--Jolie_rose
Petite fille, je rêvais dune vie simple : une petite maison, un mari et une ribambelle denfants.
Jeune fille, jai réalisé que la nature avait fait de moi un beau brin de fille sur qui les regards masculins sattardaient. Ce potentiel, plutôt que de le laisser se faner, jai décidé de lexploiter.
A défaut dune fermette, jai rejoint une maison dite close. A défaut dun mari, jai vu défiler tout un régiment. Quant aux enfants, quAristote mépargne à tout jamais de connaître les joies de la maternité
Je mappelle Rose et vous lavez bien compris, je suis une amie de vos maris. Je suis celle quils retrouvent en catimini, celle qui les écoute, celle qui assouvit sans rechigner ce que vous leur refusez.
Mon principal défaut est mon manque de mémoire
ma foi, jai souvent la tête ailleurs et comme ça bouge tout le temps au travail, moi, entre les va et vient, jai parfois la mémoire courte. Alors je note dans un carnet, tous les jours, pour chacun de mes visiteurs tout ce quil me faut me souvenir : ses goûts plus ou moins avouables, ses habitudes, ses délires et surtout, je les note
cest plus fort que moi, je narrive pas à mempêcher de leur attribuer une note à chacune de leur performance. Je sais, je suis incorrigible, mais que voulez-vous, on ne se refait pas !
Mon carnet est épais, très épais
et pourtant, je ne suis pas vieille du tout. Je suis juste
très demandée.
Voulez-vous que je vous lise quelques passages choisis ?
Rassurez-vous, je saurais taire les noms de ces messires, des fois quune épouse soit parmi lassistance
quoique
cela serait amusant, non ?
Rassurez-vous, ma prose nest jamais vulgaire non plus. Dailleurs, mon métier nest pas vulgaire du tout, il est même nécessaire, reconnu et le plus ancien. Sans moi et sans mes surs, bien des hommes seraient suicidaires. Cest donc un peu grâce à nous sils savent encore sourire un peu !
Alors ouvrons mon carnet et découvrons ensemble ce quil sy cache.
Rose passe la main sur la première page.
Le premier client
ça ne soublie pas.
A suivre...
--Jolie_rose
Ce que javais peur ce jour-là ! Cette peur qui vous prend au ventre, et qui rend les mains moites. Dy repenser, jen frissonne encore.
Qui na pas connu ce trac ?
Je pense que tous les artisans connaissent cette appréhension lorsquils débutent. Tout comme le boulanger qui nose pas pétrir à pleines mains, comme le forgeron qui nose pas empoigner le manche de sa hache fermement, jétais pétrifiée à lidée de mal faire, à lidée de ne savoir anticiper pour satisfaire au mieux le client.
Prend à témoin un homme dans lassistance.
Ah je vois que Messire là-bas en bleu comprend tout à fait de quelles angoisses je parle.
Lui sourit et lui fait un clin dil.
Jétais donc très nerveuse ce jour-là et je nétais pas sûre de mes choix, pas sûre de vouloir franchir le cap et encore moins den faire ma destinée.
Lespace dun instant, jai bien cru que jallais retrousser mes jupons et menfuir en courant. Mais bon, lorsquil est entré dans la pièce et quil a déposé une bourse bien pleine sur la table, mes lèvres ont dessiné un sourire qui voulait dire « bienvenue ».
Il nétait pas si mal cet homme
Oh, je vous vois sourire mesdames, mais je ne parle pas de son argent ! Je parle de sa prestance, de son physique. Un homme mûr, aux traits réguliers, je dirais même des traits plutôt agréables. Une tenue sans prétention mais propre et en bon état. Des cheveux coiffés et des ongles propres. Des mains de travailleur avec un anneau à lannulaire gauche. Mais surtout un regard sincère, attachant. Il a su me mettre en confiance.
Avec le recul, je crois quil avait aussi peur que moi.
Avec lexpérience, je crois quil mettait les pieds dans la maison pour la première fois.
Avec le temps, je pense quà lépoque, sil mavait dit : « prends tes affaires et partons loin tous les deux », je laurais peut-être suivi.
Mais avec des si
Laffaire fut faite en peu de temps, presque silencieusement
quelques soupirs, sans plus. Du moins au début
car on était jeudi
Et oui un jeudi, ça je ne loublierai jamais
car le jeudi, ma collègue Bertille reçoit un habitué. Et les parois étant minces, jentendais comme des claquements venant de la chambre voisine et une voix bien grave qui faisait « Compagnie, en rang, chargezzzzzzzzzzzzzz !».
Cela ma fait glousser
mon gloussement a fait sourire mon client
son sourire ma fait comprendre pourquoi il était venu
alors jai gloussé de plus belle jusquà en couvrir les bruits du colonel de la pièce dà côté
et mon client fut aux anges !
Le soir, dans mon carnet, jai noté son nom, son âge approximatif et en observation jai écrit : donner de la voix. Je lai gratifié dun 18/20 car mine de rien
à force de glousser, on se met parfois à glousser pour de bon.
A suivre...
--Jolie_rose
Rose sourit puis enchaîna :
Il ne faut pas croire quils ont tous une note aussi élevée. Il fait partie dun tout petit groupe parmi la masse.
