Sorane avait récupéré sa précieuse ombrelle, ô combien utile et de diverses manières !
Elle la serra contre elle, dissimulant très mal son sourire amusé.
Nul doute que la chute du Duc serait un moment fort de ce mandat dans la mémoire des conseillers. En tout cas, elle songeait qu'elle pourrait se repasser ce souvenir pour égayer les longues nuits d'hiver, le raconter, l'enjoliver, le faire durer... Dépeindre les traits du Duc au moment de la chute, lorsque son arrogance fit place à la stupéfaction. Que de beaux fous-rires en perspective !
Évidemment le Duc avait passé sa colère sur un pauvre valet et l'avait menacé, lui et sa famille.
Sorane se promit de faire parvenir au valet et à sa famille une coquette bourse d'écus. Voire de lui proposer de travailler pour elle.
Elle n'avait pas frémis sous le regard furieux du Duc, ni devant son sourire assassin. Elle avait tout simplement ouvert son éventail d'un geste lascif, comme pour marquer son profond ennui devant la furie ducale... La force de l'habitude.
Elle connaissait bien les chiens et elle savait que les roquets qui aboyaient beaucoup, n'étaient pas les plus dangereux, ils mordaient rarement.
Elle par contre... Le Duc devrait s'en souvenir !
Le seigneur de Moulins-Engilbert s'adressa à elle, elle plongea son regard émeraude dans le sien, affichant un air contrit et innocent :
"Insultes ? Messire, point d'insulte ici. Je me suis laissée emportée par une juste colère... J'y tiens beaucoup à cette ombrelle, elle m'est très précieuse ! Mais je n'ai proféré aucune insulte."
Elle prit place à la table de travail et constata avec dépit que le Duc prenait décidément plaisir à sa présence puisqu'il choisit la place à côté de la sienne, et évidemment le goujat marcha sur sa robe !
L'envie la prit de lui coller un nouveau coup d'ombrelle dans les genoux. Mais elle se retint... Elle trouverait bien un autre moyen d'encourager le Duc à aller prendre place loin d'elle désormais.
Un dossier puis un autre allèrent jouer dans les flammes. Le troisième dossier, elle sourit en voyant le Duc rédigeait sa réponse, et ne put s'empêcher de lancer une pique :
"Votre Grace est follement charitable en ce jour, pour excuser les manquements répétés et continuels d'un Baron envers la Cour de Justice de Bourgogne. J'imaginais que vous vouliez vous réserver le plaisir d'insulter vos conseillers et que vous ne souhaitiez guère le partager avec un autre, même Baron. Mais je suis éblouie de votre soudaine générosité !"_________________