Le temps était à lintermédiaire, ce matin-là. Un intermédiaire météorologique, entre des pluies qui sétaient avérées fortes les derniers jours et un beau temps printanier qui semblait tout proche, presque à portée de la main. Lors de la traversée de lAnjou, leurs arrêts dans les tavernes sur la route avaient permis de voir que le moral de la populace, bien que pas au niveau des cumulonimbus aux teintes anthracite qui surplombaient le Duché, était au moins optimiste pour les récoltes. On prévoyait une bonne récolte ; et on en louait les régnants, qui faisaient régner la paix dans une région qui ne lavait plus connue depuis bien longtemps. Les nuages du ciel étaient des peintures impressionnistes à eux-seuls, teintés de blanc, de brun, de gris, de noir. Le ciel bleu ajouté aux rayons dor pur du soleil qui passait à travers les nuages noirs qui étaient les derniers restes des averses précédentes donnait à lensemble du domaine qui souvrait à leurs yeux un charme de bocage paisible et tranquille, un charme de retraite en pleine nature, à labri des embûches, des intrigues, des cabales et des complots. Le jeune écuyer comprit pourquoi son maître affectionnait tant ces terres en un tour du regard. Posant pied à terre, il donnât les quelques ordres dusage à lescorte, leur donnant lordre daller prendre possession des écuries et dy aller bouchonner les chevaux. Que si on les importunât, quon leur dit que lon venait au nom de la Dame de Vergy ; la tante du Comte de Beaumont-sur-Sarthe ; Cerridween. Le jeune homme était comme à son habitude habillé de façon sobre mais élégante, considérant que ce nétait pas parce que lon était chevalier que lon devait se voir habillé comme un pouilleux. Et le jeune garçon à la démarche de Faucon déplumé qui paraissait flottant dans ses frusques savança à la suite de son maître, supportant le coffre qui contenait les affaires du chevalier, observant la bâtisse qui leur faisait face. Cétait un petit manoir comme il en existait beaucoup. Le lierre montant sur la façade lui donnait un aspect bucolique, qui lui donnait limpression de se trouver devant quelque demeure de princesse dun conte de fée. Les couleurs saccordaient à la nature, donnant une impression réelle de calme et de paix. Oui... Ce serait une bonne halte.
La chevauchée sétait faite paisiblement, la troupe tentant de ménager le chevalier blessé quils convoyaient. Pour deux personnes voyageant, Adrian sétait adjoint les services de trois sergents dIsle, placés sous la responsabilité dun tout jeune chevalier à son service ; il avait de plus emmené Rufus avec lui, sachant que la Pivoine appréciait sa présence ; un valet ; un clerc pour rédiger ses missives. Shiska et Bess Saincte-Merveille les accompagnaient, complétant le cortège. Le tout, avec la nourriture de bouche nécessaire au voyage, ainsi que les cadeaux quils porteraient au mariage de la Duchesse de Bellesme et du Duc de lAigle, où ils étaient conviés. Il avait aussi fait faire une armure de joute à un armurier de Laval, qui les rejoindrait dans la semaine. Ils étaient ainsi onze à voyager jusquà Léard, sous gonfalon arborant les couleurs dIsle et de lOrdre Royal de Chevalerie de la Licorne. Rufus était parti soccuper de linstallation et voir avec les domestiques du manoir pour préparer les chambres, brandissant au besoin la missive du Comte, le neveu du chevalier, pour sassurer que tout fut fait dans les règles. Les hommes soccuperaient des écuries et de linstallation de la calèche ; le jeune valet de linstallation des malles du Vicomte et du Chevalier, ainsi que de celle du clerc. Chacun affairé, le jeune homme était seul face à la porte, avec son Chevalier. SON Chevalier. Celui quil avait trouvé à La Rochelle après sêtre fait balader par Armand. Celui qui lui avait fait verser des larmes de joie autant que de consternation lorsquil avait constaté son état. Et Adrian de sourire, dans le dos de son chevalier, en se souvenant que la dernière fois quil avait pleuré
Cétait en constatant que sa mère était devenue folle. A lier. Et quelle ne pourrait plus soccuper de ses terres, de sa famille, ou delle-même. Jeune homme sans famille aimée
Il revivait de sentir son Chevalier aller de mieux en mieux. Ainsi que de la voir rire. Il est toujours plus sécurisant davoir un tuteur heureux que malheureux.
Le domaine de Léard lui donnait une impression générale de pépite dor chargée de charbon ; le genre de perle quil faut dégager à la pioche pour faire fructifier, mais qui donnerait une belle pépite. En effet, les prés gras du domaine, les petits bois à proximité, les cours deaux serpentant à travers les terres et les hameaux formaient la base dune seigneurie potentiellement intéressante si elle était bien gérée. Il suffirait dune année dune gestion appropriée par un seigneur compétent pour que cette seigneurie donne un revenu au Chevalier qui lui permettrait de ne plus compter que sur sa charge de Capitaine pour subsister. Et cest sur ces réflexions que les souvenirs, comme souvent, affluaient.
Une discussion sur la route, alors quils cheminaient vers Léard. Une discussion longue entre le jeune écuyer et son Chevalier, qui lui avait raconté beaucoup : son frère, la mort de son frère, son élévation au sein de la Licorne, la période où elle avait été Dame de Léard, sa belle-sur, Izarra de Ozta dHarlegnan, lune des plus influentes femmes du royaume, et les querelles de famille. Elle lui avait peu parlé de Guilhem en lui-même, sinon de sa période en tant que fils déshérité. Une discussion qui avait donné des jours nouveaux à la vie de son Chevalier, et laffection de grandir à sa suite.
Adrian sétait montré au plus prévenant lors du trajet, tâchant de faire en sorte que le trajet fut le moins inconfortable possible pour le Chevalier. Il sétait acquitté des formalités administratives sur le trajet, Guilhem soccupant de leur installation en Maine. Il avait de plus préparé les annoblissements dIsle sur le chemin, sassurant que le mariage entre sa sur et Guilhem se ferait bel et bien. Resserrer les familles pour mieux se serrer les coudes : voilà quel était lun des crédos actuels du Fauconnier. Et cest ainsi que, arrivé à Léard, il était derrière son chevalier, à lentendre rire, dun rire dune pureté quasi-magique, comme un ruisselet qui sortirait dun tonneau fermé depuis bon temps. Un rire empreint dune tristesse toujours sous-jacente, et qui était particulièrement visible par une cicatrice que le jeune garçon avait constaté : celle de la brûlure de sa marque daffrèrement
Sujet sur lequel il navait osé poser de questions : sétant rendu compte par lui-même de ce chamboulement de lamour dû au Chevalier de Lazare. Leur venue à Limoges, avant de rejoindre la Rochelle, avait particulièrement bien illustré le malaise dans le couple chevaleresque. Souriant derrière son chevalier, Adrian sapprocha delle par derrière, et posant le coffre du Chevalier à terre, posa doucement la main sur son épaule valide (la GAUCHE, foutredieu !). Motivé par la sensation de bonheur qui coulait delle, il renchérit :
- « Oui. Un bel endroit pour vous reposer. »
Ils pénétrèrent alors dans la salle dentrée du manoir, suivis par le valet qui portait le coffre du Vicomte, ahanant sous leffort, comme Adrian ahanait sous celui de Cerridween de Vergy, désormais à nouveau Dame de Léard.