Bradwen avait écouté le chant avec attention du début jusqu'à la fin. Il ne s'attendait pas à un chant d'une telle beauté. Il avait lancé cette proposition un peu comme une boutade, comme un défi. Mais le résultat dépassait de loin ce qu'il imaginait.
Diaconesse, on a beau pas être éduqué comme j'l'suis, on en sait pas moins reconnaitre le sublime quand on l'entend. C'fut de toutes beautés ! J'm'incline bien bas d'vant vot' talent indéniable !
Bradwen rassembla ses objets, but un dernier gobelet de calva et se mit devant la cheminée faisant faces aux convives.
Bon, alors, c't à moi. Vous z'attendez pas à quelque chose d'aussi beau qu'c'qu'on vient d'entendre. Si j'avais imaginé ça, j's'rais passé d'vant, j'vous l'assure... Bon... C't aussi la première fois qu'j'présente c'te conte avec autant d'calva dans l'sang. Ca va pas être facile !
Bradwen s'éclaircit la voix. Il but quelques gorgées d'eau et commença.
La légende de Deirdre aux douleurs, un conte en quatre actes - Premier acte : la révélation
Comme à chaque fois qu'il récitait, déclamait un discours travaillé et préparé d'avance, le paysan formulait des phrases en bon françois. Il fit un signe à Irella et lui chuchota "La partie mystique !". Debout devant la cheminée, Bradwen déclamait :
Un jour le roi d'Ulster festoyait avec ses chevaliers de la Branche-rouge chez l'un d'eux quand un cri vint rompre la sérénité de l'assemblée.
Le paysan mimait des chevaliers ripaillant, dévorant moultes volailles et buvant de nombreux gorgeons de vin. Il vint se servir à table pour mieux représenter la scène. Au moment du cri, il imita celui d'un bébé demanda le sein de sa mère. Le paysan n'hésitait pas à caricaturer la situation, l'alcool l'aidant sans doute en ce sens.
Cathbad, le druide du roi entra alors dans la pièce et toucha le ventre d'un dame, grosse de plusieurs semaines.
Apercevant le balai de Cilou, il s'en empara et l'utilisa comme bâton de marche. Jouant le druide, il claudiqua jusqu'à la place de Lysesl et se permit un mime, n'osant point lui toucher le ventre.
- Sire, dit-il, le cri vient de ventre de cette femme. Une fille naitra qui sera la plus belle de tout l'Ulster. Cette fille se prénommera Deirdre des douleurs car son destin est d'attirer nombre de malheurs sur notre pays. Beaucoup de chevaliers se battront pour ou contre sa cause et la Branche-rouge sera décimée. Tout cela, je l'ai lu dans les étoiles.
Tout en jouant avec les intonations de voie, Bradwen fit de grands gestes comme pour accentuer l'aspect théatral de la scène. Il levait le bâton dans les airs comme si le Druide avait besoin d'appuyer avec force les mots qu'il prononçait.
Entendant ces mots, beaucoup de chevaliers étaient d'avis de tuer cette fille à la naissance afin que la prophétie du druide ne se réalise pas, et ils le dirent fort haut.
Le paysan faisait semblait jouer les différents chevaliers, s'égosillant comme pour mieux appuyer leur opinion.
Alors le roi se leva de sa chaise et parla.
- Chevaliers, il ne serait pas digne de nous et de notre Ordre de tuer ainsi un enfant. J'éléverai donc cet enfant afin qu'il ne présente point de danger pour l'Ulster. Je le garderai à l'abri du mal et je l'épouserai. Ainsi vous vaincrons la prophétie.
Il ramassa le coussin qu'il avait récupéré, insista pour montrer que le Roi tenait au confort de ses fesses et s'assit sur la chaise, une cuillère de bois à la main en guise de sceptre. Lorsqu'il déclara que le Roi se leva, il en fit de même, et dans un grand geste, fit volontairement tomber la chaise. Celle-ci tomba dans un grand fracas et quand celui-ci se tut, le "Roi" put déclarer sa pensée.
Ainsi grandie Deirdre, cloitrée dans un chateau de l'Ulster, ne voyant que sa préceptrice ainsi que Cathbad le druide du Roi. Ainsi vécut-elle jusqu'à ce qu'elle soit en âge de se marier.
Par un jour neigeux, Deirdre se promenait dans la cour du chateau en compagnie de Cathbad lorsqu'un corbeau vint à boire le sang frais que l'on avait vidé là.
Deidre dit à Cathbad
- J'aime ces couleurs, mon ami. Dans mes rêves, mon promis a les cheveux noirs comme ce corbeau, les lèvres rouges comme ce sang et la peau blanche comme cette neige... Dis-moi Cathbad, toi qui sait tout, existe t-il un tel homme ?
- Oui, dit Cathbad, il existe bel et bien. Il s'appelle Naisi, il a deux frères et avec leur père ils appartiennent à l'ordre des chevaliers de la Branche-rouge.
- Alors Cathbad, je veux le voir. Amène-le moi.
Bradwen s'était approchée de Cilou et faisait semblant de lui parler comme si elle était Deirdre, et lui, le druide. Il fit de nombreuses grimaces avec son visage, pour indiquer un druide sceptique, puis inquiet que la prophétie se réalise.
Cathbad ne dit rien, il savait que la prophétie était en marche.
Le paysan marchait de long en large, appuyé sur son balai, et faisant semblant de converser avec un Deirdre imaginaire.
Fin de l'acte 1