Adriendesage
Quatorze écus et dix-sept deniers. C'était pour le morceau de pain qui en plus, était de la veille. Vingt-sept écus et trois deniers pour le morceau de lard. Quarante et un écus et vingt deniers pour une collation qui n'aurait pas rassasié un roquet de ferme. Adrien fulminait intérieurement. Loin d'être pingre, le général Desage avait accepté malgré tout les prix qu'avaient exigés ces corniauds de marchands provençaux. Après tout, les français, envahisseurs pour la bonne cause, ne pouvaient que comprendre le ressentiment des gens du pays envers les armées du Roy de France et du Saint Empire. L'amertume de l'invasion, ajoutée à la rareté des marchandises, c'était là une recette qui avait pour résultat une vertigineuse envolée des prix...
En revanche, les quelques poules, oies et canards qui se dandinaient sur les pavés, devant les étals, ne s'envolaient guère. Leur prix les clouaient au sol et même à leurs propriétaires, qui s'ils n'en tiraient point de monnaie assez vite, devraient pour certains volatiles bien en âge, ne pas tarder à en faire de grands potages et marinades. Car l'on ne vendait plus de qualité à Arles! C'était les vieilles poulardes que l'on tentait encore de refourguer. Toutes les jeunes et tendres étaient déjà grillées, mastiquées et digérées depuis des semaines!
Le général trébucha sur une vielle pondeuse au plumage dégarni, qui détala en braillant. Adrien lui, continua en râlant... Pain et lard dans la besace, ils quittèrent la place du marché et descendirent par une petite ruelle étroite. Ils passèrent sous un porche, sous lequel mousses et lierre cohabitaient sur les murs avec quelques hirondelles. Les premières de l'année, celles qui annonçaient le printemps. Malgré le décors bucolique de l'endroit, Maëlie et Adrien se hâtèrent, car contre les murs, les habitants des maisons attenantes déposaient leurs déchets et excréments. L'odeur y était nauséabonde et parmis les tas fumants, quelques rats rivalisaient d'agilité avec de gros chats couverts de cicatrices...
Au travers des rues, Adrien et Maëlie devisaient avec une tendresse qui se voulait hésitante et pudique. Ici, sur les terres dévastées de la Provence, au milieu d'une guerre terrible, le destin avait choisi de rapprocher leurs coeurs, de les ouvrir et de les lier. Mais cette guerre ne serait point éternelle et si la Mort se refusait à les emporter, en Languedoc ils allaient devoir affronter leurs conditions, leurs histoires, leurs vies.
"Pardonnez-moi, je crois que j'ai présumé de ma jambe. Pouvons-nous aller un peu moins vite ?" lui dit-elle soudainement, d'une voix presque teintée de crainte.
Adrien hocha la tête vers le parapet d'un petit jardin de ville laissé à l'abandon, dans lequel seules quelques vignes subsistaient sauvagement.
"Bien sûr. Donnez moi votre bras, nous nous arrêterons là pour déjeuner! Vostre jambe reprendra ainsi de la vigueur. Et si elle en manque encore, je vous aiderai."
Mais ils n'eurent point le temps d'accomplir leur dessein. Les cors de guerre se mirent à hurler. Pigeons et corneilles s'envolaient des toits dans un désordre piaillant, tandis que l'on entendait les ruelles résonner sous les bottes des soldats français qui ralliaient au pas de course l'entrée de la ville. Adrien soupira:
"Eh bien... Nous ne sommes point ici pour flâner en vérité..."
Il baissa les yeux vers la jambe hésitante de Maëlie, sans pouvoir s'empêcher de s'attarder discrètement sur les formes de sa compagne. Elle était faite si parfaitement... La détermination dans son regard, affichée sur son corps d'allure parfois fragile, lui donnaient à ses yeux une grâce infinie.
"Nous devons aller combattre. Je viens avec vous. Il me faut un capuchon pour couvrir ce bandage" dit-il en passant une main sur son front noué de tissu. "Et un uniforme de lancier. C'est à vos côtés que je serai puisque les forces languedociennes sont dispersées..."
