Linon
Masquée par l'épaule de son valeureux compagnon, Linon au comble du trouble baissa la tête. Le choc était rude, Kles était le dernier homme qu'elle s'attendait à voir en cet instant pourtant si parfait jusqu'à son arrivée. Que faisait-il là, après tant de temps? Elle s'était persuadée qu'il était mort pendant la dernière guerre des comtés du nord. C'était la seule explication supportable à l'époque. Et voilà qu'il débarquait au moment où sa vie prenait un tournant aussi décisif que définitif.
L'échange entre les deux hommes lui fit relever le regard, juste à temps pour voir le géant blond faire demi-tour. Kles... elle eut presque un mouvement pour le retenir, mais son présent incarné par Titi faisait barrage. Ne restait plus que son parfait et si courageux Maje-philosophe qui s'inquiétait, et le passé dont elle ne lui avait pas parlé. Que penserait-il d'elle? L'idée de le décevoir et de perdre son estime lui fit manquer un battement de coeur. Forçant un sourire rassurant, Linon hocha légèrement la tête pour acquiescer.
Oui... c'est fini.
Une cavalcade qui se rapprochait annonçait les invités décrits par Kles et la fin du répit. Quelle idée avait-il eu de faire croire à un enlèvement ! La petite juge songea brièvement à se placer dans le chemin pour les arrêter et leur expliquer, mais elle n'avait jamais aimé les hommes d'armes et se méfiait d'eux, particulièrement quand ils étaient en groupe et surexcités.
Elle parcourut les alentours du regard à la recherche d'une idée, puis glissa sa main sous le bras de Titi pour l'attirer.
Viens..! Vite... je ne veux pas qu'ils t'attrapent !
Et elle l'entraîna en courant vers la tour aux corneilles qui représentait leur avenir... s'il voulait encore d'elle.
Linon
Titi avait immédiatement réagi et tous deux se retrouvèrent vite fait devant la tour carrée. Pendant que l'homme cherchait un moyen d'entrer, Linon renversa le visage vers le sommet de la massive tour qui se détachait sur le ciel bleu. Elle se mordit la lèvre d'enthousiasme en imaginant son Titi en seigneur des lieux, occupé tout en haut à ses expériences de Majie...
Mais pour l'instant, la majie se résumait à un bâton pour forcer les volets. Linon rouspéta un peu à l'idée de devoir faire de l'escalade dans son état et dans sa robe de tribunal qui n'était pas faite pour, mais la cavalcade se rapprochait et elle finit par enjamber le rebord de la fenêtre avec l'aide de Titi.
Une fois à l'intérieur, elle observa les nouveaux lieux en serrant les bras autour d'elle, légèrement frissonnante. Ça devait être fermé depuis fort longtemps à en juger par la poussière accumulée et la fraîcheur conservée par les murs que ce début de printemps n'avait pas encore réchauffés.
Titi s'occupa de remettre un peu d'ordre dans sa tenue à sa manière, ce qui arracha un rire léger à la jeune femme. Elle faisait un pas vers la cheminée en songeant aux lettres pas encore ouvertes qui se trouvaient dans sa poche et pourraient servir à allumer un feu, quand les paroles de Titi l'arrêtèrent. Ainsi, il voulait savoir... Mais pour quoi faire? Elle leva vers lui un regard empli de désarroi, laissa passer quelques secondes, puis baissa les yeux pour lui répondre.
Oui mon aimé... je le connais. Ce n'est pas un brigand. Il s'appelle Klesiange, il est flamand...
La main de Titi gardait la sienne bien au chaud.
Je l'ai connu en Bourgogne. Tu sais, quand j'ai été poutrée là-bas? Je... j'étais seule et gravement blessée... j'ai cru mourir de solitude et de désespoir. Et c'est lui qui... enfin... je ne suis pas morte, quoi... Quand j'ai été rétablie, je suis rentrée en Anjou, il est reparti chez lui... Nous nous sommes un peu écrit, puis il a ... disparu. Je le pensais mort jusqu'à aujourd'hui. Ensuite, je t'ai rencontré.
