Le Chevalier des Pyrénées, entré depuis le début ou peu s'en fallait, était resté de longues minutes en prière, plutôt qu'aller aux devants de ses amis les saluer. Quand il redressa la tête, il vit bien qu'il y avait des visages connus, et sans doute les saluerait-il en temps voulu. Il n'avait jamais réussi à aller vers les gens, tout amis qu'ils fussent, pour discuter. Les voir suffisait à satisfaire son cÅur, et prier pour eux, dans l'obscurité d'une petite chapelle.
Parcourant les présents du regard, il ne put ignorer, à une place digne de leur rang, deux personnes de noir et de blanc, d'hermine et de contre-hermine, aux couronnes souveraines. Quoiqu'enclin au pardon, à la diplomatie et à l'entente entre les peuples pour les temps à venir, Cristòl sentit son cÅur se serrer. Savaient-ils la boue, savaient-ils le sang, savaient-ils les viscères, savaient-ils les épées tirées, qui jamais ne retrouveraient leur fourreau, ces jours de siège à Orléans, lorsque chaque assaut des assiégeants orléanais, bannis de leur propre ville, était reçu par des volées de flèches ? Cet aveugle savait-il le goût de cendres que l'on a dans la bouche, à trop respirer la poussière d'un camp de morts ? Savait-il le goût de cendres que la malencontre d'une armée bretonne appelle au fond de la bouche de celui que mille lames envoient sur la Lune faire son choix, entre revenir et souffrir encore, ou partir, laissant derrière tant de reconnaissance non démontrée, tant de mercis non dits, tant de promesses non abouties...
Ce n'était pas hospitalier, d'en vouloir aux événements de changer, aux ennemis d'hier d'être par une nouvelle aube des amis chers que l'on invite à une noce. Mais ainsi était le Chevalier des Pyrénées, dans le souvenir douloureux de ces cadavres s'entassant par la folie d'un peuple, qui ne devait pas être devenu moins fou par la signature d'un traité.
Ainsi son ami, ce cher ami Petit Jehan, le trouva-t-il dans des pensées douce-amères, dont il le tira le temps d'une présentation.
-« Meu amic, ce jour est grand. Je vous souhaite d'avoir fait le bon choix ! Il est parfois si dur à trouver, ce paradis terrestre...
Dònaisela Alienor, votre père m'a parlé brièvement de vous, et c'est un plaisir de faire désormais votre connaissance. »
Père et fille partirent vite vers d'autres convives à saluer, d'autres révérences, d'autres embrassades.
Voyant cette danse de société, Cristòl déglutit, et tâcha de se faire à l'idée qu'il lui faudrait bien, un jour prochain, prendre lui aussi femme, et serrer des mains. Si seulement il savait qui épouser...
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