hildegarde.
Le 20 Mars - Tolon, Ville Franche
Encore une journée sans joie, sans rire, sans chaleur malgré les rayons dans lesquels le soleil les avait baignés alors qu'ils jouaient avec la porteuse de faux.
Encore une journée de combat, de douleur, de blessure, de mort...
Il estait vivant... Du moins il l'estait il y a quelques jours selon ceux qu'elle avait rencontrés en taverne. Elle avait emprunté une grande partie des rues espérant croiser ses tresses... Mais aucune vision de sa haute stature. Ses pas l'avaient ensuite amenée à arpenter une partie du campement, sans grand succès. Estait-il parti en mission? Loin de Tolon? Ses paupières s'abaissèrent quelques instant, moment fugace ou elle s'imagina croiser son regard, sentir la caresse de ses doigts sur sa joue...
- Ma Dame, il faut rentrer... Cela ne sert à rien de rester ici, vous ne le trouverez pas ainsi...
Long soupir, les cils de la Belle se mouvèrent enfin pour embrasser du regard le champ de bataille jonché de corps.
- Vous avez raison Pépin, il y en a tellement... tellement trop...
La fleur de l'espérance qui naissait chaque matin se mourrait le soir, pour renaistre à nouveau après une nuit salvatrice ou la Donà pansait les blessures de son coeur... Mais les pétales devenait de plus en plus fébriles à mesure que les jours passaient... Chaque jour estait une lutte contre les démons qui lui sussuraient qu'il fallait l'oublier, qu'il ne reviendrait jamais... Point de résignation, mais conviction qu'un jour elle croiserait la noisette de ses tresses au détour d'une ruelle.... Ou peut-estre n'estait-ce qu'aveuglement de la Donà de Brison Saint Innocent qui ne pouvait se résoudre à accepter le mauvais sort qui semblait leur estre réservé.
Pépin lui offrit son avant-bras, et c'est le bras enlacé au sien qu'ils revinrent au campement... Hildegarde laissait nonchalamment trainer son espée sur le sol, il aurait juste fallu suivre le sillon formé par la pointe pour les rejoindre sous le carmin de sa tente.
Les nouvelles estaient changeantes, tantost on lui contait que la victoire estait proche, tantost on lui rappelait que le Marquisat estait féroce et que la résistance s'organisait. Qu'ils les affameraient afin qu'ils partent... ou qu'ils crèvent.
Repas en groupe, autour du feu, du poisson... Rien d'estonnant vu leur lieu de villégiature. Silence pesant, deuil de ceux qui venaient de rejoindre leur voisin, leur frère dans l'au-delà. Tout devait cesser... Le plus vite serait le mieux... Afin que le peu qu'il restait puisse à nouveau trouver le sourire en retrouvant leur compagne, à gouster aux plaisirs de la vie, à la douceur de l'eau du lac lorsque le soleil se faisait trop bruslant.
Les turquoises de la succube, fixées sur un point imaginaire de l'horizon, tentaient d'offrir à la Donà la vision de Salesses. Quel temps y ferait-il? Etouffant et sec? Combien de moutons pourraient-ils avoir dans les estables? Quel nombre serait suffisant à les agacer tant leurs bêlements seraient perçants? Et ces vers dont elle avait tant entendu parler... Pourrait-elle en acquérir pour tisser ceste si précieuse soie?
Tant de projets qui devenaient souffrance tant elle estait dans l'ignorance.
Le crépuscule les enroba de ceste aveuglante obscurité, instant mi chien mi loup qui brouillait leur vision... Tout repère perdu, ils partirent s'enrouler dans les peaux de bestes dont la Donà les avait doté. Hildegarde, quant à elle, se réfugia derrière les pans de la tente, liqueur à la main... ne pouvant au milieu de cest amas humain donner libre court à ceste boule d'inquiestude qui lui bloquait la gorge... Sans doute aurait-elle alerté la moitié du campement en hurlant telle une possédée pour exprimer au monde toute ceste sombre colère qu'elle ne faisait que réprimer.
Demain elle tuerait, encore... Au nom de l'Empire libérateur... Et déverser toute ceste haine contre ceux qui l'avaient sans aucun doute privé de sa chaleur.