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Suite du RP: http://www.univers-rr.com/RPartage/index.php?page=rp&id=5630

Famille et sentiments (2)

Clémence de l'Epine
Clémence s'était accordée un temps de repos, entre les courriers qu'elle devaient envoyer, les visites qu'elles devaient effectuer, le personnel qu'elle avait à rassurer... Elle se trouvait dans le large fauteuil qui occupait sa chambre, près de la fenêtre, celui là même qui souvent l'avait accueillie lors de ces longues journées d'hiver au cours de son enfance et de son adolescence. Elle avait repris cette habitude, de d'abord se plonger dans quelques écrits, pour ensuite se trouver distraite par un mouvement extérieur -qu'il soit humain, animal ou même végétal. De là où elle se trouvait, elle avait vue sur la plaine champenoise, et elle pouvait surveiller les arrivées, si jamais l'on daignait venir jusqu'à l'Épine.

C'est ainsi qu'elle avait vu Isaure arriver. A dire vrai, elle ne l'avait qu'à peine reconnue. C'était davantage son allure générale, cette façon de se tenir droite, cette moue à la fois boudeuse et sûre d'elle, caractéristique à l'enfant -à la jeune fille !- qui lui avait confirmé l'identité de la visiteuse. Car il lui sembla alors que le fossé les séparant, en termes d'années, s'était brutalement et considérablement réduit. Elle avait grandi, déjà, et même de loin, elle ne ressemblait plus tant que ça à une enfant. Clémence eut un sourire : elle avait hâte de voir son visage de plus près, afin de se rendre compte des changements que le temps avait pu opérer chez sa jeune cousine.

Puis, on était venu la prévenir qu'Isaure venait lui rendre visite.
Je sais, avait-elle répondu.

Elle avait attendu d'entendre la porte de l'antichambre s'ouvrir, la voix de l'intendant s'élever, puis celle, plus fluette, de sa cousine, et elle s'était levée. Ses traits fatigués témoignaient pourtant d'une joie réelle, à l'idée de pouvoir un moment penser à autre chose, parler à quelqu'un de sa famille... D'ailleurs, Isaure était sans doute l'un des rares membres de son sang qu'il lui restait. Cela lui déchirait le cœur : la famille avait été ce qui comptait le plus, pendant un temps. Désormais, elle préférait compter sur ceux pour qui elle se sentait des affinités, de l'amitié, et non se restreindre à son seul sang. Il en restait si peu...

Elle apparut sur le seuil de la porte, frontière entre la chambre et l'antichambre. D'un œil averti, elle jaugea Isaure, se demandant si la "petite" avait su réfréner avec le temps ses excès d'humeur et son caractère bien trempé. Elle observa son profil, jeune, délicat, mais buté, également. Fier, peut être un peu trop orgueilleux. Mais par Aristote... Que cela était bon, de voir un visage ami !
Isaure.de.morvilliers
Un an. Oui, un an s’était écoulé depuis leur rencontre. Une année seulement qu’Isaure connaissait sa cousine. Elle avait bien entendu son nom avant son séjour forcé à Limoges, mais jamais ne l’avait vue. Ou peut-être que si, mais cela devait remonter au temps où elle n’était pas une Wagner…

- Bienvenue à l'Épine, damoiselle. Je vais vous conduire dans l'antichambre des appartements de Mademoiselle de l'Épine. Je crois qu'elle se repose.

Menant sa jument par la bride, Isaure se tenait à côté de l’intendant. Quand l’homme ne la voyait pas, elle prenait le temps de le détailler discrètement. Quel étrange personnage ! S’il n’avait été l’homme de sa cousine, il est certain qu’elle l’aurait payé pour qu’il entre à son service. Son visage allongé, ses yeux vifs et son sourire l’intriguaient, l’attiraient. Non pas qu’il était beau ! Mais Isaure avait une attirance toute particulière pour les personnes étranges, différentes.

