Atl
Les yeux de Zãzanilli. Noirs. Que les dieux laient voulu
y croit ? n'y croit pas ? aucun moyen dêtre sûr.
Et ceux de lautre, défiants, soupçonneux et bien sûr, que le soupçon est fondé. Mais laisser planer le doute. Soutenir ces yeux là. Cest facile, tellement facile.
Même que ça marche. Ô miracle.
Plutôt grâce au soutien inespéré d'une gamine, au fait. Déjà vue quelque part, la dite
et pourquoi
Atl balaie les questions de son esprit. Chacun ses raisons. Tant que ça marche.
Temps de s'inquiéter du reste.
Moins facile.
Il ne veut rien dire, pas avec des témoins. Aurait peut-être dû. Parce que Papalotl l'a fait à sa place, avec tout l'à-propos dont sont capables les gamins d'avant la conscience : elle babille. Atl n'a même pas le temps de former la pensée que c'est une mauvaise idée.
Claquement.
Rire sectionné comme on tranche une liane dun coup sec. Papalotl cligne des yeux, lespace dun instant, saisie par la soudaineté du geste puis, brûlure, et des vagissements qui ne font que commencer.
Au temps pour la discrétion, se surprend-il à penser.
Je te fais trop de soucis.
Et cest pas prêt de sarrêter la réplique naît dans sa tête, et ne descend même pas jusquà ses lèvres, trop consciente d'elle-même. Ça me regarde.
Atl plaque la mioche contre sa poitrine, vagissements étouffés, applique une main froide contre la joue brûlante, murmure à sa petite oreille des mots sans suite, peut-être même pas des mots, le son fait sens, ou inversement, pour apaiser, pour la faire taire, cest important, ça ne sera rien, tu dois comprendre, petite fille, mon papillon, tout ira
tout ira ; et emboîte le pas à Zãzanilli.
Le temps presse.
Le prendre est un luxe.
Le couteau resté dans les langes. La tête travaille plus que jamais. Du coin de lil, sassure si la petite brigande, et lautre, la femme, les suivent.
Atl
De temps en temps, la moindre remarque serait toxique. Alors, sabstenir.
Bien entendu, Papalotl, du haut de ses dix mois, ne saurait saisir les subtilités de cette raisonnable vision des choses. Les sanglots quelle hoquetait encore sur la poitrine du jeune homme regagnent en volume dès qu'il savise de la poser par terre.
Sagenouille auprès, va chercher le couteau nettement plus affûté que la chose dénichée on ne sait où
à toutes fins utiles
dans la main valide de Zãzanilli, approche les doigts des mèches douloureuses. Non que son sens esthétique fût particulièrement chatouilleux en matière de coiffure ; mais.
Alors que les cheveux lui glissent sur les doigts, il savise quil ny avait jamais touché.
En même temps, pourquoi laurait-il fait, hein ?
Atl na jamais coupé les cheveux de qui que ce soit. Enfin, les siens, vous vous doutez, mais c'est différent.
Précis, soigneux, il fait glisser la lame, vers loreille, la joue, le coin des lèvres, les mèches noires dévoilant à mesure le profil de la mâchoire.
Glisser derrière elle, et pour déjouer le silence, lancer sans conviction :
- Mieux comme ça.
Ce qui nest pas exactement faux, nonobstant le fait indéniable que ceût difficilement été pire.
Puis répéter lopération.
A la fin, il ne sait plus trop s'il doit regarder le profil de la jeune fille, ou pas. En tout cas, il la regarde.
En trame de fond, un chapelet de petits cris plaintifs la bande son commence à fatiguer.
Paume ouverte, il soupèse le couteau, ou lidée de ce quil faut en faire
jusquà lenfermer à nouveau entre les doigts de la jeune fille. Sait-on jamais.
Une bonne chose de faite, en tout cas. C'est bien aussi, les étapes rondement menées.
Atl détourne enfin la tête, glisse sur le sol, pour lui faire face. Sa main, de son propre chef, vient se poser sur la tête de Papalotl.
- Une idée pour la suite ?
La question lui laisse en bouche un vague goût de déjà-dit.
Atl
Ne pas laisser faire. Un léger sourire a tiraillé sa mâchoire, au moment de l'entendre dire - Zãzanilli, même sans natte, reste Zãzanilli.
Et les dieux, dans tout ça, demandez-vous ? Les dieux ne président pas aux combats contre les fauves, eût répondu Atl, s'il vous avait entendu ; z'ont autre chose à faire. Puis, il a gagné, et après ? Il en a déjà trop pris. Et pour finir, les dieux n'ont jamais prôné le fatalisme et le laisser-faire.
En réalité, Atl n'a même pas besoin de penser à tout cela. Trop évident.
Sans mot dire, il assiste à l'arrivée du gamin, suivit de peu par Atik ; l'envie de trancher une gorge lui saisit le corps, comme un instinct, remontant tout droit des muscles pour s'imposer derrière son front, image claire et tentatrice, n'attendant qu'une impulsion électrique pour...
... reprendre, calmement, Papalotl dans ses bras.
Et attendre. Regard exclusivement, désespérément bleu, vissé sur... l'autre, là.
Lorsque la voix de Lerias retentit à l'extérieur de la hutte, il ne frissonne même pas, tant la détermination raidit ses muscles. Au fait... il n'est même pas certain qu'il eût tiqué en temps normal. Passons. Les yeux noirs attirent un moment les siens - pas besoin d'y lire quoi que ce soit, même pas de deviner, c'est bien trop évident. C'était décidément une énorme connerie.
Et tandis qu'elle sort, il se glisse à sa suite, caché dans l'embrasure. Sa main se referme, à l'intérieur du drap à l'odeur d'enfant, sur le manche du couteau émoussé.
- Oh, c'est toi ? Je ne t'attendais pas de sitôt. Moi non plus.
J'instaure quelques règles, Choupinou. Un sourcil s'arque sous l'effet de l'étrange surnom. Réflexe. Jamais compris qu'on puisse appeler qui que ce soit comme ça. Je vais finir de me faire belle... S'il était possible, sa mâchoire se serait encore raidie. En m'trouvant d'quoi m'faire une attelle. Puis j'te suis. De mieux en mieux. Et, jusqu'à la nuit venue, je garde le couteau. Et coupe tout ce qui me touche.