--Lorenzo_antonelli
La petite boutique qui se profilait à langle de la rue avait, en une petite poignée dannées, acquis une jolie petite réputation en la capitale. De petite, elle nen avait rien, mais son propriétaire avait la fâcheuse manie de tout diminuer en parole. Lorenzo Antonelli Carpina della Fontanella i Sardi venait, selon ses propres mots, dune petite ville dune petite région dune petite péninsule dun petit royaume appelé Royaume des Deux Siciles. Et de lavis de Lorenzo Antonelli Carpina della Fontanella i Sardi, si lon avait donné deux Siciles à ce royaume, cétait bien parce que ces deux Siciles étaient si petites quune seule naura pas suffi à faire un royaume. Pourtant, Lorenzo Antonelli Carpina della
Oui, bon
Lorenzo ne voyait pas précisément les choses « en petit ». Au contraire, lambition lavait poussé très jeune à quitter sa petite ville du sud pour voyager dans les plus grandes capitales dEurope. De son père, il avait hérité une petite manufacture qui produisait des draps de lin et commerçait avec les Flandres. De sa mère, il avait hérité le goût des robes et le sens des affaires. Au cours de ses nombreux séjours de jeunesse dans toutes les grandes villes du continent, il avait découvert avec émerveillement toutes les ficelles de la couture. Il avait fréquenté les plus grands tailleurs, les tisserands les plus réputés, ceux que la noblesse sarrachait. Et surtout, il avait lu un jour, dans le regard mouillé de larmes dun de ses maîtres, quil possédait le don rare de faire naître par la grâce de ses doigts maniant aiguille, soie et dentelles, de purs chefs duvre de tissu. Il avait acquis ainsi une notoriété certaine, et, partant de la manufacture de son père, il avait peu à peu agrandi son affaire et ouvert des boutiques dans quelques unes des plus grandes capitales dEurope.
Celle quil tenait à Paris était de loin sa préférée. Il y avait dailleurs établi ses quartiers, et ne gérait plus les autres que de très loin, grâce à des mandats, à des coursiers et à des associés fidèles. Paris la Raffinée, Paris lElégante, Paris la Noble. Depuis quelques années maintenant, il nen avait plus bougé, à part quelques menus voyages de ci de là. Mère sen était allée, et plus rien ne lobligeait à retourner dans la petite péninsule qui lavait vu naître. Et il se sentait si bien ici, évoluant parmi les tissus, la soie, les fanfreluches, courtisant les courtisanes, transformant les laides en beautés époustouflantes, changeant les fillettes rougissantes en femmes à faire pâlir denvie les ducs et les rois. Ah, les femmes ! Quil aimait les habiller, les vêtir, les parer, faire ressortir leurs charmes et leurs atouts, créer de toute pièce une séductrice dangereusement lascive à partir dune petite donzelle timide et apeurée. Oui, il adorait les enrubanner, ces petites choses aux dehors si fragiles qui masquaient tant de dureté et de cruauté. Il habillait aussi les hommes, bien sûr. Mais au vrai, ils préféraient les déshabiller, les hommes Le tissu, quoiquon en dise, leur seyait beaucoup moins quaux femmes. Il restait quhommes comme femmes de la haute société poussaient régulièrement la porte de sa boutique parisienne, La Folle Petite Aiguille. Folle parce que Lorenzo Antonelli Carpina della Fontanella i Nardini était intimement convaincu que la folie était le corollaire du génie. Et petite, inutile de lexpliquer
La boutique de Lorenzo se divisait grosso modo en trois parties. La boutique proprement dite, où sexposaient de manière aguichante ses nombreux modèles originaux, tenaient sur deux niveaux. On empruntait un bel escalier de bois fort bien ouvragé pour accéder à un vaste palier en U qui donnait sur le niveau inférieur. Là haut se trouvaient les vêtements les plus chers, les plus fins, ceux sur lesquels il avait passé le plus de temps. La troisième partie était en fait larrière boutique, qui tenait lieu datelier. On y accédait par une petite porte sous lescalier. Cétait là que Lorenzo créait, taillait, coupait, tissait, là que son génie sexprimait en toute liberté, avec laide de Renald, son seul employé régulier à Paris.