- Je ne me suis pas présenté... Je m'appelle Baudouin. Je viens d'entrer au service de votre... cousine. Elle ne m'a pas encore instruit des personnes dont nous pourrions recevoir la visite icelieu. D'où, ou plutôt de qui vous vient votre parenté ? J'ai à cœur de mieux connaître la famille pour qui je travaille, alors pardonnez-moi si vous trouvez ma question un peu trop curieuse.

La jeune fille ne put s’empêcher de sourire. Tout, vraiment tout était étrange chez lui. C’était la première fois qu’elle voyait un intendant si bavard et curieux. Rien à voir avec celui de Brienne.

Je vous remercie de votre accueil Baudouin. Et votre question me semble légitime. Vous avez à cœur de servir au mieux ma cousine, c’est pourquoi je répondrai à votre requête. Je suis la fille du Duc de Brienne. Enfin de l’ancien Duc de Brienne. Il a trouvé la mort juste avant que je vois le jour. Kurt Wagner de Brienne, demi-frère de la marquise…


Près du château, un palefrenier vint prendre en charge sa monture. On pénétra dans le château. Isaure ne fit pas réellement attention aux pièces qu’ils traversaient, mais son regard était attiré par chaque tableau qu’elle rencontrait sur son passage. Y avait-il ici des portraits de ses aïeux ? Ils y étaient. Dans quelques minutes, quelques secondes, Isaure verrait apparaître Clémence. Elle n’eut pas à attendre longtemps : une porte s’ouvrit et laissa apparaître la maîtresse des lieux.

A sa vue, le visage de la jeune Morvilliers s’éclaira. Quelques temps plus tôt, elle se serait jetée à son cou, mais cela ne convenait ni à leur rang et encore moins au contexte de sa visite. Elle se contenta d’un sourire chaleureux, légèrement empreint de tristesse, et d’une discrète révérence.

Bonjour ma Cousine. Me voilà ravie de vous revoir enfin, il est bien dommage que ce soit en pareille circonstance. J’espère que ma venue ne vous indispose pas. Je ne resterai pas trop longtemps, je venais juste m’assurer que vous alliez bien… Et si vous avez besoin de quoique ce soit, je suis à votre entière disposition.
Clémence de l'Epine
Sa façon de parler la surprit d'abord. Parce qu'elle ne l'avait pas connue si... réservée ? Pudique ? Elle l'avait connue plus volubile, ou en tout cas plus expressive. La petite Isaure devenait-elle grande ? Ou bien était-ce l'ambiance du castel, au sein duquel nulle frontière n'existait plus, et où l'on voguait simplement entre ciel et terre, qui l'intimidait ? Une impression d'être entre deux mondes distincts. Sans doute était-ce dû à la mort de la maîtresse de ces lieux, dont la disparition rendait l'atmosphère nébuleuse, confuse. La période de deuil produisait cet effet : on ne pouvait encore tout à fait accepter que quelqu'un ne soit plus jamais là, et d'autant plus quand on ne l'avait pas encore enterré, alors on s'attendait à le croiser au détour d'un couloir...

...

Et donc, Isaure paraissait différente.

Allons Isaure, point de simagrées entre nous. Nous avons en commun le sang de la Sicilienne notre grand mère et je vous considère donc comme ma cousine. Si deux cousines ne peuvent plus se rencontrer sans avoir entre elles à se fendre d'une révérence, avec qui pourrions-nous nous sentir à l'aise alors ?

Clémence s'approcha d'un peu plus près de sa cousine et, lui prenant doucement le bras, l'incita à la suivre dans la chambre, plus vaste, plus confortable, plus lumineuse.

Vous serez toujours la bienvenue ici. Quelles que soient les circonstances qui pourraient vous amener jusqu'à moi. Le malheur est grand, il est difficile de perdre une mère que l'on a tant chérie... Un instant, ses yeux se voilèrent. Mais il lui suffit de songer à nouveau au discours de l'abbesse, et à celui de Raphaël. Sa mère était mieux, là où elle était. Mais ne vous inquiétez pas pour moi, je saurais faire face à cette nouvelle épreuve. Racontez-moi plutôt ce que vous avez vécu, depuis notre première et dernière rencontre ? Vous a-t-on finalement éduquée aux bonnes manières ? demanda-t-elle d'un ton léger.

