Même si le fait de retrouver sa lame, son épée, son symbole, sa raison d'être ou plutôt sa façon d'être par cette lame, qui à elle seule symbolisait toute sa vie passée, c'est Corentin qui bouleversa bien plus l'ancien Chevalier.
Avait il appris Là Haut, ou bien était ce l'âge ou la maturité, ou encore une sensibilité à ces choses acquises avec le temps et révélée depuis peu, mais les émotions de son frère d'armes le transperçaient de toute part.
Leurs mains jointes sur le fourreau de métaux et de cuir ouvragé, patiné par des années d'errance, de sueur, de douleur et de milliers de lieues... Cette arme pour "répendre Ta Parole, épée au clair", ce lien fragile et unique, supruissant qui les liait par delà la mort, car il n'était que renoncement et abandon d'eux même pour une cause plus haute et plus noble que leur indicible et médiocre existance...
Comme encore il y a peu à Rome, les laïcs ne comrendront jamais rien. Ils le savent pas ce que c'est, ne peuvent le concevoir. Non, comme toutes ces futiles armées, fussent elles composées de païens, de patres ou de citadins, de bourgeois ou même de Chevaliers. A peine ces derniers savaient ce qu'était la Fraternité et l'Union... Ils ne vivaient pas, ils attendaient la liberation de leur servitude volontaire et joyeuse, au service du Très Haut... En attendant de Le rejoindre... Comment pourraient ils comprendre ?... Comment pourraient ils espérer ne serait ce que vaincre un homme qui transcende la mort, entraîner à ce fait et portant en lui l'expérience de générations de Frères avant lui ?...
Ces sensations, celles de Corentin, celles de Kreuz, se mêlaient presque. Il avait enduré mille souffrance. Etait parti pour Béziers le moignon encore tiède de la lame qui l'avait cautérisé. Il avait chevauché l'épaule démise. Il avait fait cent lieues avec des flèches au travers du corps. Il avait eût la gorge à moitié tranchée et avait continué son Commandement comme si de rien n'était, ou presque...
Corentin le savait, mais Kreuz ne savait pas ce que ce dernier avait vécu, souffert en enduré pour lui. Mais trop de veillées funèbres, trop de crépuscules sur les champs de batailles où disparraissaient les grasses herbes au profit des amoncellements morbides et putrécents des tas de corps, de morceaux de chairs et d'êtres auparavent humains, où la main de l'un carressait le cerveau à nu de l'ennemi à côté, où les vers rongeaient les yeux et grouillaient dans les langues... Trop de toutes ces horreurs marquant à jamais son âme et son esprit rôdaient. Et il connaissait pour l'avoir fréquenter intimement des semaines durant, l'odeur froide et humide de la Mort, et il connaissait le son de son pas pas lent et inéluctable.
Il avait souffert mille mort son Frère. Leurs yeux délavés par tant de choses tristes et laides le savaient, et leurs coeurs aussi.
Cette vie, lui l'avait oublié presque depuis sa mort, comme lavé par les Archanges ou par un quelconque bienfait divin. Ses rêves ou cauchemars s'étaient atténués, et cela grâce à une Dame présente ici, qui l'avait veillé et soigné tant et tant qu'il avait fini par sortir de sa torpeur...
Mais lui, son Frère était toujours prisonnier, e ndedans de lui même, prisonnier de démons qu'il ne pouvait sans doute même pas suspecter, du moins Kreuz l'espérait il... Car voir ceux ci de face est parfois pire que de juste les soupçonner d'être là, vrais, inplacables, maléfiques...
La présence d'Ellesya le troubla, ses sentiments aussi étaient confus. Il y avait de quoi...
Corentin repartait, mais pas bien loin sans doute. Il regarda la petite, interdit, puis sa main qui tenait fermement et l'épée et la petite bourse de cuir. Il savait ce qu'il y avait dedans. Une petite croix du Temple qui ne quittait jamais son cou, tout contre celle d'Aristote. Et qu'il avait arraché un jour, après sa mort, pour la remettre à Corentin. Toute une symbolique. De chaîne brisée, de maillons faiblissants qui se rompent, de sang versé, de Croix tombée...
Il inspira profondément et se cru presque sur un champs de bataille, tant son sang frappait fort ses tempes et que sa vision était réduite à néant, comme lors d'une chute, au coeur de la mêlée furieuse, ou le heaume aveugle et gêne plus qu'il ne protège.
Il se souvint qu'il n'était pas seul avec Ellesya... Pauvres invités, pauvre Corentin...
La vie est ainsi faite, on est toujours rattrapé par ses propres démons. Les siens au moins, il les avait toujours connu, et combattu. Si un de plus se dressait, il l'abbatrait, sans pitié, sans hésitation, saine haine ni violence inutile. Il restait et demeurait une arme au service du Très Haut. Plus que jamais sans doute...
Il avait découvert, il y a peu, que malgré les tentatives de certains, personne ne pourrait gommer son empreinte sur les institutions ou les coeurs de ceux qui furent les siens, ses frères, ses subordonnés. Il avait droit de vie ou de mort sur eux auparavent. Et avait toujours eu conscience de cette immense et lourde tâche.
Aujourd'hui Corentin était dans cet état par sa faute, il devrait l'en sortir.
Il posa l'épée. L'Epée des Grands Maîtres ainsi que la bourse près de la Relique de Saint Arnvald. Un beau résumé de son existence passée...
Adressant un sourire d'usage plus que sincère à ses convives, ses yeux étaient devenuent plus durs. Il posa sa main sur la joue d'Ellesya et regarda le Seigneur de Talloires tout aussi interdit qu'il ne le fut quelques instants auparavent...