Franckshinatra
La maudite bête à qui il manquait les cornes pour la montrer comme bête du Sans Nom avait fuit encore ! Le maigre blond, lancé à sa poursuite, n'avait que suivi ses traces dans un sol pourri d'humidité. La neige avait laissé à la boue une place de roi. Et chaque foulée crachait un limon collant vers le bas côté.
Par le saint établissement, si je te retrouve avant la tombée de la nuit, je fais de toi le plus beau des manteaux !
Il n'en était rien, mais l'éthéré religieux se donnait une importance ridicule en jurant ainsi. Il ne le faisait jamais en public, et la pauvre brebis en faisait ses choux gras ! Tout en cherchant, le nez aussi près du sol que celui d'un cerf qui renifle la piste odorante d'une biche, il se raidit et se redressa d'un trait... Mais... Que faisait-elle là, elle ?
Hmm... HMMMM !!!!
Oui, entrée en matière un peu téléphonée - enfin... il voulait dire, évidente ! - mais la surprise était de taille. Le "ex" maire, là sous ses yeux... Souillée, et l'air désemparé...
Ma fille ? Avez vous donc un besoin d'aide ?
Le regard bienfaisant du blond, et une main aussi fine qu'elle était sincère se leva vers cette femme, d'ordinaire si vivante. une invitation, sans doute...
Franckshinatra
Ce fut donc naturellement qu'il plia le genou, et se retrouva à la hauteur de la jeune femme. Qu'importe l'endroit, qu'importe la saleté ambiante. Seul comptait ce regard désemparé. La voix douce du religieux faisait au mieux pour emplir à nouveau ce corps qui se creusait pour rien.
Ma fille... Que parlez vous de pardon ? Avez vous donc égorgé une fillette sous les yeux de sa mère ? Avez vous foulé au pied l'honneur restant d'un mendiant qui tendait la main ? Allons, cessez de vous moquez de moi !
Il avait bien entendu, mais malgré ce que certains pensait de lui, il savait à qui il s'adressait. Et ses sourires aussi, et une lumière douce et chaude sortit de sa bouche... Non, en fait, juste un peu de considération, mais après tout, les légendes naissaient grâce à la transcription, non ?
Fille d'Adam, je t'en conjure ! Rester dans la boue n'arrangera pas tes souffrances. Te relever, en revanche, sera bien plus bénéfique, même si tu n'en vois pas la raison. Alors, si tu as un peu de respect pour moi, sinon pour ton Église, prend cette main, et suis moi. Soyons, toi et moi, une sorte de doublon vital. La sacristie est un lieu qui ne souffre aucun regard, et personne ne saurait juger ce qui s'y passe !
Tes remords, tes craintes, tes espoirs même, seront à l'abri là bas, et j'en serai le gardien féroce !
Et de la lever sans qu'elle en puisse renoncer !
Gadzelle
[Un soir, tard, l'un des bureaux de la brune, peu importe lequel]
Renversée dans son siège, les yeux mi clos, elle suivait des yeux la lumière projetée sur le plafond par l'unique bougie de la pièce. L'esprit bien éveillé, elle souffrait encore d'une crise d'insomnie, bien que son corps soit plus que jamais fatigué. Le Maure l'aidait comme il pouvait, mais ses drogues n'avait pas un effet éternel et le mal revenait, insidieusement. Souvent elle pensait à Franck qui l'avait tant aidé, reléguant pour un temps le mal de son esprit dans les limbes. Elle avait occupé ses journées dans la joie d'élever l'enfant dont elle avait la charge... Cette enfant qui lui rappelait tant sa mère. Le visage de celle ci et les yeux de son père, une douleur de la regarder, mais elle était si belle dès son jeune âge!
A la douleur morale s'était substituée la douleur physique, toute aussi dure à supporter. Elle en avait perdu l'appétit et le sommeil. Le cachant à tous, seul le maure était autorisé à la voir certains soirs, il lui apportait un remède de sa composition. Fumer, inspirer, boire ou manger, qu'importe tant que ça la faisait dormir.
