Saens
Il avait dégoté, après s'être éclairci la voix et avoir fait gesticuler ses mains dans l'air en homme assuré, après avoir convaincu donc, le poupard de taulier, qu'il paierait la note dimanche, ce avec le sourire, une chambre au rez-de-chaussée. D'une propreté relative, avec un volet de bois donnant sur la rue passante, posée contre une table, deux chaises, au bord d'un mur une couche avec des draps blancs, un coffre et, seul en face de tous, un baquet. Le grand jeu quoi. Prime était passée sans se faire voir. Il aligna sur la table les trente-cinq deniers qui composaient son dernier bien monétaire, les yeux dans le froid bleu du matin, avant de plonger la pièce dans la pénombre.
Après avoir emmouscaillé le taulier une dernière fois pour qu'il daigne envoyer un larbin avec un pli, informant une personne, probablement introuvable, mais sûrement guère lointaine, de l'état de sa chambre, Saens se dévêtit, se dévêtit si bien qu'il ne lui resta que sa peau, et se garrota dans le drap. Et on le ne vit plus. Peu après le soleil entrait en scène et faisait percer ses lames par le volet de bois, qui jouèrent leur danse au fil des heures Saens, trop fatigué pour ronfler, ce qui nécessitait une activité que son pharynx ne se sentait pas de fournir, enlaçait un traversin comme il aurait tenu une amante charnue. Seul un bras dépassait du drap, le reste suait à l'intérieur.
Sa besace, trouée de vieillesse et prête à rendre l'âme - elle n'osait pas lui dire la pauvre, gisait échouée au pied du lit, comme elle avait toujours geü, monstre marin à l'épaisse peau de cuir. Dans ses entrailles, beaucoup de lettres, de la verdeur, des cartes avortées et restées blanches, ce qui souvent, lui semblait bien plus parlant. Elle prenait la poussière comme on prend l'air. Tierce. Saens remua, pas plus. Il avait passé la fin de nuit au dos d'un canasson, à faire des misères dans la nuque de son officieuse avec la ferveur du prosélyte, s'arrêtant parfois pour contempler le ciel. Mais pour voir le ciel, il avait dû se rompre le cou. Ces derniers temps, et il l'avait bien remarqué même s'il ne l'avouait à personne, son horizon diminuait au gré d'une cécité goulue qui lui rongeait peu à peu, mais indéniablement, les coins de son champ de vision. Le haut et les côtés du monde s'enrobaient d'un noir insondable. Il trébuchait souvent et s'était pris dans la nuit, rien moins que quatre branches dans l'il.
Une branche, sois moins étourdi,
Deux branches, avale un peu d'eau-de-vie,
Trois branches, cesse de lorgner ta bonne amie,
Quatre branches, sur ton crâne, va faucher le persil.
Et au réveil il lui faudrait honorer cet aphorisme bancal, quoique fort tétraédrique, sortir son ciseau et, lui, ce raseur déjà plus que sporadique, mettre fin au capharnaüm grinçant qui régnait dans ses hauteurs. Exercice périlleux s'il en est. Même qu'il en tremblait déjà, tout au fond fin de son sopor paralysant qu'il était. Et pourtant non, non madame, il ne pouvait décemment pas se permettre de perdre un il. Mais passons la disquisition capillacée qu'il faudra revoir au réveil, dans la chambre il est toujours Tierce, l'office était resté dans la gorge du temps comme un vieux morceau de panais rance voulant étouffer un vieux con. Et ça se bagarra ferme, ils se bouffèrent le nez au moins jusqu'à Sexte, même si tous les deux savaient que le vieux recracherait le morceau, comme toujours, et comme après.
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Après avoir emmouscaillé le taulier une dernière fois pour qu'il daigne envoyer un larbin avec un pli, informant une personne, probablement introuvable, mais sûrement guère lointaine, de l'état de sa chambre, Saens se dévêtit, se dévêtit si bien qu'il ne lui resta que sa peau, et se garrota dans le drap. Et on le ne vit plus. Peu après le soleil entrait en scène et faisait percer ses lames par le volet de bois, qui jouèrent leur danse au fil des heures Saens, trop fatigué pour ronfler, ce qui nécessitait une activité que son pharynx ne se sentait pas de fournir, enlaçait un traversin comme il aurait tenu une amante charnue. Seul un bras dépassait du drap, le reste suait à l'intérieur.
Sa besace, trouée de vieillesse et prête à rendre l'âme - elle n'osait pas lui dire la pauvre, gisait échouée au pied du lit, comme elle avait toujours geü, monstre marin à l'épaisse peau de cuir. Dans ses entrailles, beaucoup de lettres, de la verdeur, des cartes avortées et restées blanches, ce qui souvent, lui semblait bien plus parlant. Elle prenait la poussière comme on prend l'air. Tierce. Saens remua, pas plus. Il avait passé la fin de nuit au dos d'un canasson, à faire des misères dans la nuque de son officieuse avec la ferveur du prosélyte, s'arrêtant parfois pour contempler le ciel. Mais pour voir le ciel, il avait dû se rompre le cou. Ces derniers temps, et il l'avait bien remarqué même s'il ne l'avouait à personne, son horizon diminuait au gré d'une cécité goulue qui lui rongeait peu à peu, mais indéniablement, les coins de son champ de vision. Le haut et les côtés du monde s'enrobaient d'un noir insondable. Il trébuchait souvent et s'était pris dans la nuit, rien moins que quatre branches dans l'il.
Une branche, sois moins étourdi,
Deux branches, avale un peu d'eau-de-vie,
Trois branches, cesse de lorgner ta bonne amie,
Quatre branches, sur ton crâne, va faucher le persil.
Et au réveil il lui faudrait honorer cet aphorisme bancal, quoique fort tétraédrique, sortir son ciseau et, lui, ce raseur déjà plus que sporadique, mettre fin au capharnaüm grinçant qui régnait dans ses hauteurs. Exercice périlleux s'il en est. Même qu'il en tremblait déjà, tout au fond fin de son sopor paralysant qu'il était. Et pourtant non, non madame, il ne pouvait décemment pas se permettre de perdre un il. Mais passons la disquisition capillacée qu'il faudra revoir au réveil, dans la chambre il est toujours Tierce, l'office était resté dans la gorge du temps comme un vieux morceau de panais rance voulant étouffer un vieux con. Et ça se bagarra ferme, ils se bouffèrent le nez au moins jusqu'à Sexte, même si tous les deux savaient que le vieux recracherait le morceau, comme toujours, et comme après.
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