Rosa s'allongea sur le lit, dans la position demandée par le médicastre, sans pudeur elle écarta les cuisses, seul un léger tremblement de ses jambes trahissait le trouble dans lequel la catin se trouvait déjà depuis un moment.
Elle ne quittait pas des yeux le visage de Kindjal, à l'affut de la moindre expression qui confirmeraient ou infirmeraient ses doutes. A l'annonce du diagnostic, la femme lacha prise, laissant retomber sa tête sur un coussin, les yeux rivés sur le plafond de bois, le visage sans expression, incapable d'apprécier la nouvelle, devait -elle la prendre comme bonne ou mauvaise ?
Elle avait fait le deuil à jamais d'être mère, ce cadeau du destin était un vrai miracle. Elle s'était jetté dans cette vie dissolue de débauche, y trouvant un certain confort : pas d'attache, la sécurité matérielle, elle n'avait jamais manqué de rien dés lors qu'elle avait commencé à vendre son corps.
Elle s'excuta encore comme un automate lorsque le Médicastre lui dit qu'elle pouvait se rhabiller, retirant sa chemise pour passer une robe au décolleté extravagant, qu'elle trouva aussitôt trop provocateur en son état.
Elle prit le sachet que Kindjal lui tendit, sans mot dire, la remercia d'un hochement de tête, l'esprit engourdi de milles pensées, en particulier celle qui tournait autour de la paternité.
Elle ouvrit une nouvelle fois, son tiroir en sortit une petite bourse de laquelle elle préleva quelques écus qu'elle remit à Kindjal.
Refermant le tiroir, elle arrêta son geste, pour saisir le carnet, le feuilleta fébrilement.
A quand remontait cette soirée, cette rencontre qui l'avait fait chavirer et égayer sa vie. Trouva la page cornée, le répère de cette nuit où promesses avaient été faites...c'était trop loin, pas lui...une moue de déception anima son visage. Alors qui ?
Les pages une après l'autre passèrent à l'examen de la catin, elle trouva la dernière croix rouge, et les pages qui suivirent griffonnées des quelques anecdoctes de sa vie, mais nulle trace de nom de client. Montauban, n'avait pas été des plus généreuse dans ce domaine, la catin se plaignait sans cesses de ces miséreux, de ces pingres, ou de ces hommes pétris de bonne éducation, qui refusaient de lui céder un denier.
Il n'y en avait qu'un qui l'avait touchée depuis cette fameuse croix, dont le nom ne figurait pas en tant que client, et pour cause, il ne se considérait pas comme tel, cela faisait parti de leur arrangement. Il était son protecteur... le père de son enfant.
Les bras balants, le carnet dans une main, le sachet de feuilles de framboisier dans l'autre, elle fixait Kindjal d'un regard vague, la bonne nouvelle c'est qu'elle savait qui était le père, la mauvaise c'est que c'était lui...Pourquoi lui ? Pourquoi ce miracle n'avait pu se produire avec cet autre ?
Son esprit bouillonait, le sang frappait ses tempes, ses oreilles bourdonnaient, les murs de la chambre se mirent à tourner autour d'elle, le lit semblait animé d'une drôle de danse, la catin perdit ses couleurs, et ses lèvres aussi pales que sa peau, alors que de fines goutelettes de sueur perlèrent sur son front, elle se sentit vasciller, une légère expression d'effroi dans son regard alors qu'elle essaya de se rattraper au banc près de la cheminée, un nom à peine audible s'extirpa de ses lèvres...
"Sancte..."
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"Reyne des Délices, Pourvoyeuse de rêves et d'illusions" dixit Iohannes Sancte.