Mais aujourd'hui... aujourd'hui elle avait eu un coup de fatigue en public. Et cela ne devait pas lui arriver, plus jamais. Certaines mesures s'imposaient, elle se sentait prête. Ou plutôt, un peu plus courageuse que la veille et craignait que sa décision ne retombe comme un soufflet. Devant elle, plusieurs courriers n'attendaient plus que la cire pour les cacheter. Le dernier lui avait donné plus de mal que tous les autres réunis, elle hésitait encore à le changer. Elle l'avait lu tant de fois que les mots étaient gravés dans sa mémoire et dansaient devant ses yeux sur le mouvant fauve des murs sous la lumière de la chandelle.
Citation:
A vous,
Combien de fois me suis-je assise à ce bureau, la plume dans la main, l'encre non loin, les mots tout prêts à noircir les feuillets de parchemin... Mais jamais je ne vous ai fait parvenir tout ce que j'ai pu écrire. Je le regrette à présent, peut être que leur lecture vous aurait amené plus souvent auprès de moi.
Ces derniers temps plus que jamais j'ai eu l'occasion de réfléchir à ce que nous avons pu vivre tous les deux, à tous ces moments partagés ensembles dans les rires comme dans les larmes, si rares furent elles. Seulement, nous le savions dès le premier jour, un gouffre nous sépare. Mon éducation ne fut pas rustre, loin de là et j'en remercie ma famille, mais nous avons chacun de nous évolué dans des mondes si distants que leurs différences ne purent que nous éloigner petit à petit. Je vous sais préoccupé par vos charges, et c'est tout à votre honneur, mais vous êtes appelé à occuper de hautes fonctions, nous savons tous les deux que vous le souhaitez et y arriverez. Ma présence à vos côtés fut de plus en plus épisodique et vous n'avez pas cherché à y remédier. Du moins pas assez à mon goût...
Je ne suis pas du rang de celle qui sera amenée à vous soutenir sans faille dans tous vos projets et me sais trop égoïste pour souffrir rester dans votre ombre éternellement, et pas assez établie pour paraître votre égale. Soyez assuré que la décision qui suit est la mienne, et que rien ou presque de ce que vous avez fait ne m'y a contraint. Ne vous blâmez pas, mais maudissez mon égoïsme, mon état de roture, mes faiblesses.
Je m'en vais quelques temps, appelez cela retraite, fuite ou besoin de me retrouver, à votre guise, mais je m'éloigne des mondanités, du monde politique ou simplement publique pour les prochains jours.
Je vous délie de toutes vos promesses, serments, et vous rends votre liberté que vous n'auriez jamais dû sacrifier. Oublions ces mots, nous savons qu'ils furent prononcés sur un coup de folie comme seule l'ivresse peut provoquer.
Le souvenir de ces derniers mois est l'un de mes biens les plus précieux, sachez que je ne l'oublierai
Jamais, Toujours...
A aucun moment elle ne s'était autorisée à écrire ce qu'elle ressentait, la décision de partir était déjà assez difficile comme ça, elle ne voulait pas lui donner de raisons de chercher à la contacter, ou de savoir qu'elle était déchirée d'avoir enfin choisi. Qu'il pense qu'elle était assez forte pour supporter cette situation, c'est tout ce qu'elle espérait. Il ne savait rien des douleurs physiques et insomnies qui la hantaient, elle souhaitait que cela perdure.
Un souffle dans l'air, un mouvement, quelqu'un était là. La flamme hoqueta, les murs flamboyèrent une infime éternité.
Azeem?
L'étourdissement du silence lui répondit. Elle avait prononcé son nom, nom qu'il lui avait confié à elle seule, comprendrait-il que le moment était d'importance? La main fraiche qu'il posa sur son front lui apporta la réponse.
