Eriadan
[Hôtel Dieu, Paris, Mars 1458]
Dure journée que celle d'un membre de l'Hôtel Dieu. La notion du temps éclate en de milliers d'étoiles imperceptibles et inaccessibles à travers le brouillard épais de l'activité, du travail, de l'effort. Vingt-quatre heures en cinq minutes. Cinq minutes en vingt-quatre heures. La satisfaction de l'uvre fournie est bien faible à cette heure tardive à laquelle Eriadan observe le soleil disparaître derrière les toits de la capitale royale. Ces derniers rayons salvateurs se diffusant jusque dans sa rétine l'éblouissant d'une lumière rouge sang, photons écarlates lui rappelant la page d'un ouvrage qui quelques semaines plus tôt l'avait intrigué. Les reliures du livre étaient usées. Il devait avoir plus d'un siècle, et il s'était retrouvé là, dans cette bibliothèque dans laquelle l'avait amené Esyllt Catarina. Il voyait cette fille tel un vestige d'un passé grandiose. Le même sang princier coulait dans ses veines, le même sang que le plus prestigieux Comte du Béarn, un sang qui continuait de vivre à travers les veines de cette jeune fille pour le moins surprenante. Il la voyait également comme un espoir. Un espoir pour l'avenir, sentiment dont il était incapable de décrypter les détails et les aspirations réels mais dont la nature était des plus clairs en son esprit.
C'est grâce à elle qu'il avait accéder clandestinement à la bibliothèque de son père adoptif, grâce à elle qu'il avait pu retrouver la trace de sa famille disparue, grâce à elle que le hasard l'avait mené à ce manuscrit étrange décrivant quelques travaux d'un homme qui aurait vécu environ un siècle plus tôt. Des travaux dont la nature avait immédiatement fasciné le Loup du Lac bien qu'avec le recul il avait été perplexe.
Néanmoins, il y repensait maintenant alors que les derniers rayons dorés s'éteignaient sous ses yeux. L'or céleste offert en dernière offrande par le Ciel avant de céder sa place à la nuit sombre et solitaire.
L'or qui brille et se reflète de sa lueur fascinante sur toute chose morne et dénuée de sens. Telle la vie du Loup, grise, voilé, sans sens véritable...
Appuyé contre une colonne d'arcade, il soupira pour accompagner la fin du jour avant de se redresser. Il voulut aller se coucher tentant d'effacer le souvenir de ce grimoire. Marchant dans le couloir tentant de vider son esprit, il se rendit compte que c'était impossible. Fermant les yeux, il revit les mots imprimés sur les pages, telle une obsession impossible à balayer. Arrivé à hauteur de la porte de sa chambre, il observa le bois nervuré et se trouva face à un dilemme. Entre la raison et la passion, son cur vacilla dans les flammes de la déraison.
Dans les rues de Paris, visage voilé, il se rendit vers le bâtiment où il pourrait consulter les archives. Lorsqu'il arriva, quelqu'un était en train de fermer la porte. En plein hiver, le soleil se couchait tôt et rares étaient les échelles de l'administration qui continuaient de travailler une fois le soleil couché. Le fait que les Archives furent encore ouvertes le temps du voyage de l'Hôtel Dieu jusqu'ici relevait d'un miracle auquel Eriadan avait espéré. Il accéléra alors le pas et empêcha l'homme qui s'avérait être d'un certain âge de fermer la porte. Celui-ci prit de terreur, hurla et sortit une dague poussant Eriadan à reculer d'un pas.
« Attendez! »
Eriadan releva sa capuche et sortit un insigne de sous sa cape. L'homme méfiant approcha doucement pour examiner l'insigne et constater qu'il s'agissait d'une plaque témoignant de l'appartenance du Loup du Lac au Guet Royal. Le vieil homme se détendit et rangea sa dague.
« On peut dire que vous m'avez foutu une de ces frousses! Avec votre capuche j'ai cru à une agression d'un charlatan de la Cour des Miracles. »
Eriadan resta silencieux et le vieil homme reprit un air quelque peu farouche avant d'ajouter.
« On ferme! 'Voulez quoi? »
« Je souhaiterai consulter les archives. Je suis à la recherche d'un homme perdu. »
Le regard noir et hautain d'Eriadan mêlé à son rang de police eurent raison du vieil homme qui céda et le laissa entrer dans l'enceinte du bâtiment. Le vieil homme décida de l'aider pour terminer sa journée plus rapidement. Tandis qu'ils marchèrent dans les longs couloirs, il lui raconta d'abord que rares étaient les policiers qui venaient aussi tard dans le coin. Il enchaîna sur les diverses visites qu'il croisait sur son lieu de travail, passant des familles bourgeoises de Paris les plus humbles aux plus grandes personnalités de Paris, tels les Grands Officiers parfois. Puis il continua à parler de lui et de sa petite vie modeste dans une maison citadine avec sa femme qui l'attendait sûrement pour dîner. Il décrivit alors sa rencontre avec son épouse pour argumenter le fait qu'il était loin de croire que trente ans plus tard il craindrait presque d'arriver en retard pour le dîner.
Eriadan l'écoutait sans trop l'entendre. Un seul nom résonnait dans son esprit, et il lui fallait trouver un maximum d'informations sur lui.
« Vous avez dit quel nom? »
Tandis qu'Eriadan lui tenait le chandelier, le vieil homme chercha dans la pile de dossiers.
« Flamel. »
« Bah, dites donc! Pas étonnant qu'il soit perdu ce zigoto. Il n'a pas moins de cinquante piges! 'Ttendez, je cherche encore... Hmm... Nan, nan, nan... Purée, il va montrer sa tête ce zigoto ou c'est moi qui vais finir par perdre la mi.... Ah! Flamel! »
Il retira alors un dossier parchemin sur lequel il souffla provoquant un petit nuage de fumée.
« Nicolas Flamel, mort en 1418. Inutile de le chercher je crois, il est six pieds sous terre! Haha! Ca m'dit que'qu'chose... Il était pas écrivain? »
Eriadan le regarda impassible et tendit sa main libre vers lui.
« J'aimerai vous emprunter ce dossier. Il s'agit d'une affaire importante. »
Le vieillard le regarda bizarrement avant de lui tendre le dossier.
« Très bien, mais ramenez-le vite. On a pas trop l'habitude de sortir les dossiers d'ici. »
« D'ici deux jours tout au plus, il aura retrouver sa place, je vous le garantis. »
« Bien alors dépêchons que je puisse fermer et retrouver ma folle. »
Quelques minutes plus tard et Eriadan se retrouva dans la rue où la fraicheur de Paris régnait en duo avec les ténèbres. Tenant fermement le dossier dans ses mains, il sentit mystérieusement qu'il possédait là la clé d'un monde plus atypique et différent qu'aucun qu'il n'ait jamais fréquenté. Il se demanda s'il était sage de remuer le passé de cette science qui pourrait paraître pour beaucoup mystique voire même jugée de sorcellerie. Néanmoins, l'esprit scientifique et d'enquêteur d'Eriadan le poussa à aller plus loin.
A moins que ce qui le motivait était une force dont il ignorait la puissance, une fascination à découvrir le secret de la transmutation de la matière en or...