Les médicastres interdisaient aux blessés de combattre et l'on avait confiné le général au repos, sa blessure étant trop grâve pour risquer trôp tôt un choc nouveau. Déguisé en simple soldat, il escomptait ainsi braver les interdictions médicales et se mêler à la troupe quand sa place aurait dû être dans la tente d'etat-Major...
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En revanche, les quelques poules, oies et canards qui se dandinaient sur les pavés, devant les étals, ne s'envolaient guère. Leur prix les clouaient au sol et même à leurs propriétaires, qui s'ils n'en tiraient point de monnaie assez vite, devraient pour certains volatiles bien en âge, ne pas tarder à en faire de grands potages et marinades. Car l'on ne vendait plus de qualité à Arles! C'était les vieilles poulardes que l'on tentait encore de refourguer. Toutes les jeunes et tendres étaient déjà grillées, mastiquées et digérées depuis des semaines!
Le général trébucha sur une vielle pondeuse au plumage dégarni, qui détala en braillant. Adrien lui, continua en râlant... Pain et lard dans la besace, ils quittèrent la place du marché et descendirent par une petite ruelle étroite. Ils passèrent sous un porche, sous lequel mousses et lierre cohabitaient sur les murs avec quelques hirondelles. Les premières de l'année, celles qui annonçaient le printemps. Malgré le décors bucolique de l'endroit, Maëlie et Adrien se hâtèrent, car contre les murs, les habitants des maisons attenantes déposaient leurs déchets et excréments. L'odeur y était nauséabonde et parmis les tas fumants, quelques rats rivalisaient d'agilité avec de gros chats couverts de cicatrices...
Au travers des rues, Adrien et Maëlie devisaient avec une tendresse qui se voulait hésitante et pudique. Ici, sur les terres dévastées de la Provence, au milieu d'une guerre terrible, le destin avait choisi de rapprocher leurs coeurs, de les ouvrir et de les lier. Mais cette guerre ne serait point éternelle et si la Mort se refusait à les emporter, en Languedoc ils allaient devoir affronter leurs conditions, leurs histoires, leurs vies.
"Pardonnez-moi, je crois que j'ai présumé de ma jambe. Pouvons-nous aller un peu moins vite ?" lui dit-elle soudainement, d'une voix presque teintée de crainte.
Adrien hocha la tête vers le parapet d'un petit jardin de ville laissé à l'abandon, dans lequel seules quelques vignes subsistaient sauvagement.
"Bien sûr. Donnez moi votre bras, nous nous arrêterons là pour déjeuner! Vostre jambe reprendra ainsi de la vigueur. Et si elle en manque encore, je vous aiderai."
Mais ils n'eurent point le temps d'accomplir leur dessein. Les cors de guerre se mirent à hurler. Pigeons et corneilles s'envolaient des toits dans un désordre piaillant, tandis que l'on entendait les ruelles résonner sous les bottes des soldats français qui ralliaient au pas de course l'entrée de la ville. Adrien soupira:
"Eh bien... Nous ne sommes point ici pour flâner en vérité..."
Il baissa les yeux vers la jambe hésitante de Maëlie, sans pouvoir s'empêcher de s'attarder discrètement sur les formes de sa compagne. Elle était faite si parfaitement... La détermination dans son regard, affichée sur son corps d'allure parfois fragile, lui donnaient à ses yeux une grâce infinie.
"Nous devons aller combattre. Je viens avec vous. Il me faut un capuchon pour couvrir ce bandage" dit-il en passant une main sur son front noué de tissu. "Et un uniforme de lancier. C'est à vos côtés que je serai puisque les forces languedociennes sont dispersées..."
Les médicastres interdisaient aux blessés de combattre et l'on avait confiné le général au repos, sa blessure étant trop grâve pour risquer trôp tôt un choc nouveau. Déguisé en simple soldat, il escomptait ainsi braver les interdictions médicales et se mêler à la troupe quand sa place aurait dû être dans la tente d'etat-Major...
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