Une remarque comme celle-là aurait été mal perçue, un an plus tôt. Clémence se souvenait de la fureur de sa jeune cousine -le mot n'était pas trop fort, quand celle-ci s'était vue sermonner par son aînée, dans les rues de Limoges. Les choses changeaient, de toute évidence, mais peut-être qu'Isaure n'avait pas tout à fait perdu de son impulsivité ?
Isaure.de.morvilliers
Isaure fut soulagée. Sa cousine ne la repoussait pas, loin de là même. C’était agréable de ne pas se sentir rejetée, de savoir qu’on était la bienvenue. Elle ne put qu’acquiescer aux paroles de sa cousine, elle ne savait que trop bien ce que l’on ressentait quand on perdait un être cher.

Racontez-moi plutôt ce que vous avez vécu, depuis notre première et dernière rencontre ? Vous a-t-on finalement éduquée aux bonnes manières ?

La jeune Wagner esquissa un sourire.

Vous savez, j’étais déjà éduquée à Limoges. Seulement, avec la fatigue, la faim, je m’emportais facilement… Et puis, je ne vous connaissais pas. Mais depuis l’eau a coulé sous les ponts, et je vous montrerai mon beau visage. Pas celui de la petite sauvageonne que vous avez pu apercevoir l’an dernier. J’ai honte que vous m’ayez vue ainsi ! Sinon depuis notre rencontre, beaucoup de choses se sont passées. Comme vous avez pu l’apprendre, mes frères ont trouvé la mort. Un complot j’en suis certaine. Je suis restée quelques mois avec ma sœur, la femme de Richard. Et puis j’ai rejoint mon Parrain dans le Béarn. Il y a un garçon étrange là-bas. Il est plus pâle qu’un mort, ses cheveux sont plus blancs que la neige ! Et ses yeux… A vous donner des frissons ! Des yeux rouges !

Isaure n’avoua cependant pas qu’elle avait décidé de faire de cet étrange vicomte un ami.

Pour revenir aux bonnes manières, si cela peut vous rassurer, mon Parrain s’est mis en tête de m’envoyer au Collège Saint-Louis de France ! Tout cela ne m’enchante pas trop mais vous serez ainsi ravie d'apprendre que l'on s'occupe de moi plus qu'il ne le faudrait.

La jeune Wagner se rendit compte qu’elle parlait trop. Confuse, la jeune fille se retourna vers sa cousine.


Assez parlé de moi ! Me voilà encore à monopoliser la conversation ! Qu’en est-il de vous Clémence ? Je veux tout connaître de vous ! Etes-vous restée ici tout ce temps ? OU bien avez-vous vu du royaume ? Vous avez dû faire des choses tellement passionnantes ! Contez-moi tout cela ! Faites moi rêver !

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Clémence de l'Epine
Sagement, Clémence écouta sa cousine, souriant plusieurs fois à certains de ses mots, laissant ses pensées vagabonder librement à l'évocation de certaines choses...

Elle la regarda, songeuse, mais la mine satisfaite et paisible. En effet, oui, Isaure était bien différente de l'enfant qu'elle avait pu rencontrer à Limoges. Ses dernières phrases la firent presque rire, mais comme elle n'avait pas pour coutume de laisser transparaître comme signe d'allégresse plus qu'un sourire ambigu, son rire s'étouffa avant même qu'il ait pu transparaître. Isaure, dans sa confusion à paraître trop bavarde, lui rappelait ce qu'elle était quand elle n'était guère plus jeune que celle-ci. Il était vrai qu'elle avait grandi trop vite et que trop rapidement, elle s'était préoccupée de ce que les autres pouvaient penser de ce qu'elle disait ou même de ce qu'elle était.


