[Dimanche 28 mars, à la lueur de Dame Lune] Kehl. Je me souvenais l'avoir croisé à quelques reprises en place publique. Fier savoyard que je saluais avec les égards lui étant dus, souriant gentiment à ses paroles. Croisant alors le regard d'
Enored, je su que d'une certaine façon nous nous comprenions. Ma foi...C'était un début!
La discussion et l'heure ayant avancé, je prenais congé après avoir silencieusement salué
mon supérieur toujours assis en face de moi, ainsi que les
compagnons et
invités. Non point que leur présence me soit désagréable, mais depuis un moment fourmillait de la plante de mes pieds jusqu'à mon estomac l'envie de ne rester passive plus longtemps. Arme à la ceinture et torche en main, je m'écartais du groupe jusqu'à atteindre la lisière d'un bois et m'y engouffrer d'un pas tranquille.
Quelques rochers parsemant la clairière. Odeur familière de champignons ayant pointé le bout de leur chapeau au gré des averses et éclaircies, s'alternant comme pour exprimer la lutte d'un printemps désireux de chasser le Général hiver déjà bien essoufflé. Cheveux attachés, torche tenue fermement entre mes mâchoires, j'entrepris de grimper le long d'un tronc pour m'installer en hauteur. Une fois de plus, je regrettais d'avoir enfilé houppelande au matin, en constatant combien mes mouvements se trouvaient entravés par son tissus. Mais agilité alliée à volonté de fer eurent rapidement raison de ce fâcheux handicap vestimentaire.
Perchée à quelques pieds du sol, je calais soigneusement ma source de lumière entre deux branches et m'assis là , histoire d'observer les lieux. De la Provence, je ne connaissais rien. Je n'avais entendu ou lu que quelques récits et surtout étudié les cartes trouvées pour connaitre un minimum le terrain sur lequel nous aurions à combattre. Mais de cette Terre, je n'avais que trop peu foulé pour en connaitre les secrets. En temps de guerre, cela représentait un désavantage certain par rapport à l'adversaire. Nous avions débarqué ici avec notre courage et le peu de connaissances en notre possession. De jour en jour, je constatais l'ampleur de l'effort que nous aurions à fournir pour sortir vainqueurs de ce conflit, tant la haine que les résistants nous vouaient était palpable. Pour eux, nous étions ceux qui les privaient de leur liberté. Des envahisseurs assoiffés de pouvoir et désireux de supprimer les leurs jusqu'au dernier.
Plus tôt, j'étais entrée dans cette taverne, où l'on m'avait accueillie en me qualifiant de
truie. Posant mon épée sur la table, je leur avais alors demandé de ne guère mélanger ce qui ne devait l'être. Et d'assurer qu'à leur différence, j'avais bien conscience d'avoir en face de moi des humains, non des animaux. "
Tous dans le même panier", avait rétorqué cette Dame s'étant présentée sous le nom de
Su. Français et Impériaux, accusés de venir avec un plaisir non dissimulé souiller leurs lames du sang des provençaux. Plus affligeant encore avait été le terme barbare dont ils semblaient si convaincus:
Massacrer.
Qu'en était-il de leurs frères qui ne souhaitaient guère l'existence
MAO? Ceux qui étaient fiers d'avoir l'
Empereur pour suzerain et de bénéficier ainsi de sa bienveillante protection? Qui avait pris en compte l'avis de ceux-ci? Personne. Hormis les loyalistes confirmés, ils n'étaient guère si rares, les paysans ou artisans qui n'osaient désormais que bénir le nom de
Sa Majesté notre Empereur que du bout des lèvres, par peur des représailles. En analysant la situation, je m'étonnais sincèrement d'entendre l'autre camps tant parler de liberté alors qu'eux-mêmes étouffaient si égoïstement celle des leurs. Dès lors, le plus grand ennemi d'une paisible Provence n'était ni la France ni l'Empire. Car l'ennemi se trouvait là bien avant l'arrivée des troupes royales...
