Enora n'arrivait pas à dormir. Elle se tournait et se retournait dans son lit. Le sommeil se dérobait, comme un chat fuyant sous la caresse. Les pensées inondaient sa tête, des bonnes et des moins bonnes. Même en fermant les yeux et en se concentrant seulement sur ses paupières closes, elles revenaient sans cesse.
Elle finit par se lever et se dirigea vers la fenêtre. La
lune était presque pleine. Dans deux jours l'astre de la nuit ne serait plus qu'un disque éblouissant, doux et accueillant. Peut être était-ce ce qui causait cette agitation.
Elle soupira et se rhabilla avant de descendre doucement pour ne pas réveiller son fils et la jeune Mariotte.
La jeune femme prit un verre d'eau et remis une bûche dans l'âtre avant de sortir de chez elle. Seule une promenade bien fraiche l'aiderait à surmonter son insomnie.
Un pas, deux pas, trois pas, pourquoi? quatre pas, cinq pas, six pas, et pourquoi pas? Sept pas, huit pas, neuf pas, mon coeur tu voleras. Dix pas, onze pas, douze pas, mes yeux tu fermeras. Treize pas, quatorze pas, quinze pas, mon être tu endormiras.
Elle fredonnait une petite comptine que son père d'adoption lui avait apprise quand il la berçait petite les soirs de cauchemards.
Elle prit le chemin des remparts et une fois là haut, elle s'assit sur un créneau, les pieds dans le vide, comme à son habitude.
De là, elle regarda la campagne baignée dans la lumière nocturne. Un hululement retentit, chant rassurant de la hulotte contrairement à l'effraie qui hantait parfois ces nuits d'enfance.
Hantée... comme ces souvenirs, comme ses peurs, comme son coeur. Pourvu qu'il ne lui en veuille pas.
Hantée... comme ce qui hante le domaine de famille. Oui, il fallait qu'elle parle au diacre... L'affaire était sérieuse. Trop pour elle, encore plus pour son cousin.
Hantée par tous ces morts dont elle était entourée. Trop d'âmes aimées et parties trop tôt.
Hantée par les décisions qu'elle devait prendre, par les responsabilités qui pesaient sur ses épaules. Pourquoi voulaient-ils tous son avis?
Et pourtant... Tout cela était tellement futile... La brunette avait l'impression de se lamenter sans en avoir le droit. Elle était heureuse. Elle avait eu un père aimant. Elle avait toujours tout réussi. Vraiment tout?
Elle soupira. Ce n'était peut être pas une bonne idée, cette balade dans le froid. Elle était bien réveillée à présent et elle grelotait. Dernier regard vers la campagne, petite prière muette à Aristote :
"Tu m'aideras, hein? Tu ne m'abandonneras pas, n'est-ce pas? Tu me guideras, dis-moi?"
Et la voilà qui redescend de son perchoir, non sans se dire que elle aussi, elle finirait par en sauter. Encore un point commun avec celle qui sera à jamais sa soeur...
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