Vous ne monopolisez pas la discussion, Isaure. Vous ne faites que répondre à ma question ! Permettez d'ailleurs que je revienne sur ce que vous venez de m'apprendre avant de m'étendre davantage sur mon sujet -qui d'ailleurs ne se révélera pas passionnant, j'en ai bien peur.

La demoiselle réfléchit un instant, cherchant ce qu'elle allait d'abord aborder -parce qu'elle avait encore tant de choses à demander et à approfondir. Elle passa sous silence, pour le moment, la mort de ses cousins -les frères d'Isaure. C'était un sujet délicat, qui la mettait dans une sourde colère, pour lequel elle devait réfléchir à la façon de l'appréhender.

Votre parrain... Il s'agit bien de Valère d'Arezac n'est-ce pas ? On n'en a pas toujours dressé un portrait avantageux en Champagne...

Elle tenta de se faire une image de ce parrain, mais rien n'y fit. C'était même à se demander si elle l'avait déjà rencontré un jour. Mais passons.

Je vous rassure, je n'ai pas pour habitude de me faire mon jugement des autres sur ce qu'on en raconte. J'aurais gâché quelques amitiés, si j'avais écouté certaines mauvaises langues. Et au contraire, je me serais trouvée déçue d'une personne que l'on m'aurait dépeinte comme exceptionnelle.

Bref. Son initiative de vous inscrire au Collège est louable. Ne lui en voulez pas, il ne veut que votre bien. De toute évidence, vous voyagez par monts et par vaux : Limoges, le Béarn, la Champagne... il vous faut vous fixer quelque part pour que votre éducation n'en soit que meilleure. Car je doute que dans vos voyages, un précepteur vous suivit pour vous prodiguer son enseignement.


Clémence se demanda un instant si Isaure n'allait pas se renfrogner face à l'attitude un peu péremptoire de sa cousine. Mais peu importait : Isaure se devait d'avoir la meilleure éducation possible, et tant pis si Clémence s'y intéressait un peu tard. Elle voulait juste s'assurer de sa bonne prise en charge. Pour l'heure, elle souhaitait également revenir sur ce garçon qu'elle lui avait décrit.

Le portrait que vous me faites de ce garçon que vous avez rencontré là bas est bien original. Et je doute qu'il puisse en exister beaucoup en ce Royaume et même ailleurs. Alors... je pense savoir à qui vous faites allusion.

Elle eut un petit sourire complice en direction de la demoiselle de Morvilliers.

Ne s'agirait-il pas d'un certain Aymeric de Saunhac, cousin d'une certaine Béatrice de Castelmaure ? J'ai aperçu un jeune homme appelé ainsi et répondant à la description que vous me faites, lors des noces de la Duchesse de Nevers à Aix la Chapelle. Et je vous donne raison sur ce point : ce garçon est pour le moins... étrange. Surprenante. Un peu...sinistre. L'on peut se demander alors pour quelle raison son apparence se trouve aussi différente de celles observées habituellement...

Elle eut un vague geste de la main, comme si tout cela n'avait pas grande importance.

Mais il est le cousin de Béatrice, et c'est une dame de haute noblesse, respectable. Et davantage, elle est une amie véritable -d'ailleurs, vous ferez bientôt sa rencontre : je l'attends ici d'un moment à l'autre. Ce garçon doit donc être quelqu'un que vous ne pouvez manquer de fréquenter. Enfin, si vous ressentez pour lui quelques amitiés, bien sûr.