La matinée avait été relativement calme. Cela ne gênait aucunement Lorenzo Antonelli Carpina della Fontanella i Nardini, pour deux raisons. La première était que ses robes, ses houppelandes, ses vestons et même ses ceintures se vendaient suffisamment chers pour quil nait pas un besoin vital daffluence pour gagner sa vie. La seconde était quil avait bien dautres échoppes dans bien dautres villes, et quil en retirait un pécule largement suffisant pour son train de vie. Il lui arrivait même, lorsque trop de clients venaient limportuner, de fermer plus tôt, quoiquil gardât dans ces cas là toujours un il sur la rue, dans lhypothèse où lune de ses clientes favorites vint à frapper à sa porte. Ou bien, savait-on quelles surprises le hasard pouvait réserver, si un bel éphèbe venait à se présenter à lui pour trouver une broderie adapté à son teint.
Fi de fermeture néanmoins, ce jour là. La période était calme, mais avec le printemps qui revenait, bals et mariages en grandes pompes reviendraient éclore en tous les châteaux du pays. Et les affaires, alors, seraient aussi florissantes que les robes des courtisanes. Lorenzo était à létage, reprisant un ourlet pour une petite vicomtesse de province, lorsque la clochette de lentrée tinta. Par-dessus la rambarde, il héla Renald.
Rrrrrrrrenaldini ? Mon pétit, voudrais tou filer à la porrrte accueillir les clients ? Jé terrrmine ici et jé descends fissa.
Le qualificatif de petit, si facile à venir aux lèvres de Lorenzo, était tout sauf évident lorsque lon parlait de Renald. Son aide de main était en réalité colossal. Il avait un cou de taureau et des épaules massives. En guise de bras, il avait des troncs musculeux, et ses mains rappelaient les battoires des lavandières. Son air renfrogné achevait den faire une figure inquiétante, de celles que lon naimerait pas rencontrer le soir au coin dune ruelle obscure. Pourtant, Lorenzo navait pas été long à découvrir les qualités incroyables de ce garçon qui était arrivé un jour à la boutique en expliquant quil voulait fabriquer des robes. Lorenzo lavait jaugé, dubitatif, mais avait décidé de lui laisser une chance. Le tisserand était de ces hommes qui pensent qui pousser la porte dun monde qui semblait si éloigné du vôtre demandait un certain courage, et que ce courage méritait respect. Il nen fut pas déçu Derrière ses allures de rustre forgeron, Renald sétait avéré détenir un réel don des cieux. Il avait des doigts de fée. De gros doigts, certes, ce qui rendait dautant plus surprenant la finesse avec laquelle ils étaient capable de donner jour à de véritables petits miracles de couture. Qui plus est, Renald était doté dune sensibilité étonnante au monde qui lentourait, et il était de ce fait capable de traduire les désirs secrets qui luisaient dans le regard des femmes venant se faire fabriquer robes, braies ou chemisiers.
Et, détail non négligeable, il faisait fuir les voleurs. Les clients, quant à eux, avaient bien du shabituer à ce géant taciturne qui, le plus souvent, venait les accueillir à la porte.
Celle quil tenait à Paris était de loin sa préférée. Il y avait dailleurs établi ses quartiers, et ne gérait plus les autres que de très loin, grâce à des mandats, à des coursiers et à des associés fidèles. Paris la Raffinée, Paris lElégante, Paris la Noble. Depuis quelques années maintenant, il nen avait plus bougé, à part quelques menus voyages de ci de là. Mère sen était allée, et plus rien ne lobligeait à retourner dans la petite péninsule qui lavait vu naître. Et il se sentait si bien ici, évoluant parmi les tissus, la soie, les fanfreluches, courtisant les courtisanes, transformant les laides en beautés époustouflantes, changeant les fillettes rougissantes en femmes à faire pâlir denvie les ducs et les rois. Ah, les femmes ! Quil aimait les habiller, les vêtir, les parer, faire ressortir leurs charmes et leurs atouts, créer de toute pièce une séductrice dangereusement lascive à partir dune petite donzelle timide et apeurée. Oui, il adorait les enrubanner, ces petites choses aux dehors si fragiles qui masquaient tant de dureté et de cruauté. Il habillait aussi les hommes, bien sûr. Mais au vrai, ils préféraient les déshabiller, les hommes Le tissu, quoiquon en dise, leur seyait beaucoup moins quaux femmes. Il restait quhommes comme femmes de la haute société poussaient régulièrement la porte de sa boutique parisienne, La Folle Petite Aiguille. Folle parce que Lorenzo Antonelli Carpina della Fontanella i Nardini était intimement convaincu que la folie était le corollaire du génie. Et petite, inutile de lexpliquer
La boutique de Lorenzo se divisait grosso modo en trois parties. La boutique proprement dite, où sexposaient de manière aguichante ses nombreux modèles originaux, tenaient sur deux niveaux. On empruntait un bel escalier de bois fort bien ouvragé pour accéder à un vaste palier en U qui donnait sur le niveau inférieur. Là haut se trouvaient les vêtements les plus chers, les plus fins, ceux sur lesquels il avait passé le plus de temps. La troisième partie était en fait larrière boutique, qui tenait lieu datelier. On y accédait par une petite porte sous lescalier. Cétait là que Lorenzo créait, taillait, coupait, tissait, là que son génie sexprimait en toute liberté, avec laide de Renald, son seul employé régulier à Paris.