Elle bougea un peu les doigts pour s'assurer qu'il tenait toujours sa main, hésita à continuer.
Risquer de le perdre en lui avouant qu'elle avait aimé cet homme? Qu'elle l'avait attendu désespérément chaque jour? Même Kles l'ignorait... ils n'avaient pas eu assez de temps pour se dire tout ça, et Linon n'avait découvert qu'elle était enceinte que bien après son retour en Anjou. Elle l'avait supplié par courrier de venir l'épouser. Lettre restée sans réponse... heureusement le Très-Haut avait entendu ses prières affolées et finalement, aucun enfant n'était né. Et la blessure avait fini par se refermer grâce au merveilleux Titi qu'elle avait ébouillanté en guise de premier bonjour. A quoi bon lui dire tout ça ?
C'est tout mon aimé, ne t'inquiète pas... J'ai été surprise, c'est tout.
Oui, à quoi bon lui dire? Les femmes gardaient pour elles ces secrets intimes et douloureux qui les faisaient sangloter la nuit dans leur oreiller. Comment un homme pourrait-il comprendre?
Elle serra un peu la main. Ne me quitte pas...
Linon
A peine le temps de poser la tête sur l'épaule de Titi et de recevoir un tendre baiser que le tourbillon joyeux qui anime ce fabuleux homme reprend. Il l'entraîne à l'étage et bricole quelque chose sur un volet, pendant que Linon parcourt la pièce du regard. Ses pensées sont à nouveau entièrement concentrées sur eux deux, et elle cherche à se rappeler si elle a dit oui, si ça compte encore, ou si la demande de Titou est juste annulée. Comment faire pour lui dire?
Le voilà qui revient et l'enlace pour lui montrer sa nouvelle invention. La jeune femme se laisse aller contre lui et ouvre de grands yeux devant le spectacle incroyable qu'il a créé avec deux bouts de bois.
Oooohh... Titou.... C'est magnifique ! Mais comment tu fais tout ça? C'est aussi beau que les étoiles que tu as fabriquées l'autre soir sur la Loire...
Elle pose les mains sur les bras qui l'enlacent et dans une douce caresse, les fait la serrer un peu plus fort. Vivre sans lui lui est devenu tout simplement inimaginable. Alors bravant la gêne qui s'est installée entre eux, elle murmure
Tu.. tu veux toujours de moi?
Heureusement, la pénombre de la pièce malgré les arcs-en-ciel et la position de Titi derrière elle, l'empêchent de voir les larmes sourdre de ses paupières closes.
Linon
La joue de Titi venue se poser contre la sienne provoqua l'exhalaison d'un soupir. Linon sans s'en rendre compte avait retenu sa respiration un court instant. Tout était renoué, rien n'avait changé, et la jeune femme adressa un remerciement muet au Très-Haut qui veillait sur eux. Elle rouvrit lentement les paupières et baissa les yeux sur l'objet que lui tendait Titi. Un sourire illumina son visage alors qu'elle se tournait doucement dans ses bras pour lui faire face. Elle tendit gracieusement la main pour qu'il puisse glisser le bijou à son doigt et au milieu des scintillements des pierres précieuses provoqués par les arcs en ciel qui les éclairaient, prononça enfin les mots que leurs deux coeurs espéraient tant.
Ici, chez toi... ou sur les chemins... oui Titou, je veux être toute à toi, rien qu'à toi, jusqu'à notre mort.
Elle lui laissa le temps de glisser l'anneau sur son doigt avant d'ajouter malicieusement
Et pour une fois que les écus d'Auré serviront à une action qui plaît à Dieu, il devrait te remercier... et t'en donner plus...
Et la jeune femme aux yeux pétillant de bonheur se mit à rire d'un rire clair et joyeux comme cette merveilleuse journée.