune femme se rendit soudainement compte qu'elle lisait la lettre d'une mère adressée à son fils, mère qu'il n'avait cessé de chercher et fils qu'elle connaissait si peu... Le rouge lui monta aux joues alors qu'elle rendait le vélin à Aldaric, légèrement gênée.
J'ai toujours raison, Aldaric! Si vous saviez comme cela est fatiguant parfois...
L'humour était on ne peut plus perceptible dans les propos de la jeune femme que ses yeux rieurs accompagnaient si bien.
J'espère que vos retrouvailles seront à la hauteur de celles que vous avez sans doute maintes fois rêvées. Quant à moi...
Se penchant légèrement, elle attrapa sa canne et après avoir trempé une dernière fois ses lèvres rouges dans le verre de vin, elle salua d'une brève courbette le jeune homme et la jeune femme qui les avait rejoints.
Quant à moi, je pars tôt demain, et il me reste quelques derniers détails à régler, et une nuit complète de sommeil à passer. Je vais donc m'éclipser, jusqu'à la prochaine fois. Ce fut... un réel plaisir de vous rencontrer, finit-elle, adressant un sourire à ses deux compagnons d'un soir, et laissant ses yeux se poser une dernière fois dans ceux d'Aldaric.
Que le Très-Haut vous ait en Sa sainte garde, souffla-t-elle avant de tourner les talons. A quelques maisons de là, Stephan devait sans doute l'attendre, et ne manquerait pas de la maudire sur une bonne dizaine de générations lorsqu'il apprendrait qu'elle avait passé la soirée en taverne. Être le cousin d'une jeune femme capricieuse et un brin moqueuse n'est jamais facile... sauf lorsque l'on est soi-même du même acabit, et le jeune homme avait un don pour les sarcasmes. Il ne manquerait d'ailleurs pas de taquiner longuement Aelith sur ses compagnons de soirée...
Aelith
La jeune femme avait resserré sa capeline autour de ses épaules, luttant difficilement contre le froid. Sa canne frappait régulièrement les pavés, cadençant le rythme de ses pas. Elle avait une petite mélodie dans la tête, une vieille chanson de pirate qu'elle s'amusait à chanter avec son cousin lorsqu'elle était enfant. Pourquoi lui était-elle venue? Encore une de ces questions qui resterait sans réponse: un bruit derrière elle la détourna subitement de ses pensées. Par réflexe, elle se pencha légèrement, sa main se glissant jusqu'à ses bottes où résidait toujours une courte dague offerte par son cousin. Mais elle stoppa son geste bien avant d'atteindre son mollet... Elle avait reconnu cette voix qu'elle avait pourtant si peu entendue. Cette voix qu'elle avait cru ne plus jamais entendre... Un sourire aux lèvres, elle se retourna au moment même où, essoufflé, le grand brun s'arrêtait devant elle.
Aldaric! Vous m'avez fait peur...
Les quelques mots qu'il laissa échapper suffirent cependant à la rassurer définitivement. Non pas parce qu'un homme se proposait de veiller sur elle quelques instants encore, mais parce que cet homme avait l'intention de la raccompagner jusqu'à l'auberge proche. Prenant son bras et commençant à marcher, elle répondit sans la moindre hésitation:
Merci, ce serait un plaisir. L'auberge où je suis descendue n'est pas loin, mais nous aurons quelques instants pour discuter plus calmement.
A vrai dire, la jeune femme ne savait guère quoi dire au jeune homme, et sa proximité immédiate n'arrangeait pas les choses. Elle entendait presque la voix de Stephen battre à ses oreilles: "Eh bien, cousine, je t'ai connue moins timide!" Grrr... Elle aurait pu lui décocher un savant coup de pied dans le tibia si elle l'avait eu devant lui.
Vous devez avoir hâte de la retrouver, votre mère. Hâte de la serrer dans vos bras... J'aurais aimé voir vos retrouvailles.
Aelith laissa échapper un petit rire, jetant un il à Aldaric pour qui cet aveu devait sembler étrange.
Excusez-moi, je suis très curieuse de nature, peut-être même trop! Mais ma mère n'a pas prononcé un mot depuis la mort de mon père, elle n'a pas sourit non plus, alors j'aurais aimé voir une mère et son fils heureux de se retrouver. Hum, je vais vous faire regretter de m'avoir proposé de ma raccompagner avec mon histoire larmoyante..!
Missedith
Une femme vêtue d'un long manteau et dont une large capuche masquait en partie le visage, était assise au bout de la table d'hôtes. En voyant entrer Adalric, elle avait tressailli et depuis elle ne cessait de l'observer avec attention.
Malgré son abattement, Adalric finit par s'en apercevoir, il en fut agacé et fixa à son tour ostensiblement l'importune. La femme eut alors un geste d'excuse et se rapprocha de lui en se laissant glisser sur le banc. Elle prit la parole d'une voix à la fois douce et rauque :
_ Pardonnez-moi jeune étranger, mais votre visage m'en évoque un autre que j'ai autrefois tendrement chéri ...