[Au carrefour de la rue des Ambuleurs et de la rue des Comtes]
Enfin...
Enfin ce voyage, du moins sa première partie, venoit à s'achever. Un long soupir s'échappa de la silhouette enveloppée dans l'épaisse cape de laine, et la cavalière se laissa glisser le long du flanc senestre de sa fidèle jument. Sentir ses pieds toucher le sol à nouveau luy fict grand bien, et elle prit un instant pour observer le village.
Bien des choses sembloient avoir changé depuys son départ, Handek et Lanayabel n'avoient point menti ! Son regard tomba presque aussitost sur une masure en ruines, et un nouveau soupir affaissa ses épaules. Le Moulin à Paroles, autrefoys rutilante auberge peuplée de rires et de beuveries en tout genre, n'estoit désormais plus qu'un informe amas de pierres abandonnées entre deux maisons.
De nombreux souvenirs affluoient à son esprit, remembrances d'un temps de joie et d'insouciance. Une époque définitivement révolue, désormais, puisque plusieurs membres de la joyeuse troupe qu'il formoient alors estoient morts. Beren, Morgauth, et plusieurs aultres, dont un en particulier, auquel elle se refusa de songer, du moins pour le moment. Il serait jà assez difficile d'évoquer son souvenir dans quelques jours, lorsque la messe débuterait...
Le regard de la brune encapuchonnée dériva vers l'église, ceste église en laquelle elle avoit aymé célébrer messes et offices, ce sainct lieu qui estoit toujours bien entretenu grasce à une femme de foy qui sembloit avoir faict bonne impression à Lys. Voir le presbytère réparé et visiblement occupé et entretenu luy réchauffa le coeur, à elle qui avoit un temps prit la décision de résider en ceste grande bastisse pour éviter qu'elle ne tombe en désuétude...
Un peu plus loin, ce fut une haulte et mince demeure qui attira son attention, et son visage se décomposa quand elle se rendit compte de l'état extérieur de l'habitation. SA maison... Dans un pareil état de délabrement... Les volets de bois qu'elle avoit faict poser sur les fenestres des chambres pendoient lamentablement aux murs ; des herbes folles avoient faict leur apparition entre quelques pierres descellées ; le potager -du moins, le peu qu'elle en vict de sa position- sembloit bien peu entretenu ; le carreau d'une fenestre de l'étage estoit mesme brisé, laissant le vent et le froid entrer dans la demeure.
Mon Dieu... Murmura-t-elle, dépitée, n'osant imaginer que son mary ait pu vivre dans ceste demeure sans en prendre soin.
Jetant un dernier regard sur la maison, elle fict faire demy-tour à sa monture et entra à pieds dans le quartier des Ambuleurs, pensant aller toquer à la porte d'une certaine herboriste, en espérant que la damoyselle en question résiderait toujours en la cité mainoise. Une façade attira néanmoins son attention. La bordelaise décida, au bout d'un infime temps de réflexion, d'entrer dans la taverne, non sans avoir attaché les resnes de sa monture à un anneau de fer planté dans le mur.
[Dans la taverne, parce qu'il faut bien entrer à un moment...]
La main pousse la porte de l'establissement, le coeur bat à se rompre dans sa poitrine tant elle craint de déranger un quelconque rassemblement d'amys qui ne voudront peut estre plus d'elle parmi eux, le regard se voile un instant à cause de la fatigue, les prémices d'un vertige manquant la faire trébucher. Se ressaisissant en inspirant profondément, l'encapuchonnée se dirige vers la silhouette du tavernier en boistant légèrement, tant elle estoit ankylosée par ce voyage à dos de cheval, et pose sa main dextre sur le bois resche du comptoir.
Elle n'a point vu le couple assis près de la cheminée, aussi ne regarde-t-elle que sa main étalée sur le comptoir, qui, lorsqu'elle la retire, dévoile quelques pièces déposées là, en échange d'une commande de victuailles, la première depuys dix jours, puisqu'elle se contenta de pain sec durant son voyage.
Un potage et un verre de vin chaud, je vous prie...
Et, d'un geste souple et ample, elle abaissa la capuche de sa cape, laissant apparaistre son visage entourée de la guimpe blanche, puys dégrafa l'attache du vestement de voyage et le déposa sur un tabouret, dévoilant ainsi son immaculée tenue de veuve.
Brune aux yeux verts, le teint un peu plus pasle qu'auparavant, mais le mesme visage, quoiqu'agrémenté de quelques fines ridules, désormais, l'arrivante n'estoit point une inconnue pour certains montmiraillais.
Eloin Bellecour estoit de retour, pour quelques jours certes, mais elle estoit là..._________________