J'ai besoin de ton aide. Peux-tu lui apporter cette lettre? S'il te questionne ne dis rien, et s'il te plaît ne reste pas assez longtemps pour voir dans quel état la lecture le met, je ne veux pas savoir.
Surtout souffrir, elle ne pouvait l'imaginer souffrir par sa faute.
Je le ferai. Pour toi je le ferai. Mais es-tu sûre? Il est encore temps de reculer...
Elle l'aimait comme jamais... comme on ne peut aimer qu'une personne qui sait tout de vous, qui est votre seconde moitié, qui vous complète sans jamais s'imposer. Mais il était bien plus que cela encore. Il ne pouvait se réduire à un de ses membres dont elle aurait besoin pour se sentir entière. Il devait vivre sa vie, elle la sienne. C'était grâce à lui qu'elle avait levé un voile sur une partie d'elle même qu'elle ne soupçonnait pas. Il avait appelé cela 'âme'. Elle l'avait cru et s'était mise à écouter ce morceau d'elle qui lui était inconnu. Depuis elle se regardait grandir et mûrir. Mais la maturité amenait certaines questions, certains besoins. Savait-il alors que c'était un peu à cause de lui qu'elle partirait? Apprenez à un oiseau à battre des ailes, il s'envolera un jour...
Tout ce qu'elle espérait était lui avoir apporté autant que ce qu'il avait éveillé en elle.
Une. Puis une autre. Suivie par toutes les larmes qu'elle retenait depuis le début de la soirée. Un doigt délicat vint lécher les gouttes au bord de son visage. La présence amie lui redonna des forces.
Oui, j'en suis sure. S'il te plaît, va porter cette lettre au Baron de Segonzac._________________
Vonafred
[Segonzac...plus tard...]
Tout à ses préoccupations du moment, le Baron recevait et déployait ses énergies à convaincre du bien fondé de ce qu'il...voulait.
Klaus pointa sa trogne rougeaude...
-Une Dame et un message Mon Seigneur...La dame insiste...elle ne le remettra qu'a vous en personne.
L'affaire était certainement d'importance.
Il se fit rapidement pardonner pour son absence et prit momentanément congé de ses hôtes.
Le Baron se fit remettre le pli sans formalités ni convenances particulières, gratifiant la messagère d'un simple...
-Merci...
Il s'éloigna et la décacheta dans son bureau, la mine pale...Il reconnu l'écriture en un instant.
Il lu...se décomposa...relu...et pour la première fois de sa courte vie...s'effondra.
L'espace d'un instant la terre s'arrêta de tourner....vertiges de l'âme et tentation de mettre fin à ce cercle vicieux ou vertueux.
Une lourde remise en question de toute une vie, de tout ce qui fut lui...
A bout de souffle et tremblant il répondit à la missive.
Citation:A vous,
Je réalise à présent ma douce amie la futilité de toute émotion au regard de ce qui nous a lié.
Au secret espoir de m'affranchir des fossés séparant nos deux existences c'est affirmé un mur infranchissable.
Qu'il est cruel de se retrouver face au miroir de sa propre turpitude.
Il n'y a plus de mots pour faire état de ce que j'éprouve sur l'instant...
De grâce ne vous blâmez jamais, je porte l'entier fardeau de cet échec.
Vous fûtes une éclaircie dans les ténèbres qui m'accaparent, je le jure devant Aristote, nul n'est plus à incriminer que cet égo démesuré qui tient son siège en mon esprit dévoyé.
Nulle cause ne mérite un tel holocauste et je l'ai pourtant mené sans relâche en dépit de tout cela, sacrifiant ce qui m'était le plus cher sur l'autel de ce Comté.
Soyez clémente envers celui qui vous fit promesse, si vous le pouvez.
Quand à moi, Je ne me le pardonnerai jamais.
Jamais je ne vous oublierai.
Louis.
Il confia la lettre à Wolf et s'emmura en un pesant silence._________________
CANA,au service du Périgord Angoumois.