Il regarde la jeune brune, et la réponse de sa soeur. Il se tend en arrière, et remonte l'une de ses jambes, plaçant le genou plié contre la table, en une attitude très djeuns. Il fait basculer légèrement la chaise en arrière, et entame un balancier lent sur les deux pieds arrières, ne quittant pas sa soeur des yeux. Il ouvre le bras droit, dans sa direction. La petite fille vient s'y nicher. Contact bref et éphémère de deux peaux qui se connaissent bien sans avoir longtemps vécues ensemble. Il l'attire contre lui, et lui baille baiser sur le front, lent, doux. Le Faucon aime beaucoup sa soeur, et fera tout pour elle. Il avait pris la décision qui favoriserait le mieux sa sécurité, et ferait en sorte qu'elle aille toujours bien. Il était plus que son frère. Plus que le père qu'il remplaçait. L'un pour l'autre, ils étaient un univers. Ils était comme l'Alpha et l'Oméga. Ils étaient deux présences, enlacées pour la vie, se séparant avec difficulté pour mieux se retrouver. Certains les nommaient âmes soeurs, âmes jumelles. Qui sait? Ils n'étaient peut être que deux âmes attachées, d'une façon ou d'une autre. Platon n'eut peut être pas formulé sa théorie de la même façon, s'il avait vu ces deux enfants enlacés, en un amour qui paraissait presque trop... adulte aux yeux du monde.
Il avait de la chance, le jeune Faucon. Le saurait-il jamais? Sa soeur aurait pu être vendue comme bougresse au bordeau du coin, elle aurait pu devenir nonne et faire cesser les problèmes qu'elle créait. A dire le vrai, elle aurait pu être détruite en d'autres temps, en d'autres lieux. Simplement parce que son frère ne pouvait tout assumer seul. Simplement parce qu'il n'était peut être pas aussi fort que son père...
Souvenir.
* Face à face bucolique avec son père. Son corps est toujous inanimé, en Franche-Comté, alors que son esprit sent un vent frais lui parcourir le visage. Il est face à son père, ce père redouté dont il n'a que très peu de souvenirs, et pas d'image. Il le voit blanc, livide, presque bleui, comme le Destructeur était lors de la présentation de son corps à la veuve. Il le regarde, souriant.
- " Fais toujours attention, petit, à toujours te montrer digne de ton père. Fais respecter le nom de tes ancêtres, et respectes toi-même ces armes qui te sont transmises. Celle-ci se nomme Tümnofengh, et a connu plus de porteurs que tu ne peux sans doute l'imaginer. Aussi dois-tu respecter à la fois ta famille, et ceux qui l'ont portée avant toi.
Souviens toi toujours de la devise de ton père, et de son visage. "
Le souvenir des yeux délavés. Le souvenir des pupilles dilatées à l'extrême. Le souvenir des cheveux collés par la sueur et le sang. Le souvenir de l'odeur de son père. De sa main. De sa présence. Puis... plus rien. *
Il était là, aujourd'hui. Il était à un tournant de sa vie. Allons, Adrian! En avant!
Et vous Vicomte ? Vous me parlez de la sécurité de votre sur, des querelles de votre famille et des difficultés inhérentes au domaine
et de votre mère.
Si nous gardons votre sur en sécurité à Ryes, quavez-vous prévu pour votre propre protection ? Ne me dites pas que vous comptez sur vos quatre amis. regard qui se porte sur la porte par laquelle était sortis les hommes d'Adrien peu avant Ils sont très dévoués, à nen point douter. Mais si vous pensiez que leur présence suffisait, vous leur auriez confié votre jeune sur tout en la gardant à vos cotés. Et vous ne seriez pas ici.
Il réfléchit à ces paroles, logiques entre toutes. Il réfléchit à sa vie passée, si courte mais si longue pour lui. Il se sent vieillard dans une peau d'enfant, se sent vécu alors qu'il n'est qu'à l'entrée du tunnel, au départ de la route. Il se souvient de l'entrevue avec sa mère à Marchiennes, après le mariage. Il se souvient de la mort de son père. Il se souvient de la disparition du chevalier. Il se souvient des mois passés chez son cousin, Sirius, maintenant décédé. Il se remémore ce pour quoi on l'a préparé. Il déglutit, et parle enfin.
- " Je... suis partie prenante de la demande que je te fais, Zalina. Ce que je te demande pour ma soeur vaut aussi pour moi-même. Je... sais les démarches à accomplir pour moi, je sais les demandes inhérentes à l'Ordre. Je suis prêt à en passer par là."
Voilà, c'est fait. Il la regarde, le jeune Faucon, et ne peut camoufler une tristesse, et une peur aussi. Tristesse que le jeune neveu du Prince de Condé ne puisse s'occuper seul de lui-même et des siens, et Peur de l'inconnu. Peur de se dévoiler. Peur de se montrer faible, ou bien tel qu'il était réellement. Peur de ne pas être à la hauteur. Peur de faire ce qu'il désirait. Les charbons se plongent dans les yeux de la Peste, ne décillant presque pas.
- " Je pourrais... faire n'importe quoi. Récurer les douves, panser les bêtes, même enterrer les morts. Je pourrais donner argent, terres, à l'Ordre. J'en ai le pouvoir. La seule chose que je demande, avec l'examen de ma demande... Ce serait d'autoriser ma soeur à vivre à Ryes. "
Zalina n'imaginera sans doute pas ce qu'il lui en coûte. Il est à sa merci. Il est tel les vaincus qui, après avoir confié leur épée au vainqueur, se plaquent face contre terre en espérant la clémence. C'est peut être la première fois de sa vie qu'il s'incline devant quiconque autre que sa famille, parce qu'il n'a pas le choix. Non, il ne s'incline pas. Il se prosterne. Il se met aux pieds. Ce jeune adolescent bouillonnant de vie et de morgue n'est rien de plus qu'un petit être trahi par ses proches, blessé par la vie, qui cherche une terre, une maison, une famille. Rien de plus que tous ces enfants qui, désespérés par les morts, les guerres, les combats, les déceptions, cherchent à survivre. Il a simplement eu la chance de naître dans des draps de soie.
