Intérieurement, Soap ne pouvait qu'admirer cette femme qui poursuivait sa bataille, même avec du poison les veines. Sa démarche était sacrément instable mais elle était tout de même parvenue jusqu'à sa fille. Lentement, tout en serrant les dents, l'homme se redressa et vint se placer devant Caro, le corps inanimé de la petite formant un maigre petit rempart entre eux.
D'un regard sans émotion, il fixa la jeune femme dont l'inquiétude lui ravageait le visage. Les épaules basses, le dos voûté, un bras maintenant la veste tandis que l'autre cherchait le pouls de la victime, tout dans sa posture la rendait comme soumise. Il avait fallu pour cela lui faire boire du poison, se battre avec un rapport de force inégale, et rajouter un intense choc émotionnel de la condition de sa fille. A cet instant, l'eau qui frappait ses épaules nues ne le gênait pas, il ne sentait plus rien à part ce froid et le regret d'avoir tiré cette flèche.
Bien vite, elle lui donna des indications, des ordres même. Elle voulait qu'il lui rapporte de quoi soigner la petite. Seulement, pourquoi accepterait-il ? À quoi cela lui servirait si ce n'était qu'écarter un problème pour retrouver toute l'ardeur de sa détermination à ne pas lui obéir ?
Soap resta immobile, plongeant sans regard dans le sien alors que son esprit luttait entre deux choix. Il ne voulait pas que l'une des deux meure, c'était leur indifférence face à la menace qui les avait conduites toutes les deux à ce résultat. Le bruit du déluge, l'eau claquant sur le sol, inondant le corps sans vie pour ruisseler le long de ses petites courbes et de ses cheveux lui rappela une sinistre période. Alors qu'il tenait toujours le regard de son demi-adversaire, des voix remontèrent du plus profond de son esprit, de zone qu'il avait condamnée par la douleur et la peine. Des bribes de paroles, des «
pitiés » et des «
je t'en supplie » de sa femme qui pointait sa main vers lui alors qu'on la ravageait de la pire manière qu'il soit. Adria, une femme si belle et si gentille, tel la perle inoffensive qui nous apporte tant, mais qui est si facile à déduire.
Les faits en étaient là, il avait perdu Adria en même temps que son honneur à travailler pour celui qui avait mis ce contrat sur la tête de sa compagne. Elle était partie dans d'horribles souffrances et elle l'avait quitté en emportant son âme, la vengeance étant sa dernière raison de vivre. Les clichés des horreurs qu'il avait vu se mélangeaient, s'entrechoquaient, devenant de plus en plus intense au point de lui faire mal au crâne. Les yeux de Caro, cette couleur qui passait d'un ton à l'autre selon l'humeur, c'étaient les mêmes. Il y eut cette dernière image, le visage d'Adria tout prés du sien alors qu'ils couchaient dans une petite cabane de chasseur. Pas d'eau, pas de feu, un maigre éclairage. Leurs présence mutuelle leurs suffisait amplement. Une petite partie de lui, une partie qui appartenait à sa défunte, lui suppliait de garder en vie ces deux femmes, qu'elle n'aurait jamais voulu qu'il fasse ça. Mais une autre, bien plus grande, hurlait de rage, maudissant le responsable, hurlant d'un cri infini l'appel à la vengeance.
- Tu as les mêmes yeux qu'elle...Murmura t'il.
Léger silence durant lequel Soap quitte le regard pratiquement suppliant de Caro.
- J'ai une meilleure idée.Sans rien dire de plus, il se redressa comme il put et l'agrippa par les épaules, la forçant à se relever.
Doucement, il la fît monter sur la selle du cheval qu'elle lui avait désigné un peu avant, luttant pour la maintenir en équilibre tout en mettant ses pieds sur les étriers. Une fois que ce fut fait, il porta Clémence dans ses bras et la disposa de manière à ce que sa mère puisse la bloquer entre son corps et la nuque du cheval en question. Après avoir récupéré la dague sur le sol trempé et d'avoir attaché le cheval nerveux à un arbre, il prit les rênes et claudiqua à travers les bois, quittant le chemin pour une destination qu'il était le seul à connaître. Durant le voyage, il ne pût déterminer s'il s'était écoulé quelques minutes ou des heures, ou encore si Caro lui avait demandé où il l'emmenait. La réponse lui apparaitrait très vite puisqu'il s'arrêta devant l'entrée d'une grotte. Rapidement, comme s'il connaissait l'endroit, il emmena Clémence à l'intérieur. Les couleurs l'avaient quitté, à croire qu'elle était déjà morte. Une fois qu'il l'eût déposé sur un épais tas de peau de bête, peaux disposées de manière à faire une couche assez confortable, il alla chercher la mère de l'enfant. Il était grand temps que cette escapade s'arrête. Marcher avec sa blessure n'avait fait qu'aggraver son état d'épuisement et à présent, il luttait presque pour tenir debout.
Après s'être muni de la sacoche, il aida Caro à descendre de cheval. Elle semblait de plus en plus faible, ses mouvements devenant extrêmement lent. Conscient qu'elle ne tiendrait plus très longtemps debout, il prit son bras qu'il plaça au-dessus de sa nuque afin de la supporter puis l'attira dans le noir obscur de cet antre. À peine arrivé, la jeune femme faillit s'écrouler en poussant une légère plainte. Soap força un peu plus pour l'approcher de la paroi et lui permettre de s'y appuyer.
- Bouge pas ! Je reviens !À taton, il poursuivit son chemin dans le noir, se servant de ses pieds pour trouver quelque chose. Finalement, après une trentaine de seconde, il trébucha contre le tas de bois dont l'odeur n'avait rien de naturel. Fouillant dans les environ, il attrapa les deux silex qu'il claqua d'un geste tremblotant. Les étincelles ne tardèrent pas à enflammer l'huile de baleine qui dévora petit à petit le bois, créant rapidement un feu de camp qui irradia la grotte d'une lumière dansante. A présent bien visible, Soap analysa rapidement sa planque en espérant que rien n'avait bougé en son absence. La gamine était enveloppé dans les peaux de bête, lui enflammait à présent une torche pour revenir prendre Caro.
L'aidant d'une main à se déplacer, elle finit par perdre l'équilibre et s'écroula sur la roche en position assise, voir à genoux, les irrégularités du terrain l'ayant égratigné sans qu'elle ne s'en rende compte.
Elle était atteinte, peut-être trop pour pouvoir soigner sa fille. Alors que le feu réchauffait l'eau qui avait imbibé leurs vêtements, leurs regards se croisèrent à nouveau, l'un impassible et l'autre terriblement affaibli. À cause de ce poison, l'étincelle qui faisait l'ardeur de son regard s'était dissimulé derrière un léger voile opaque, comme ceux des anciens qui atteignaient la fin de leurs vies.
- C'est ma planque...Je ne comptais pas ramener de la compagnie mais...Nous serons à l'abri.Léger silence, la tête de Caro se penche brutalement, un soupir de lassitude étant la seule chose qui raisonne en ces lieux. Brusquement, Soap lui balança une claque, espérant la ramener un peu plus à la réalité. Sa main qui lui avait fait ce coup partit alors dans sa poche, s'emparant du dernier flacon en sa possession. Le laissant hors de portée, il fixa son regard dans celui de la jeune femme puis lâcha alors :
- Avale ta fierté Caro...Oublie là ! C'est ce qui m'a détruit...Il lui tendit le sérum.
- Tu veux t'en sortir ? Sauver ta fille ? Alors dis-le...