Pouilleux
Antoine rouvrit les yeux sur une éblouissante lumière blanche, et dut ainsi les refermer. Après plusieurs essais, il s'était habitué à cette onirique lueur.
Que faisait-il là ?
Etait-ce ce boeuf aux épices qui lui éveillait les sens ?
Non, il n'y avait aucune assiette devant lui. En fait, il n'y avait rien devant lui. Ni derrière lui, ni encore au dessus, ou en dessous. Il flottait au centre d'un paysage uni, habillé d'une étrange toge qui se fondait dans la blancheur de l'environnement.
Il ne se rappelait que d'avoir goûté à ce met qu'il avait tant attendu. Qu'était-il arrivé ensuite ? Comment s'était-il retrouvé là ? Comment pouvait-il en sortir ?
Le Seigneur de Sinard tenta de lever un bras. Rien ne se produisit. Il était condamné à l'immobilité, condamné à rester spectateur de cette pièce monochrome.
Bien que paralysé, Antoine se sentait étrangement bien. Il nageait dans une béatitude totale, ne subissant aucune contraction. Ses muscles, sa chair, ses os, tous étaient enveloppés dans une confortable aisance.
Plus surprenant encore, sa poitrine ne le démangeait plus. Pour la première fois depuis des mois, ses poumons le laissaient en paix.
Où donc pouvait-on se sentir mieux encore que dans le ventre de sa mère. Quelle contrée pouvait-elle donner à un homme la sensation que toute souffrance allait désormais être prohibée, inexistante, factice ? Quelle place pouvait donc faire jouir son visiteur d'une inconditionnelle félicité ? Quel théâtre était synonyme d'une béatitude éternelle ?
Non ...
C'était terminé ...
Il s'envolait à coup sûr vers le paradis. Il avait abandonné subitement amis, famille, biens ...
La petite Romane ne l'enchanterait plus de son rire léger.
Le vieux Phelim ne serait plus là pour l'écouter et le conseiller.
La brave Nynaeve ne lui apprendrait plus les mécanismes de la société qui lui restaient obscurs.
La bienveillante Arwel ne serait plus là pour lui rappeler par sa présence l'excellence de l'humanité.
Le méticuleux Mirandor n'aurait plus à lui administrer ses meilleurs traitements.
Et tant d'autres précieux amis dont il était séparé.
Il baignait dans l'aisance alors que, plus bas, tous restaient pour encore longtemps.
Que devait-il lui arriver désormais ?
Quand arriverait-il au Soleil ?
Tout restait encore inlassablement blanc autour de lui. Rien ne changeait.
Soudain, il put lever le bras.
Ses jambes s'engourdirent.
Ses cuisses s'humidifièrent.
Son estomac gronda.
Sa poitrine le brûla.
Son cou s'ankylosa.
Sa tête le gratta.
Sa toge se désagrégeait peu à peu, remplacée par la tenue qu'il portait sur lui au moment de l'accident.
Le blanc qui l'entourait se souilla peu à peu. Il devint bien vite marron. Boisé, plus précisément.
Le décor s'était rapidement changé. Il était de nouveau sur terre, dans la maison de ses amis.
Le rire léger de la petite Romane éblouirait encore ses oreilles.
Les conseils du vieux Phelim limiteraient encore ses bêtises.
Les leçons de la brave de Nynaeve pourraient encore être nombreuses.
La présence de la bienveillante Arwel attiserait de nouveau sa foi en l'humanité.
Enfin, les traitements du brillant Mirandor lui offriraient encore de nombreux instants de bonheur.
Il était allongé sur une couche. Les couvertures s'accumulaient sur son corps étendu.
A ses côtés, la Vicomtesse dormait telle un ange. L'intrépide avait tenu à rester à son chevet. Finalement, elle n'avait pas tenu.
Cela ne manqua pas de rassurer Antoine qui avait longtemps cru que la demoiselle ne dormait jamais.