Et avant de répondre à la question d'Isaure, sur ses occupations, avant de lui apprendre que non, tout ce qu'elle vivait n'était pas aussi passionnant qu'elle pouvait se l'imaginer, elle attendit un commentaire de sa cousine sur tout ce qu'elle venait de lui dire. Ainsi, elle aurait le temps de réfléchir à comment elle allait poursuivre : tout n'était pas merveilleux, elle venait de perdre une mère et son père était plus que jamais absent. Mais aussi, spirituellement, elle était plus ouverte qu'elle ne l'avait jamais été. Elle prenait conscience de choses qu'elle n'avait jamais vues et tout cela allait sans doute fondamentalement changer ce qu'elle était, ce qu'elle laissait paraître et ce qu'au contraire elle dissimulait.
Isaure.de.morvilliers
Le visage détendu et souriant de la jeune Wagner se ferma un instant. Comment pouvait-on faire un portrait non élogieux de son Parrain ? Elle laissa cependant sa cousine continuer sans faire un geste pour l’interrompre comme elle l’aurait fait quelques mois plus tôt. A croire que la demoiselle s’était réellement assagie. Le jeune visage se dérida enfin aux paroles qui suivirent. Sa cousine était vraiment une personne de grande noblesse.

Je suis rassurée de savoir que vous ne portez point de jugement trop hâtif et que vous ne prêtez qu’une oreille distraite à tous ces racontars. Mon Parrain est un homme exceptionnel, toujours à aider son prochain. Il ne veut que mon bien, il ne veut que le bien de tous d’ailleurs. Peu d’entre nous peuvent se vanter de vouloir le bien d’autrui autant que son propre bien ! Pour ma part, je trouve qu’il aide peut-être un peu trop les gens, mais ne lui reprochons pas son aristotélicisme irréprochable. Mais je pense que vous pourrez vous faire votre propre opinion le concernant si un jour vous venez me rendre visite à Mauléon où je compte passer mes étés, pour ne revenir que quelques mois en Champagne, l’hiver venu jusqu’à la fin du printemps. Pour ce qui est du collège, je commence à me faire à cette idée, cela ne peut que me servir même si cette histoire d’internat me déplait fortement !

Isaure n’alla pas jusqu’au bout de ses pensées. Quand Clémence lui parla d’Aymeric et lui annonça l’arrivée prochaine de la cousine de ce dernier, la déception apparut furtivement sur son visage.

Et ce garçon dont je vous parlais est bel et bien Aymeric de Saunhac… Le monde est donc si petit ! J’ignorais qu’il avait une cousine. Je sais qu’il a une sœur, une certaine Eliandre. Je serai ravie de faire la connaissance de votre amie et de faire d’Aymeric le mien !

Menteuse… Elle n’a aucune envie de voir son petit séjour avec sa cousine troublé par l’arrivée d’une de ses grandes amies. Quant à cette amitié avec Aymeric, elle s’était déjà lancé le défi, mais il fallait pour cela attendre de rentrer au Béarn ! Ce qu’elle ne savait pas, c’était qu’établir un lien amical n’était pas toujours chose aisée ! Surtout pour elle. Et que l’amitié avec le jeune Saunhac était quasiment vouée à l’échec.

Racontez-moi ce mariage ? Etait-ce amusant, banal ou ennuyeux ? Y avait-il beaucoup de monde ? Qui était présent ?

Isaure n’avait assisté qu’une fois à un mariage. Celui de son frère Richard avec Maltea. Elle était toute jeune à cette époque.

J’aimerais assister aussi à ce genre d’évènements… Je n’ai jamais vu que le mariage de Richard, et encore, je ne me rappelle pas de la réception, j’avais dû m’endormir car une fois que je m’étais réveillée, j’étais à Brienne, seule ! Vous faites partie du grand monde Clémence, et d’une certaine façon je vous envie !

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Clémence de l'Epine
Elle l'enviait ? Clémence, un moment, observa le visage de sa cousine pour tenter d'y déceler la pointe d'ironie qu'elle avait dû manquer. Mais non. Elle était sincère.

Alors, elle se prit à réfléchir, à s'éloigner, encore, et son regard pensif s'élança vers les nuées bleues du ciel printanier, à la recherche d'une inspiration optimiste. Et toujours lui revenait à la mémoire ce mot, tranchant, blessant, véridique : "égoïste".