Rose feuillette son carnet, sarrête sur une page en particulier et se met à rire.
Tenez, lui, par exemple
02/20.
Laissez-moi vous raconter ses exploits.
Cétait le 12 avril 1455. Jétais au salon avec les filles et nous papotions déconomie bretonne.
Sourit face aux visages surpris de quelques femmes.
Hé oui mesdames, nous savons également faire travailler notre matière grise, même si cela vous surprend.
Enfin
reprenons.
Cest alors quil est rentré le « 02/20 ».
Bertille a prétexté « on est jeudi, il faut que jaille mettre mon armure, le colonel va arriver ! » et zou, elle a filé.
Marianne, Eli et Roberta se sont levées dun bond, déclarant quil était lheure de confesse et se sont évaporées avant même de terminer leur phrase.
Jétais à présent seule dans ce salon déserté par mes chères collègues. Messire « 02/20 » ma regardée en souriant et a dit : « jvous connais pas vous ! Nouvelle ? ».
Je lai gratifié de mon plus beau sourire tout en caressant ma cuisse : « La nouveauté vous déroute messire ? »
Il sest alors approché, me jaugeant sous toutes mes coutures : « ça dépend
va falloir quon en parle. »
Quon en parle ? quon en parle ? Mais de quoi voulait-il donc parler ?
Il a donc payé pour deux heures et nous nous sommes rendus dans la chambre mauve, celle dont le lit grince un peu trop. Je le précédais dans lescalier, histoire de bien tortiller juste sous son nez. Jadore montrer mon meilleur profil au client, histoire de le rassurer dès le début quant à la qualité de la marchandise.
Je suis entrée dans la chambre, jai retiré mon peignoir de soie blanche, et vêtue du plus simple appareil jai pris une pose très lascive sur le lit qui émit sous mon poids un « couiccc » plus quénervant. Le regard de braise et la bouche en cur, jai susurré à lhomme quelque chose comme « prêt pour une grande découverte chéri ? ».
Et à ma grande surprise, au lieu de me sauter dessus comme une bête sauvage, il a pris une chaise et sest assis bien sagement à côté du lit et sest mis à parler :
« Jhésite toujours vous savez
» dit-il en caressant du regard mes courbes parfaites.
Nétant pas du genre à me démonter pour peu, j'ai attrapé une fraise dans la coupole sur la table de chevet, j'ai mordu dedans avec passion tout en me cambrant et jai dit : « Et pourfquoi fous fhésitez ? »
« Jhésite entre choisir ce corps que vous moffrez et lamour dAristote. Que dois-je donc embrasser ? Vos fesses ou la religion ? Oh je suis perdu, je ne sais plus
» commença-t-il à dire, le visage dans ses mains.
Comprenant pourquoi les filles étaient parties à toute vitesse en le voyant débarquer, je me suis alors contentée de lécouter parler pendant deux heures.
Vous savez que cest très long deux heures de jérémiades ? Mais un client qui a payé se doit dêtre contenté, et si le contenter cest lécouter
alors je mexécute.
Le soir dans mon carnet, je lui ai attribué un 02/20 avec en remarque : sarmer de patience et garder son peignoir sur soi pour éviter de prendre froid.
A suivre
--Jolie_rose
Rose regarde lassistance en souriant. Quelques femmes la toisent, mais ça, elle en a lhabitude. On ne peut pas plaire à tout le monde, cest bien connu, et dailleurs, cest tant mieux si on y réfléchit car quelquun qui est adulé de tous est un saint. Et Rose nest pas une sainte et ne le sera jamais
alors là, non, jamais !
Passant en revue les différentes personnes, son attention se porte alors sur un homme qui tente dêtre là le plus discrètement possible. Rose sourit, car cet homme, elle le connaît bien, elle le connaît intimement puisquil fait partie de ses « habitués ».
Mine de rien, elle feuillette son carnet, sachant déjà de qui elle va parler.
Parfois, mesdames, on tombe sur une perle rare, sur un homme dune douceur incroyable qui sait vous prendre
Rose soupire et poursuit en voyant les « O » se dessiner sur certaines bouches.
qui sait vous prendre par les sentiments.
Cette perle dont je parle me rend visite tous les lundis soirs à la tombée de la nuit. Pour lui, je fais quelque chose que je naccorde à aucun autre : je lui offre toute ma nuit
et quelle nuit
Rose est très troublée car il la regarde à présent et ses yeux couleur océan la font presque chavirer.
Toute la nuit, car il me trouble, il menvoûte
lui qui sait si bien me posséder corps et âme.
Est-il utile de vous préciser que le lundi est mon jour préféré ?
Et même si je sais pertinemment que je ne le possèderai jamais totalement, je chéris ces moments de pur bonheur que je vis avec lui et prie Aristote pour quils ne cessent jamais.
Rose ferme les yeux, penche la tête sur le côté et sourit.
Est-il utile de vous préciser sa note ?
Rose évite à présent de regarder lhomme. Il ne faut surtout pas que le secret soit dévoilé, il ne faut surtout pas que ça se sache
A suivre...