Le trio de voyageurs arriva enfin à Paris après un long et périlleux voyage à travers une France en guerre civilo-religieuse, où d'ailleurs ils avaient pu exercer avec brio leurs talents d'agitateurs publics. Le palefroi de tête, un cheval costaud, aux flancs larges et aux pattes musclées, portait à la fois un caparaçon d'acier - qui ne laissait guère entrevoir sa robe isabelle - et un cavalier, le meneur du groupe. Il s'agissait du seigneur Nicolas Eymerich de Tramecourt, feudataire artésien, mercenaire apatride, homme de peu de foi et de scrupules, du moins aux yeux de l'église. Derrière lui, monté sur un hongre guère moins costaud que son prédécesseur, et que l'on disait appartenir à la race boulonnaise, venait son écuyer en titre, le sieur Paul of Perth, homme sombre aux murs perverses, mais paradoxalement de bonne compagnie aussi bien à table qu'au combat. Enfin, sur une monture quelconque, quelque vieux baudet qu'un marchand enthousiaste aura renommé cheval, venait le jeune Netto. Un gamin à peine sorti de l'enfance, aux joues encore pleines de taches de rousseur et à la chevelure ébouriffée, qui par chance, avait quelques lettres, et servait donc de héraut et d'intendant au seigneur de Tramecourt.
Les trois compagnons démontèrent dans le faubourg saint germain, à la porte d'une auberge qu'ils savaient être à même de réserver un bon accueil à trois agents du Ponant infiltrés en terre hostile. Un galopin prit leurs montures et les amena aux écuries, où elles furent bouchonnées et traitées avec le plus grand soin, tandis que les trois artésiens pénétraient dans l'auberge, interpellaient le maître des lieux et lui réservaient deux chambres, dans lesquelles ils purent se débarrasser de leurs paquetages et prendre quelque repos. Un quart d'heure après leur arrivée, une baignoire fut montée jusqu'à la chambre du seigneur, qui put s'y baigner. depuis que la duchesse Kilia l'avait initié aux joies décadentes de l'hygiène, le seigneur de Tramecourt y prenait un secret et malin plaisir. Ensuite, Paul of Perth profita de l'eau brune mais encore tiède pour se rafraichir, et le jeune netto dut se contenter d'une eau franchement immonde et quasiment glaciale pour se débarrasser des vestiges de leur chevauchée, mais au moins était il moins poussiéreux.
Pour finir, un commis arriva alors que la journée approchait de son mitan et apporta quelques menus objets à Nicolas Eymerich, qui en retour lui accorda une généreuse gratification, c'est à dire qu'il paya les marchandises et lui laissa 50 deniers de pourboire, nanmého ! C'est ainsi que le trio put se rhabiller à la mode parisienne. En réalité, les deux serviteurs ne portait qu'une tenue aux armes de Tramecourt, celle de netto étant clairement celle d'un jeune page, c'est à dire plus légère et plus colorée, tandis que celle de Paul of Perth avait une orientation ostensiblement martiale, avec sa cotte légère, à peine dissimulée sous un manteau de cuir, et la lourde épée à deux tranchants qu'il portait sur le flanc gauche, sans fourreau. Nicolas eymerich pour sa part, avait troqué la broigne rapiécée pour une tenue un peu plus élégante. Bref, tout en portant des habits de ville, il avait fait en sorte de garder son gorgerin et ses spallières, ses tassettes et même de petits canons qui lui ceignaient les poignets. Un baudrier dorsal venait compléter la tenue, accueillant dans un fourreau une arme mystérieuse, dissimulée par la lourde cape accrochée aux spallières. Évidemment, les trois hommes portaient sur leurs poitrines le blason du domaine de Tramecourt,ainsi qu'une broche en forme de fleur, dont les quatre pétales étaient écarlates.
A la sortie de l'auberge, les trois hommes récupérèrent leurs montures et se mirent en route en direction de l'hôtel Alexandr, payant en route la taxe d'entrée dans Paris avec un sourire méprisant de la part de Paul à l'attention des gardes. Ils perdirent du temps à trouver la route, finissant par payer un mendiant pour qu'il leur indique la route, et arrivèrent donc aux portes de l'hôtel en milieu d'après midi.
Le seigneur de Tramecourt avait omis de se faire annoncer, mais il espérait que cet oubli lui serait pardonné. Aussi, pendant que netto s'avançait pour annoncer son maître aux gardes de l'entrée, celui ci usa de son canon gauche comme d'un miroir et remit une dernière touche à sa coiffure, puis vérifia qu'il était propre et sentait bon sans pour autant puer la fleur fermentée comme aimait à le faire les courtisans. La garantie héraldique de sa noblesse suffit apparemment aux gardes, qui lui permirent d'entrer. Ses deux compagnons, hélas, ne le pouvaient pas. Netto accompagna donc les montures aux écuries, tandis que Paul of Perth se postait à l'entrée de la demeure, mains croisées posées sur le pommeau de son épée, dans une posture de défi vis à vis des gardes, l'air de dire "vazysitulosegamin". Ce qui évidemment ne marcha pas, mais inspira une moue vraiment infâme à l'écuyer.
A l'entrée de la grande salle, le héraut annonça Nicolas Eymerich.
Sire Nicolas Eymerich, seigneur de Tramecourt, commandeur de l'ordre artésien du Cygne, héré...
le héraut s'interrompit en plein milieu de la litanie de titres, pris d'un hoquet, et se tint coi tandis que ledit seigneur le fusillait du regard. Suite à ce bref épisode, le seigneur avança d'un pas décidé dans la salle, puisqu'il en avait à priori le droit, et constata qu'il était seul hormis une jeune femme au visage prématurément vieilli mais au port altier, qui s'activait dans un coin de la salle, donnant des ordres à une armée de serviteur. Il en déduisit qu'il s'agissait probablement de la nouvelle grande maîtresse de France, aussi se dirigea-t'il de son côté, non sans être assailli de doutes. Après tout, être seul pour prendre une forteresse d'assaut était une chance et un inconvénient. Chance car il avait plus d'ennemis - et donc de gloire - pour lui, mais aussi plus de coups à se prendre. Bref, il convenait d'être prudent et réfléchi, surtout quand un dragon gardait les portes du donjon ennemi.
Un arrêt brusque. Un genou plié et un peu en avant comme pour un coup d'estoc, l'autre jambe tendue, le seigneur s'inclina et fit une révérence à l'attention de la maîtresse des lieux, se félicitant intérieurement d'avoir songé à disposer sa cape de sorte qu'elle reste bien dans son dos malgré ce mouvement périlleux pour le bon ordre de sa tenue.
Votre grâce, je vous présente mes respects. Ainsi que l'a annoncé votre héraut, je suis Nicolas Eymerich, seigneur de Tramecourt en Artois.
Il garda sa position quelques secondes avant de se relever, puis après un bref instant de silence, reprit.
Veuillez m'excuser de ne pas m'être annoncé, mais des circonstances indépendantes de ma volonté m'en ont empêché. J'espère que ma présence n'est pas inopportune.