Elle ne pensait qu'à sa propre souffrance, enviant les vies sûrement plus paisibles des autres nobles familles aimantes. Car aucune autre ne devait être aussi brisée que la sienne, et personne ne pouvait avoir l'âme aussi anéantie que la sienne également. Elle était seule, elle était malheureuse, et c'était dans cette situation qu'elle se complaisait : ses prières n'étaient que de vulgaires plaintes lancinantes appelant au changement. Un changement que, au fond, elle ne réclamait que du bout des lèvres finalement. N'était-ce pas le changement, qui plus que tout lui faisait peur et qui parfois, la mettait dans de froides colères ? N'était-ce pas ce qu'elle ne connaissait pas, qui la faisait se réfugier dans un monde où elle était la seule Reine et où le reste importait peu, si ce n'était son propre confort ?

N'était-ce pas ce qu'elle faisait là, justement ? S'enfuir. Ailleurs. Parce qu'elle ne savait pas quoi lui répondre, à la petite Isaure. Parce qu'elle se sentait honteuse, désormais, de s'être laissée transporter dans cet océan d'égoïsme, à ne pas voir qu'ailleurs aussi, le malheur existait, et peut être bien plus cataclysmique que le sien.

Isaure... avait grandi sans père ni mère. Elle n'avait pas eu à connaître l'absence de l'un, ni la maladie de l'autre, mais elle n'avait à vrai dire rien connu du tout. Petite bâtarde, promenée de droite et de gauche, sans attache réelle, semant la mort autour d'elle et perdant un à un ceux à qui elle s'était attachée avec toute la fougue dont était capable un enfant. Isaure, cachant ses faiblesses et ses douleurs derrière un bouclier étincelant d'amour propre et de fierté orgueilleuse. Qui s'accrochait à son fief de Morvilliers comme s'il était toute sa vie. Et n'était-ce d'ailleurs pas le cas ? Triste et unique héritage d'un père dont elle ne pourrait jamais recevoir autre chose. Un souvenir qui n'en avait pas mais qui pouvait suffire tout de même à entretenir la mémoire dans l'esprit d'une jeune fille qui ne possédait que trop peu d'images auxquelles se raccrocher quand parfois elle se sentait trop seule et trop... illégitime peut être.

Alors non, elle ne se plaindrait pas. Pas cette fois. Elle entretiendrait le rêve d'Isaure et ses espoirs.


Le mariage était à la hauteur de vos convictions : du beau monde, du beau monde et encore du beau monde. La mariée était magnifique, l'officiante était parfaite, et le marié... L'image du vieux Duc lui tira un sourire amusé ... le marié était digne des plus beaux princes cités dans les contes et les chansons. La cathédrale était grandiose. Le temps était... incertain, peut-être, mais derrière les nuages gris et les quelques gouttes de pluie, il était aisé de deviner les rayons scintillants du soleil. Et la fête, ensuite, de la musique et des danses à n'en plus finir. Des plats qui ne cessaient de défiler sur les tables, tous plus alléchants les uns que les autres, de la viande fondante, du vin entêtant... De nobles dames habillées de leurs plus beaux atours, de nobles sires vêtus de leurs plus riches habits. Des rires, de la joie, de la majesté... Des œillades, des sourires, des mots habiles et courtois, des gestes révérencieux, des compliments...

Elle lança un regard curieux à Isaure au milieu de sa tirade dithyrambique, afin de saisir une expression sur son visage. L'émerveillement, peut-être ? La déception de ne pas y avoir été ? Ou bien autre chose, peut-être une moue vexée, si elle se rendait compte de la façon dont Clémence enjolivait un peu les choses. Mais elle méritait de rêver un peu, cette petite : ses désillusions ne viendraient sans doute que trop tôt.

Il n'y avait pas forcément beaucoup de monde, mais quel monde alors ! Des gens de la haute, des gens de partout. Du Seigneur jusqu'au Prince. De la Provence à l'Empire.

Et la demoiselle de soupirer, non pas de ces soupirs mélancoliques dont elle avait l'usage ordinairement, mais de ces soupirs langoureux qui traduisent un souvenir ô combien exquis.

