Allyxia
Il était fort tôt ce matin-là quand Allyxia alla secouer vivement les épaules de Louison pour la réveiller, comme cela semblait être devenue une habitude depuis quelques jours, au grand dam de la nourrice, devenue un peu femme à tout faire dans cette maison. Et pour cause, Dame Allyxia savait d'un lointain courrier que son amie Gyldas viendrait lui rendre une malheureuse visite un peu avant que toute la Nature se mette en joyeuse ébullition, sans avoir plus de précision. Il était donc normal que la maîtresse de maison veille à ce que sa maison soit plus que présentable lors de cette arrivée tant redoutée.
Plongée dans un confortable fauteuil en bois assez rare et recouvert de velours rouge accordé à la couleur de ses cheveux, petite folie qui lui valut certaines remarques, lorsque son acquisition fit le tour du quartier, des religieux à qui elle ne filait plus un sou depuis longtemps lors des messes, Ally n'arrivait pas à apprécier sa détente. Ses pensées s'étaient perdues au milieu des tristes mots qu'avait adressé Gyldas quelques semaines plus tôt...ou quelques mois, elle ne savait plus.
La vie est cruelle...un jour nous avons tout, la beauté, la santé, les ambitions, le monde s'ouvre à nos pieds...et sans que l'on s'y attende, tout nous est repris..juste parce que notre tour est passé...saisissant alors un miroir à main qui se trouvait là, elle y regarda son reflet et continua sur le même ton las alors on a beau faire... s'afficher au bras d'un homme plus vieux pour paraître plus jeune, ou au contraire, s'afficher avec gamin dans l'espoir que sa jeunesse déteigne...porter des robes au luxe indécent et aux couleurs que seules les jouvencelles peuvent se permettre, s'abreuver continuellement de tisanes bienfaisantes, cacher sa mine blafard et ses rides sous une tonne de fard... le temps n'a pas de maître et il marque tout le monde...
Sans en avoir conscience, c'était tout haut qu'Allyxia avait laissé échappé ses complaintes, et ce fut la présence de Louison qui la fit taire, elle qui avait la jeunesse devant elle et qui, malgré ses vêtements d'un banal tout à fait correct, promettait d'être plus que jolie. La maîtresse de maison, quelque part, la jalousait sans pourtant lui vouloir du mal bien que cette insolente avait cru, plus d'une fois, être dans son droit en jouant d'illades déplacées à l'adresse de l'amant de sa patronne.
Si tu as fini, tu peux te retirer, je m'occuperai moi-même des enfants dès qu'ils seront levés. Mais tiens toi prête à bondir sur tes pieds au plus vite si tu entends le moindre bruit de sabots s'approcher du perron !
Cela aussi était devenu recommandation quotidienne. Au premier bruit, pas de doute qu'il s'agirait de Gyldas car Ally ne recevait presque plus de visite et cela était normal, Ally s'était quasiment coupée du monde, rayant ses visites en tavernes et oubliant les ramponneaux. Parfois seulement elle invitait quelques proches amis à se joindre tout de même à une partie de cartes.
... Soupir lourd de tristesse.
Depuis plus d'une heure qu'elle était avachie sur son velours, Ally n'avait cessé de penser à sa propre personne alors qu'il s'agissait de sa meilleure amie ! Elle était malade...très malade...trop malade à ses mots... Comment le supporter, comment la soutenir, comment réagir...tant de questions auxquelles elle n'avait guère de réponse, car chaque fois qu'elle avait voulu s'y pencher sérieusement, en repensant au cas de son amie, il était difficile pour la rouquine de penser que la vie ne tarderait sans doute pas à la rappeler également...
Il était encore très tôt, et devant le feu de cheminée, Allyxia se permit une petite pause en fermant les yeux.
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On implore le Ciel si on nous piétine
Mais on devient fier quand on domine !