Matalena
[Nuit de l'an de Grâce 1459, le 12 du mois de septembre]
Elle avait songé. Veillé longtemps, après que la Saint Just se fut retirée dans sa chambrée. Gênée par cette présence qui hantait ces lieux, la noble couche dans les heures tardives, par cet amour discret qui transparaissait seulement au matin lorsque la comtesse ralliait les pièces communes la crinière en bataille et le rouge aux joues. Point de mots entre elles sur ces sujets, ni l'une ni l'autre ne se reconnaissant dans ces amitiés de bonnes femmes qui supposent l'abandon absolu de toute pudeur et de tout secret. Et puis, l'eussent-elles voulu, qui de plus mal placé que la glaciale pasteur pour traiter de ces choses ?
La réformée ne trouvait plus guère d'endroit où se retirer à l'air libre que dans la clairière enfin vidée de toute présence qui venait accueillir son séant au plus tard de la nuit. Et elle pensait, jouant avant les croutes de sang qui durcissaient sur ses manches. Nombre de guerriers aguerris voyaient comme une faiblesse la recherche de liens, la création d'une famille : handicap mortel lorsque, affaiblis par une perte trop lourde à porter, l'on se retrouve sur le champ de bataille le vague à l'âme, et l'envie d'en finir chevillée au cur. De quoi se ramasser trois pieds de fer à travers la pense avant d'avoir poussé son premier cri.
Pourtant, du fond de sa solitude, la jeune femme ne se trouvait point sereine face à ce crédo de bon aloi. Parce qu'elle ne trouvait pas les mots. Elle ne trouvait pas le chant. Ne parvenait à s'adresser à son Guide, son Créateur, pour lui narrer les suppliques qu'un père blessé l'avait priée d'exprimer, n'en étant point encore capable tant la plaie restait vive. Qu'est-ce que la famille ? La perte d'un être chéri au point de nous en ôter, ne serait-ce qu'un instant, le goût de la lutte ? Qu'était-ce, que d'aimer ? Et de s'en trouver brisé ?
En nom et place des réponses recherchées, ne se trouvait dans sa poitrine qu'un vide immense que n'habitaient nulles paroles, vaines ou inspirées. Voilà pourquoi, laissant glisser la course de la Lune vers une matinée qui la verrait marcher sur les routes de Guyenne, l'esprit de la réformée voguait sur un hurlement sans notes. Celui d'une vie qui, réellement dénuée d'attaches, ne sait rien faire d'autre qu'observer celles qui se nouent alentours. Un parfait petit soldat, ni mère ni femme.
Mais elle n'était point tout à fait seule. Jamais. Et ce soir, elle prêterait sa voix à ceux qui ne le peuvent, face à son Seigneur et Maître. Il le fallait, car c'était son devoir.
Deos, Toi qui donne, Toi qui reprends la vie
Entends l'appel d'un homme, Fais qu'il parle par la bouche impropre de celle qui ne connait point sa douleur
Nous respectons ta Volonté
Acceptons le destin que tu as choisis pour tous
Que l'âme de ceux qui sont partis trouve le chemin de ta demeure
Accueilles-les, Guides-les
Et reçoit-les, bercés par l'amour de ta création
Sois pour eux le Père que le Père de chair ne saurait plus être
Souffles sur celui qui est resté les mots de l'apaisement
Afin que ses tourments se tarissent, et que s'ouvre pour lui la voie de ta lumière
O Très Miséricordieux...
Et le son de s'éteindre, et les prunelles, d'un noir sans fond, de se figer au loin. Bientôt, il faudrait partir.
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« Ne confondez pas le sombre avec l'obscur. L'obscur accepte l'idée de bonheur; le sombre accepte l'idée de grandeur. »
Victor Hugo
Elle avait songé. Veillé longtemps, après que la Saint Just se fut retirée dans sa chambrée. Gênée par cette présence qui hantait ces lieux, la noble couche dans les heures tardives, par cet amour discret qui transparaissait seulement au matin lorsque la comtesse ralliait les pièces communes la crinière en bataille et le rouge aux joues. Point de mots entre elles sur ces sujets, ni l'une ni l'autre ne se reconnaissant dans ces amitiés de bonnes femmes qui supposent l'abandon absolu de toute pudeur et de tout secret. Et puis, l'eussent-elles voulu, qui de plus mal placé que la glaciale pasteur pour traiter de ces choses ?
La réformée ne trouvait plus guère d'endroit où se retirer à l'air libre que dans la clairière enfin vidée de toute présence qui venait accueillir son séant au plus tard de la nuit. Et elle pensait, jouant avant les croutes de sang qui durcissaient sur ses manches. Nombre de guerriers aguerris voyaient comme une faiblesse la recherche de liens, la création d'une famille : handicap mortel lorsque, affaiblis par une perte trop lourde à porter, l'on se retrouve sur le champ de bataille le vague à l'âme, et l'envie d'en finir chevillée au cur. De quoi se ramasser trois pieds de fer à travers la pense avant d'avoir poussé son premier cri.
Pourtant, du fond de sa solitude, la jeune femme ne se trouvait point sereine face à ce crédo de bon aloi. Parce qu'elle ne trouvait pas les mots. Elle ne trouvait pas le chant. Ne parvenait à s'adresser à son Guide, son Créateur, pour lui narrer les suppliques qu'un père blessé l'avait priée d'exprimer, n'en étant point encore capable tant la plaie restait vive. Qu'est-ce que la famille ? La perte d'un être chéri au point de nous en ôter, ne serait-ce qu'un instant, le goût de la lutte ? Qu'était-ce, que d'aimer ? Et de s'en trouver brisé ?
En nom et place des réponses recherchées, ne se trouvait dans sa poitrine qu'un vide immense que n'habitaient nulles paroles, vaines ou inspirées. Voilà pourquoi, laissant glisser la course de la Lune vers une matinée qui la verrait marcher sur les routes de Guyenne, l'esprit de la réformée voguait sur un hurlement sans notes. Celui d'une vie qui, réellement dénuée d'attaches, ne sait rien faire d'autre qu'observer celles qui se nouent alentours. Un parfait petit soldat, ni mère ni femme.
Mais elle n'était point tout à fait seule. Jamais. Et ce soir, elle prêterait sa voix à ceux qui ne le peuvent, face à son Seigneur et Maître. Il le fallait, car c'était son devoir.
Deos, Toi qui donne, Toi qui reprends la vie
Entends l'appel d'un homme, Fais qu'il parle par la bouche impropre de celle qui ne connait point sa douleur
Nous respectons ta Volonté
Acceptons le destin que tu as choisis pour tous
Que l'âme de ceux qui sont partis trouve le chemin de ta demeure
Accueilles-les, Guides-les
Et reçoit-les, bercés par l'amour de ta création
Sois pour eux le Père que le Père de chair ne saurait plus être
Souffles sur celui qui est resté les mots de l'apaisement
Afin que ses tourments se tarissent, et que s'ouvre pour lui la voie de ta lumière
O Très Miséricordieux...
Et le son de s'éteindre, et les prunelles, d'un noir sans fond, de se figer au loin. Bientôt, il faudrait partir.
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« Ne confondez pas le sombre avec l'obscur. L'obscur accepte l'idée de bonheur; le sombre accepte l'idée de grandeur. »
Victor Hugo