En ce premier jour d'août il faisait bon. Ni trop chaud, ni trop froid. Le Père Gontran en profita pour faire une ballade, cette fois il n'irait pas sous le grand arbre près de la place du marché mais au lavoir. Pas qu'il avait du linge à y nettoyer, non, et même si il en avait eu il n'aurait pas été capable de le porter jusque là et de le frotter.
Il vint ici pour raconter une de ses histoires aux jeunes filles qu'il trouverait sur place. De plus l'endroit était fort agréable, entendre le bruit des flots et l'eau s'écouler entre les rochers était bien plus reposant que les cris des enfants à qui il contait généralement ses récits.
Il prit donc place sur une grosse pièrre et observait les dames pendant leur besogne. L'une d'elle se retourna et fit un signe de tête aux autres, pour sûr elles le prenaient pour un vicieux. Ce diable de vieil Auguste, son acolyte de toujours, était certainement venu épier ces dames il n'y a pas encore si longtemps.
D'un signe de la main il tempera leur colère et il se mit à narrer son hisoire:
"Connaissez-vous les lavandières de nuit??
Ce sont des lavandières qui n'apparaissent que la nuit près des eaux mortes ou des lavoirs comme celui-ci. Elles manifestent leur présence par des chants et des coups de battoir sur le linge mouillé. Leur rencontre est toujours de mauvaise augure, et présage souvent une mort imminente".
Les dames regardaient le Père Gontran d'un oeil inquièt.
"Contrairement aux fées de l'eau qui viennent faire leur lessive au bord des rivières, et obtiennent un linge si pur qu'on le dit "blanc comme le linge des fées", aux sirènes qui blanchissent leur linge dans l'écume de la mer, les lavandières de nuit sont des créatures aux instincts morbides dont il vaut mieux se garder. Il s'agit le plus souvent de sorcières, de mortes qui n'ont pas été ensevelies dans un linceul propre -c'est pour cela qu'elles reviennent la nuit pour le laver- ou de fantômes revenu sur terre pour expier un châtiment.
Leurs fautes les plus communes sont d'avoir osé faire de leur vivant leur lessive un dimanche, défiant ainsi la règle du repos dominical, d'avoir trop économisé le savon ou d'avoir tué leurs propres enfants: dans ce cas elles sont condamnées à laver jusqu'à la fin des temps les couches sanglantes de leurs poupons sans vie.
En Basse-Bretagne, le linge qu'elles tendent aux passants contient un nourrisson ensanglanté. A Dinant, dans les Ardennes, les lavandières de nuit blanchissent les os des enfants morts sans baptème. Tandis qu'en Provence elles invitent les jeunes hommes à venir danser avec elles, mais c'est pour mieux les pousser au fond de l'eau où elles les dévorent ensuite.
En Bretagne on les nomme les "chanteuses de nuit". Elles apparaissent aux heures impaires de la nuit et filent des draps et des suaires avec leurs cheveux blancs puis les lavent dans la rivière. Si elles voient un promeneur passer près d'elles aux alentours du milieu de la nuit, elles le hèlent afin qu'il vienne les aider à tordre leur linge pour mieux l'essorer. Mais elles le tordent à toute vitesse, si bien que le malheureux finit bientôt le os brisés.
Voici le refraint chanté par les lavandières de nuit:
Tors ta guenille,
Tors
Le suaires des épouses des morts.
Et le conseil que je vous donne à vous et vos proches c'est qu'il suffit de faire un signe de croix pour voir ces âmes damnées s'envoler".