Eilith sempare dun calame et commence à écrire comme si elle voulait faire mal au parchemin. Ce qui donne à Simone une nouvelle idée de blague : le prochain sorcier quelles croiseront, elles lui écriront dessus. Ça lui apprendra à faire commerce avec le Sans-Nom, tiens. Par association didée, elle se demande si la sorcière de Bazas tient toujours son poste de douanière où si les flammes rédemptrices lui lèchent déjà les orteils.
La tête penchée par dessus lépaule dEilith, elle jette un coup dil à la lettre, railleuse.
Tu devrais rajouter quelques « cu » et « grave » de temps à autre, des fois quils ne comprennent le langage normal.
Soudain elle remarque un dernier pigeon. Paisiblement pelotonné dans lherbe gelée, il semble plus sage que les autres. Elle lapproche toutefois avec circonspection, mais il ne semble pas décidé à lui voler dans les plumes. En se dandinant, il savance vers elle et sarrête à ses pieds, visiblement mieux éduqué que les pigeons du tribunal. Elle lui soustrais la lettre quil transporte, et jette un il dessus.
Bonjour dame ..
Quelle vie trépidante et intéressant vous avez ..
je me languis et me morfonds sur les travées de mon champ ..
Bien à vous,
Wolfie l'occitane ..
Ah, flûte (haha) La missive ne lui était pas destinée. Les sourcils haussés, elle regarde les deux autres.
« Wolfie l'occitane », vous connaissez ? Ça nvous dit rien ? Mince alors, le pigeon sest gouré. Bon, on va le lui renvoyer, il devrait bien arriver à rentrer chez lui, tout dmême. Eilith, file-moi un bout de ton pain au pavot, quil se requinque
Avec ce froid, il na pas dû avoir la force daller jusquau bout.
Elle replie la lettre, la coince de nouveau dans la bague, puis, impulsivement, décide de répondre à linconnue. Au moins le pigeon naura-t-il pas fait laller-retour pour rien. En tailleur dans la neige, elle sappuie sur un rocher pour écrire.
Bonjour dame Wolfie.
J'ai malencontreusement intercepté un de vos pigeons, qui ne m'était sans doute pas destiné puisque je ne crois pas avoir l'heur de vous connaître. Je vous le renvoie donc. Toutefois, comme je n'ai pu m'empêcher de lire la missive, je me permets d'y répondre bien qu'elle ne s'adresse pas à moi.
J'ai eu moi aussi une vie languissante et tranquille, à cultiver, jusquà ce que je me décide à quitter mon village et mon fiancé pour repartir sur les routes. Je me sais aujourdhui incapable de mener de nouveau la petite vie sédentaire que jai mené quelques temps. Je suis vagabonde, apatride, et je suis heureuse ainsi.
Puissiez-vous trouver la voie qui vous convienne, quelle quelle soit.
S.
Elle glisse la lettre avec la première, attachée à la patte du pigeon à présent rassasiée, quelle renvoie doù il vient. Et tant quelle y est, elle décide de répondre à ses autres courriers.
Mon cher filleul,
Je suis bien aise davoir de vos nouvelles, et vous remercie de votre délicate attention. Je regrette simplement que, comme vous le dites, vous parliez si peu aux gens. À vous renfermer sur vos cochons, vous risquez de finir contaminé par leur caractère. Je vous taquine, mais vous sais timide comme un daim et comme je létais, aussi vous souhaite de dépasser cette timidité.
Pour ma part je me balade en Guyenne, pas loin de chez vous, et peut-être passerai-je vous saluer dici peu. Figurez-vous quil vient de marriver bien singulière aventure. Alors que je me promenais tranquillement en compagnie de deux amies, plusieurs pigeons, dont le vôtre, ont foncé droit sur nous. Or parmi leurs missives se trouvaient des actes daccusations à moitié illisibles, dans lesquels ils nous a semblé comprendre quun inconnu complet nous avait accusé de lavoir sauvagement détroussé. Cest un monde, tout de même. Si les jeunes filles ne peuvent plus sortir de chez elles sans craindre dêtre accusées de rançonnage, à présent !
Enfin, jespère que cette ridicule histoire sera sans suite. A bientôt, et dici là, portez-vous bien.
Votre dévouée marraine.
Très chère Aliénor,
Grand merci davoir songé à mon anniversaire. À part ça, jignorais quon eût déjà changé dannée, mais si vous le dites, je veux bien vous croire.
Comme je ne connais ni le Maine ni le Berry, je my rendrai peut-être un de ces jours, en tous les cas jespère vous revoir bientôt, mais jen suis pour lheure un peu loin : en Guyenne. Dailleurs si un jour vous vous y rendez, méfiez-vous, les routes ne sont pas sûres. On peut y êtres impunément accusé de vol par des inconnus, comme je viens den faire les frais. Enfin, jimagine que cet olibrius a voulu samuser un peu ou a cru pouvoir nous extorquer de largent par ce procédé déshonnête, mais que cela nira pas plus loin.
Très-cordialement,
Simone.
PS : Dites-moi, en définitive... Avez-vous lancé la mode des houppelandes déchirées-cramées ?
Quant au tribunal, il attendra, tant qu'il n'aura pas répondu au premier pigeon. Elle lève le nez de sa correspondance.
Eiliiiiiith
Jcrois que jvais avoir besoin de pain au pavot._________________