Il resta là, étalé sur sa couche, veillant malgré sa faiblesse sur le sommeil de celle qui symbolisait pour lui la réussite.
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Que faisait-il là ?
Etait-ce ce boeuf aux épices qui lui éveillait les sens ?
Non, il n'y avait aucune assiette devant lui. En fait, il n'y avait rien devant lui. Ni derrière lui, ni encore au dessus, ou en dessous. Il flottait au centre d'un paysage uni, habillé d'une étrange toge qui se fondait dans la blancheur de l'environnement.
Il ne se rappelait que d'avoir goûté à ce met qu'il avait tant attendu. Qu'était-il arrivé ensuite ? Comment s'était-il retrouvé là ? Comment pouvait-il en sortir ?
Le Seigneur de Sinard tenta de lever un bras. Rien ne se produisit. Il était condamné à l'immobilité, condamné à rester spectateur de cette pièce monochrome.
Bien que paralysé, Antoine se sentait étrangement bien. Il nageait dans une béatitude totale, ne subissant aucune contraction. Ses muscles, sa chair, ses os, tous étaient enveloppés dans une confortable aisance.
Plus surprenant encore, sa poitrine ne le démangeait plus. Pour la première fois depuis des mois, ses poumons le laissaient en paix.
Où donc pouvait-on se sentir mieux encore que dans le ventre de sa mère. Quelle contrée pouvait-elle donner à un homme la sensation que toute souffrance allait désormais être prohibée, inexistante, factice ? Quelle place pouvait donc faire jouir son visiteur d'une inconditionnelle félicité ? Quel théâtre était synonyme d'une béatitude éternelle ?
Non ...
C'était terminé ...
Il s'envolait à coup sûr vers le paradis. Il avait abandonné subitement amis, famille, biens ...
La petite Romane ne l'enchanterait plus de son rire léger.
Le vieux Phelim ne serait plus là pour l'écouter et le conseiller.
La brave Nynaeve ne lui apprendrait plus les mécanismes de la société qui lui restaient obscurs.
La bienveillante Arwel ne serait plus là pour lui rappeler par sa présence l'excellence de l'humanité.
Le méticuleux Mirandor n'aurait plus à lui administrer ses meilleurs traitements.
Et tant d'autres précieux amis dont il était séparé.
Il baignait dans l'aisance alors que, plus bas, tous restaient pour encore longtemps.
Que devait-il lui arriver désormais ?
Quand arriverait-il au Soleil ?
Tout restait encore inlassablement blanc autour de lui. Rien ne changeait.
Soudain, il put lever le bras.
Ses jambes s'engourdirent.
Ses cuisses s'humidifièrent.
Son estomac gronda.
Sa poitrine le brûla.
Son cou s'ankylosa.
Sa tête le gratta.
Sa toge se désagrégeait peu à peu, remplacée par la tenue qu'il portait sur lui au moment de l'accident.
Le blanc qui l'entourait se souilla peu à peu. Il devint bien vite marron. Boisé, plus précisément.
Le décor s'était rapidement changé. Il était de nouveau sur terre, dans la maison de ses amis.
Le rire léger de la petite Romane éblouirait encore ses oreilles.
Les conseils du vieux Phelim limiteraient encore ses bêtises.
Les leçons de la brave de Nynaeve pourraient encore être nombreuses.
La présence de la bienveillante Arwel attiserait de nouveau sa foi en l'humanité.
Enfin, les traitements du brillant Mirandor lui offriraient encore de nombreux instants de bonheur.
Il était allongé sur une couche. Les couvertures s'accumulaient sur son corps étendu.
A ses côtés, la Vicomtesse dormait telle un ange. L'intrépide avait tenu à rester à son chevet. Finalement, elle n'avait pas tenu.
Cela ne manqua pas de rassurer Antoine qui avait longtemps cru que la demoiselle ne dormait jamais.
Il resta là, étalé sur sa couche, veillant malgré sa faiblesse sur le sommeil de celle qui symbolisait pour lui la réussite.
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