Lentement, le jeune Faucon cesse son balancier. Il entrouvre son pourpoint, et en tire d'une poche intérieure feuille de vélin, qu'il appose sur la table, devant le Capitaine de l'Ordre mythique. Il retient sa respiration. Car là se profilera tout son avenir.
En plongée.
Citation:De Condé, fief du Prince Almaric de Bourbon-Condé, dict Coluche, avant-dernier jour des ides de février de l'An de Grasce du Seigneur Dieu MCDLVII, Anus XVI du Règne de Sa Très Aristotélicienne Majesté Lévan, IIIe du nom, Rex Franciae Dei Gratias (Roi de France par la Grâce de Dieu).
Au Haut-Conseil de l'Ordre Royal de Chevalerie de la Licorne, que Dieu veille éternellement, Salut et Connaissance de Vérité, à la Citadelle de Ryes, que Dieu Veille et Assiste, Duché de Normandie, Royaume de France.
Chevaliers,
Je, fils de Hubert Victor Abel Fauconnier dict Bralic, dict "Le Destructeur", ancien Prévôt de l'Ordre, nommé Adrian Fauconnier de Riddermark sur les fonds baptismaux, me présente lors à vous, gens d'honneur autant que de gloire, pour, parmi tant d'autres estimables personnes, demander séant entrant en le noble Ordre que vous représentez.
Il serait justice que de demander raison de ce choix, certes impétueux pour jeune homme de mon âge à peine en charge de terres, consistant à choisir voie de Chevalerie ce jourd'hui. Il fut en vérité nourri chez moi par les récits de bataille servis à la fois par mon père, Hubert Fauconnier, autant que par mon beau-père, le Chevalier Guillaume de Jeneffe. Je sais qu'il peut paraître orgueilleux ou futile que de dépeindre les exploits passés d'un Ordre tel que le vôtre, mais je ne puis que tâcher de vous exprimer par ces quelques vains mots les enseignements prodigués par mes aînés sur les vertus chevaleresques, sur l'Honneur, sur la Bravoure et la Justice de ces hommes qui aidèrent le Roy et son prédécesseur. Il fut nourri par cette image fameuse des bannières quittant Marchiennes ou Montbarrey, chevauchant au combat, les armures rutilantes et lustrées marchant au combat sur caparaçons chromés, et par la volonté de ressemblance à ces hommes et ces femmes qui risquaient leur vie chaque jour pour les faibles, sans attendre de retour.
Mais l'image n'existe pas seule. Elle n'est que coquille, à ce qui est réellement contenu de cette envie viscérale matérialisée lors en cette missive. Je reçus tôt formation de guerrier, et me targue de pouvoir manier correctement l'épée comme tout noble digne de ce nom. Je fus élevé tôt dans l'idée de poursuivre les oeuvres de mon père, et m'appliquais à retenir ce qu'il était, et ce pour quoi il s'était battu.
Qu'est ce qu'un Chevalier? Que doit-il incarner séant? Quels sacrifices nécessite lors cette voie? Quel renoncement implique t-elle? Là sont principalement les questions dont il faut répondre, mes seigneurs.
Un Chevalier est plus que l'image pieuse des Bibles arborant l'archange Michel face au Dragon. Il est plus que l'image populaire du défenseur de la veuve et de l'orphelin. Je le conçois comme celui qui fait régner Paix, Justice, et Honneur en notre beau royaume. Et je ne peux qu'adhérer à cette idée, depuis la mort de mon père et les circonstances qui s'en ensuivirent.
Il doit être un exemple pour la noblesse, et montrer avant tout Miséricorde, Humilité, Obéissance et Don de lui-même.
Il doit accepter de perdre la vie, sa famille, peut être ceux qu'il aime, et accepter parfois de perdre la face pour défendre ce en quoi il croit, ce qu'il estime juste et respecte. Il doit accepter de vivre chichement, sans chercher à tirer profit et Gloire de ce qu'il accomplira. Il doit lors bannir l'Envie de son coeur. Plus encore, peut être, que la Colère, que la Paresse. Il doit être l'Arche d'Espérance des faibles, et ce au prix que coûtera les sacrifices qu'il importe.
C'est lors cette voie que je veux emprunter, mes seigneurs. Pour la Gloire du Roy, celle du Royaume, celle de Dieu et celle de la Licorne. Je veux aider à la paix en le biau royaume de France, devenir l'être honorable et désintéressé qui secourt les faibles dans la nécessité. Je consens aux sacrifices, à la patience, à l'humilité qui en découle. Ad vitam et ultra(1).
Et si me le refusez, gentils seigneurs, de savoir que je mettrais tous moyens honorables en oeuvre pour m'enquérir de cette tâche, et devenir lors digne de l'Ordre, et de ce qu'il est, fut, et sera.
Longue vie à Ryes, à la Licorne, au Roy de France, au Royaume et à vous, mes seigneurs.
Vive la Licorne.
Vive le Roy.
Adrian Fauconnier de Riddermark,
Vicomte d'Isles et de Montbarrey,
Seigneur de Parcey,
Gardien des fiefs de Scye, Marchiennes, Wavrin, Calmont de Plancatge, et Saint-Laurent en Grandvaux.
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(1) : Pour la vie, et Au-delà.
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