La matinée avait été relativement calme. Cela ne gênait aucunement Lorenzo Antonelli Carpina della Fontanella i Nardini, pour deux raisons. La première était que ses robes, ses houppelandes, ses vestons et même ses ceintures se vendaient suffisamment chers pour quil nait pas un besoin vital daffluence pour gagner sa vie. La seconde était quil avait bien dautres échoppes dans bien dautres villes, et quil en retirait un pécule largement suffisant pour son train de vie. Il lui arrivait même, lorsque trop de clients venaient limportuner, de fermer plus tôt, quoiquil gardât dans ces cas là toujours un il sur la rue, dans lhypothèse où lune de ses clientes favorites vint à frapper à sa porte. Ou bien, savait-on quelles surprises le hasard pouvait réserver, si un bel éphèbe venait à se présenter à lui pour trouver une broderie adapté à son teint.
Fi de fermeture néanmoins, ce jour là. La période était calme, mais avec le printemps qui revenait, bals et mariages en grandes pompes reviendraient éclore en tous les châteaux du pays. Et les affaires, alors, seraient aussi florissantes que les robes des courtisanes. Lorenzo était à létage, reprisant un ourlet pour une petite vicomtesse de province, lorsque la clochette de lentrée tinta. Par-dessus la rambarde, il héla Renald.
Rrrrrrrrenaldini ? Mon pétit, voudrais tou filer à la porrrte accueillir les clients ? Jé terrrmine ici et jé descends fissa.
Le qualificatif de petit, si facile à venir aux lèvres de Lorenzo, était tout sauf évident lorsque lon parlait de Renald. Son aide de main était en réalité colossal. Il avait un cou de taureau et des épaules massives. En guise de bras, il avait des troncs musculeux, et ses mains rappelaient les battoires des lavandières. Son air renfrogné achevait den faire une figure inquiétante, de celles que lon naimerait pas rencontrer le soir au coin dune ruelle obscure. Pourtant, Lorenzo navait pas été long à découvrir les qualités incroyables de ce garçon qui était arrivé un jour à la boutique en expliquant quil voulait fabriquer des robes. Lorenzo lavait jaugé, dubitatif, mais avait décidé de lui laisser une chance. Le tisserand était de ces hommes qui pensent qui pousser la porte dun monde qui semblait si éloigné du vôtre demandait un certain courage, et que ce courage méritait respect. Il nen fut pas déçu Derrière ses allures de rustre forgeron, Renald sétait avéré détenir un réel don des cieux. Il avait des doigts de fée. De gros doigts, certes, ce qui rendait dautant plus surprenant la finesse avec laquelle ils étaient capable de donner jour à de véritables petits miracles de couture. Qui plus est, Renald était doté dune sensibilité étonnante au monde qui lentourait, et il était de ce fait capable de traduire les désirs secrets qui luisaient dans le regard des femmes venant se faire fabriquer robes, braies ou chemisiers.
Et, détail non négligeable, il faisait fuir les voleurs. Les clients, quant à eux, avaient bien du shabituer à ce géant taciturne qui, le plus souvent, venait les accueillir à la porte.