--Eudes.
Malgré la neige, les chiens avaient facilement trouvé la trace de la gamine au sortir du domaine et avançaient vite, tirant de toute leur force sur leur longe, sétranglant à demi. Il faut dire que cétait les deux meilleurs brachets de la meute. Infatigables et obéissants, tenaces et intelligents, déjouant les ruses du gibiers comme aucuns autres Bonne race que ces Saint-Hubert ! D'ailleurs, leur maitre était particulièrement fier de partager son prénom avec ce qu'il considérait comme les meilleurs chiens du monde et y voyait un signe favorable du destin .
Mais Eudes commençait à être essoufflé. Trop mangé, comme dhabitude. Il aurait su quils allaient devoir cavaler après la fille, il aurait soupé plus léger. Enfin cétait un gibier facile, elle ne pouvait aller bien loin dans son état. Heureusement, la pensée de la bourse rebondie promise par le seigneur lui redonnait énergie et belle humeur.
Holà vous autres, freinez les chiens ! Inutile de sépuiser à courir, nous aurons vite fait de la rattraper !
Les hommes ralentirent le pas, obéissant à lordre lancé par le chef de traque. Mieux ne valait pas contrarier lhomme ni surtout lui laisser remarquer à quel point, à trop abuser des plaisirs de la table, il perdait de sa forme physique pour gagner des formes. Eudes baissait, tout le monde le savait. Mais il était connu pour ses colères brutales et avait la confiance du maître qui lui laissait toute liberté pour la conduite des hommes du domaine
En revanche, les deux bêtes qui navaient guère quitté le chenil ces dernières semaines en raison des intempéries avaient, elles, envie de courir. Excitées par cette chasse, elles gémissaient d'impatience et rivalisaient daboiements. Eudes était quasi certain qu'Hubert les écoutait et suivait leur progression de loin, devinant à l'oreille qu'ils étaient sur la trace.
Halte ! Passe moi donc ta torche toi .
Eudes empoigna le bois enflammé que lui tendait le borgne, prétextant examiner les traces de pas pour faire une pause. Les empreintes nétaient plus guère visibles. Heureusement quil y avait les chiens. La fille avait pris la direction de la forêt, la folle ! Car il fallait lêtre pour croire échapper à un homme comme Hubert, et plus encore de filer dans les bois pour sy cacher. Il ignorait combien davance elle avait. La vieille sétant endormie, elle avait été incapable de préciser quand la gamine avait pris la clé des champs. Enfin la clé des bois, hahaha !
Lui connaissait la forêt comme sa poche et la capture de leur proie ne faisait pas lombre dun doute. La rivière qui coupait les terres allait rapidement bloquer sa fuite, si toutefois ses forces la laissaient aller jusque là. Ensuite elle naurait dautres choix que de prendre à senestre en direction du marais ou de suivre la rive vers l'aval, ce qui la ramènerait au village.
A la limite, il espérait presque ne pas la retrouver trop vite, histoire de samuser un peu avec cette chasse inédite.
Non, ce qui le préoccupait, cétait de trouver prétexte pour ne pas partager la prime. Quelques écus suffiraient pour contenter les hommes mais avec Maurin, ça serait une autre paire de manche. Celui là commençait à lui porter sérieusement sur les nerfs. Toujours à fanfaronner auprès du Maitre, toujours à le caresser dans le sens du poil pour lui souffler quelques cruautés inédites lorsquil sagissait de sévir. Il commençait à faire de lombre à Eudes qui navait aucune envie de perdre sa place dhomme de confiance. Bah, il trouverait bien une faute à lui coller sur le dos le moment venu, histoire de montrer la sottise et la veulerie de ce fourbe.
Allons-y !
Il rendit le flambeau à Maurin et les cinq hommes se remirent en route à son signal.