Triste vérité que celle ci. Et si on disait des
français qu'ils s'étaient mêlés de ce qui ne les regardait point, que devait-on dire des
helvètes venus en premier lieu non par sincère amitié mais pour se venger d'une Croisade avortée à Genève? Ou des
génois venus attaquer jusqu'à une
Savoie en rien encore impliquée dans le conflit de leur félon allié? Il est si aisé de se rabaisser à critiquer ou insulter lorsque l'on ne possède guère meilleure arme...Ce Sieur
Reiner ou sa compagne
Su, s'ils pensaient pouvoir m'impressionner ou me déstabiliser par leurs mots tous plus grossiers les uns que les autres, ne m'inspiraient quant à eux que la pitié. Car leur dignité s'était muée en une nauséabonde fierté mal placée. Ils étaient sourds, aveugles...mais loin d'être muets! Apparemment, ils nous avaient d'ailleurs tous exterminés avant même que bataille soit entamée. Et je supposais qu'ils se vantaient de n'avoir nul besoin de récupérer la Mairie pour n'avoir à admettre clairement qu'en deux tentatives consécutives de révolte, ils n'y étaient point parvenus. Oui, mais voilà, ces deux soirs là je fus bien présente. Comment ne pas sourire face à si injustifiée vanité et propos non seulement incohérents mais aussi mensongers? Je me le demandais...
Les yeux rivés sur la voûte céleste et son tapis étoilé, je cessais de réfléchir à ce qui n'en valait nullement la peine. Économiser ses forces, ménager l'esprit. Lentement, je fis abstraction du contexte, du décor qui m'entourait puis de cette affreusement pesante atmosphère. D'une pensée, je me retrouvais gambadant insouciante dans le port de
Liverpool. C'était l'époque où je ne pouvais m'empêcher d'assaillir ma nourrice de questions auxquelles l'enfant que j'étais n'avait encore réponse. Le temps des habits de soie, Dames de compagnie, tables bien garnies et vastes jardins fleuris. Poignante nostalgie m'envahissant comme marée haute vient subitement s'emparer d'une plage. La mer. La traversée. L'
Irlande. Tant de lieues parcourues, de visages encore parfaitement dessinés ou devenus partiellement flous. De si nombreuses épreuves pour quelques rares récompenses. Peines et joies, toutes précieusement gardées en mémoire pour ne jamais oublier ce qui m'avait fait devenir...
moi.
Retour au présent en un battement de cils. Bref soupir.
Oh Seigneur, aide-nous à faire en sorte que revienne au plus vite cette paix que nous espérons. Que des braises jonchant ce sol meurtri, renaisse une Nature plus verdoyante encore qu'auparavant. Ne laisse trembler le bras de nos vaillants alliés, donne-nous la force de combattre dignement et épargne à nos lames de verser le sang de l'innocent. A ces mots, je me signais avant de réciter:
Citation:Je crois en Dieu, le Très-Haut tout puissant,
Créateur du Ciel et de la Terre,
Des Enfers et du Paradis,
Juge de notre âme à l'heure de la mort.
Et en Aristote, son prophète,
Le fils de Nicomaque et de Phaetis,
Envoyé pour enseigner la sagesse
Et les lois divines de l'Univers aux hommes égarés.
Je crois aussi en Christos,
Né de Maria et de Giosep.
Il a voué sa vie à nous montrer le chemin du Paradis.
C'est ainsi qu'après avoir souffert sous Ponce,
Il est mort dans le martyr pour nous sauver.
Il a rejoint le Soleil où l'attendait Aristote à la droite du Très-Haut.
Je crois en l'Action Divine;
En la Sainte Église Aristotélicienne Romaine, Une et Indivisible;
En la communion des Saints;
En la rémission des péchés;
En la Vie Éternelle.
...Amen.
Me signant une seconde fois, je posais un nouveau regard sur les étoiles d'où -m'avait-on dit- nos ancêtres et autres défunts veillaient sans relâche. Je balayais ensuite les environs des yeux, prenant une profonde inspiration puis expirant lentement. Et de redescendre de mon perchoir comme je l'avais atteint avant de regagner le campement pour que les miens ne n'inquiètent de mon absence...