Ne vous en faites pas, Isaure. Vous assisterez à un mariage. Et si ce n'est le mien qui pour l'heure n'est pas prévu, au moins sera-ce le vôtre ! Car j'ose espérer que votre parrain songe à vous trouver un beau parti !
Isaure.de.morvilliers
Du monde, du beau monde, du grand monde ! Tout n’est que faste, tout n’est que rêve. Les prunelles bleues agrandies par l’envie, Isaure regardait sa cousine avec intensité. Un sourire béat sur les lèvres, elle buvait chacune de ses paroles. Quoique parfois sa cousine semblait en faire légèrement trop, la jeune fille ne relevait pas. A quoi bon, à travers son regard, c’est ce qu’elle aurait vu si elle avait été présente à ce grand mariage. Elle en était certaine.

L’espace d’un instant elle s’imagina faire partie des invités. Elle s’imagina parmi la foule sublime, elle s’inventa une tenue magnifique. Elle se vit fendre la foule, danser à s’étourdir, attirer les regards. Quant au banquet, il était à la hauteur des convives : grandiose. Les plats débordaient de mets les plus savoureux. Les fumets titillaient le nez, et ravissait à l’avance les papilles. Mais bientôt, elle fut ramenée à la réalité par la voix de Clémence.

Son mariage ? Son propre mariage ? L’enfant eut envie de rire. Elle ? Se marier ? Non pas qu’elle soit tout à fait contre, mais le mariage lui semblait loin et n’avait rien d’inéluctable pour elle. Et puis, qui voudrait d’une enfant adultérine ? Alors, plutôt que d’avouer ses doutes, elle préférait se rire d’un potentiel mariage et crier au monde entier, qu’elle, Isaure Beaumont-Wagner n’avait que faire du mariage.



Il est impensable, ma cousine, que je sois mariée avant vous. Une héritière de marquisat trouvera chaussure à son pied beaucoup plus vite qu’une bas… jeune fille de naissance plutôt convenable, mais tout autant inavouable. Mon Parrain n’est pas en quête d’un époux pour moi, le choix me revient. Du moins c’est là son discours, mais je doute que Maltea, qui reste tout de même la décisionnaire finale accepte un mariage d’amour. D’ailleurs, je n’ai aucune idée de ce qu’elle pense à ce sujet, ni ce qu’elle me réserve pour l’avenir. Quoiqu’il en soit, si mariage ne m’est pas destiné, je ne m’en porterai que mieux ! Me voyez-vous réellement mariée et privée de cette liberté dont je peux jouir de par ma condition... précaire ?

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Clémence de l'Epine
S'il était impensable, pour Isaure, que Clémence soit mariée après elle, il était tout aussi impensable, pour Clémence, qu'Isaure puisse un jour céder aux élans de son cœur et épouser un homme dont elle se lasserait, qui se lasserait d'elle, conduisant alors à la ruine du mariage. Non : il fallait choisir, étudier les possibilités, réfléchir à l'homme qui serait assez bien pour Isaure, pour sa condition. Elle était bâtarde : c'était un inconvénient. On n'aimait pas vraiment les bâtards, au sein de la noblesse. Cela faisait mauvais genre, de marier son rejeton avec un(e) autre illégitime. Mais elle possédait tout de même un nom : Wagner. Fille bâtarde, certes, mais fille de Kurt Wagner tout de même. Duc de Brienne. Peste... Ses lèvres se serrèrent et ses yeux se durcir. Elle détourna le visage un instant.

J'aurais mille fois mieux aimé que vous soyez Duchesse de Brienne à la place de celle qui en porte le titre aujourd'hui.

Elle avait pensé tout haut, ou plutôt tout bas, quasiment sans s'en rendre compte et déjà elle regrettait ses paroles. Isaure n'avait pas à connaître son ressentiment contre cette Maltea qui pour l'heure ne lui avait rien apporté de bon.

Elle haussa les épaules, impuissante. A la mort de Richard et Gabriel, c'était Maltea, donc, qui avait hérité du Duché de Brienne. Et c'était ainsi. Les bâtards ne recevaient jamais rien de grand.


Si votre Parrain ne souhaite vous trouver un bon parti, le choix vous revient, soit. Un soupir réprobateur s'échappa de ses lèvres. Mais un mariage d'amour... il n'y a en effet rien de plus sot que cela. Vous épouserez un homme que vous croirez connaître, que vous penserez aimer, ou pire, celui qui vous aura déflorée avant vos noces, vous engrossant d'un nouveau petit bâtard, vous mènera à l'autel. Et donc, si vous épousez quelqu'un que vous pensez aimer... votre mariage sera un échec. Car alors, année après année, vos déceptions, vos désillusions s'accumuleront. Vous serez malheureuse, vous pleurerez votre choix, vous regretterez votre décision.

Clémence eut un temps d'arrêt, jaugeant sa cousine du regard, dure, impitoyable presque dans ses mots et sa façon de parler.

Alors que si vous épousez raisonnablement un homme riche et noble, qui pourra vous élever en société, une union profitable en somme... vous partirez d'abord malheureuse, peut être, de ne pouvoir jouir de l'étreinte rêvée, vous vous marierez résignée. Mais avec les années, vous vous satisferez de votre situation, vous vous complairez dans la sécurité, vous apprendrez à aimer un homme pour qui vous ne vouiez pas grand sentiment au début. Pas de déception. Pas de désillusion. Car ce que vous auriez attendu n'aurait été qu'un mariage profitable, la sécurité de murs solides et la fertilité de terres qui vous feraient vivre bien, dans le but de perdurer votre sang.

La demoiselle de l'Epine pencha le buste vers l'avant, en direction de sa cousine, et vint lui saisir le poignet avec force, toute à son désir de lui faire assimiler l'importance du mariage et de sa finalité.

Le mariage, Damoiselle, ne vous privera pas de vos libertés -lesquelles, d'abord, dites le moi donc ? Il vous donnera simplement des devoirs différents. L'hymen doit être considéré comme un objectif, vers lequel il vous faudra tendre avec le plus d'agilité possible. Dans notre milieu, le mariage peut-être le fruit de moultes stratégies, dans le but de toujours s'élever plus haut, plus noblement, pour que les générations futures soient toujours plus fières de porter notre nom.

Elle se recula, lâchant la main d'Isaure, et s'enfonça plus profondément dans son fauteuil. Ce faisant, elle ne quitta pas les yeux d'Isaure du regard, un petit éclat satisfait au fond des siens.

Le mariage vous est destiné, Isaure. Il est destiné à toutes les femmes, à moins que vous ne vous consacriez entièrement à Dieu et aux préceptes des prophètes. Mais dans ce cas, vous seriez bien ingrate de penser que le mariage vous priverait de vos libertés si vous acceptiez alors l'idée de suivre la voie de Dieu. Qu'y a-t-il de différent, entre vouer sa vie à son époux, et vouer sa vie à Dieu ? Hormis le fait que l'un est homme et l'autre perfection, la finalité en reste pour le moins similaire. Réfléchissez-y...

Et pour conclure, d'un sourire presque provocateur.

Le mariage vous est destiné. Et j'espère que vous aurez assez de bon sens pour distinguer le mariage qu'il vous faut de celui qu'il ne vous faut pas, et de vous y faire. Comptez sur moi, en tous cas, pour vous mettre sur la voie... Votre Parrain, si ses mots sont tels que vous me les avez décrits, fait là une bien belle erreur, que de vous laisser seule face à un choix que vous ne pouvez faire seule.

Et de songer que son propre père faisait de même, mais différement : il ne lui avait pas dit qu'elle avait le choix, mais au fond, voilà qu'elle se retrouvait bien désemparée face à cette constatation évidente. Le choix, c'était elle qui le ferait. Mais elle choisirait bien. Ou du moins elle essaierait. En fonction de ce qu'on lui avait appris du mariage.
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