--Mme_makrel
Chère maman,
C'est moi, Mahaut ! Comment Anatole ? Pas besoin de préciser, a priori elle sait qui l'appelle "maman" ? Ben oui mais... Quoi ? Et pourquoi on l'appellerait "Papa" ? Mais vous êtes sobre Anatole ou quoi ? Maman c'est maman, un point c'est tout ! Arrêtez de ricaner ! Ecrivez ! C'est encore ce que vous faites de mieux !
Donc, chère maman,
Comment ça va ? Moi, ça va. J'ai bien reçu tes paquets de petits gâteaux, et j'en ai bien distribué à tous mes petits camarades, comme promis. (FAUX ! Elle a tout bouffé toute seule dans son coin ! Et quand on l'a prise en flagrant délit elle a répondu en postillonnant des miettes !)
J'ai bien mis tous les vêtements que tu m'avais tricoté. Le sous pull en laine, le tricot en laine, la cape en laine, le bonnet en laine, l'écharpe en laine, les gants, les mitaines par dessus, tout comme il faut. Mais ça me grattait trop, j'ai du en enlever au fur et à mesure du voyage. Et en fait, il ne fait pas si froid que ça dans le grand nord, tu sais ! En fait, il paraît même que le Maine, c'est pas si au nord que ça. Mais là, à mon avis, c'est que des carabistouilles, en plus c'est Anatole qui l'a dit et il dit souvent plein de bêtises. (Je m'insurge !!) Cessez de ronchonner, Anatole.
La réception s'est bien passée. C'était grandiose, maman, tu aurais dû voir ça ! Du rose partout ! Des paillettes ! De la Jette Sept ! Y'avait des nobles, des moins nobles et même des irlandais ! Et même que le comte est venu s'excuser du comportement des irlandais parce que vraiment, ils ne sont pas très polis, y'en a un qui nous a mis dehors parce que soit disant on faisait du bruit. Mais Isa va être anoblie par Gaga, c'est bien la preuve qu'on sait se tenir.
Bref, après, on a fait un concert ! En anjou ! Même qu'on a eu un succès fou ! Tu aurais adoré y être maman ! Les gens étaient surexcités et nous aussi. Je te raconterai tout ça quand je serai à la maison.
Comment se passe le restaurant ? Y'a du monde ? Tu ne veux toujours pas que je sois serveuse ? Tu me prépareras du poulet rôti pour mon retour ? On devrait arriver bientôt, dimanche si tout va bien. J'ai hâte de te voir pour tout te raconter. Ah et j'ai des vêtements à repriser, parce que pendant le concert, ils se sont un peu déchirés mais me gronde pas, c'est pas ma faute et c'est de l'art !
Je t'embrasse fort,
Mahaut
Makrel lisait et relisait la lettre depuis des jours. Sa cruche, sa petite cruche à elle ! Sa fille ! Adoptive, certes, et depuis peu, mais sa fille quand même.
La mort dans l'âme, Makrel l'avait laissée prendre la route avec ses amies pour éviter de la voir dépérir au PA. Elle l'avait sermonnée pendant des jours sur le bon comportement à avoir.
- N'parle pas aux zétrangers ! Pose pas tes coudes sur la table ! Mon p'tit chat, si on t'embête, vise l'entrejambe ! Si on te propose de t'expliquer les cigognes, t'r'fuses ! Tu es bien trop jeune et pour l'instant tu vaux plus comme ça. Couvre-toi bien ! Partage tes gâteaux ! Attention sur la route ! Si tu es perdue, va à l'accueil et fais passer un m'ssage comme quoi qu't'attends tes amies. Ne t'goinfre pas de popeuh ! N'oublie pas ton tire-bouchon ! Mon p'tit chat, t'es quand même bin p'tite pour partir comme ça sur les routes... Je t'ai mis des mouchoirs dans ton sac. Tu as pris de quoi manger sur la route ?
Oui, elle avait développé un sens maternel très poussé. Trop, peut-être. Mais la cruche ne l'écoutait qu'une fois sur deux, de toute façon. Ceci dit, grâce à ses conseils, elle avait fait son ch'min, la p'tite. Elle fouilla dans un coffret et en ressortit une vieille lettre.
Chair maman,
Jai bien arcelé le barron com tu me l'avé dit. Je lui écri des pouèmes et il me raipon, cé bon signe hin ? S'il m'épouze, je seré baronne et à nou la bell vi !
Je t'ambrasse,
Mao
A cette époque là, la cruche n'avait pas encore son écrivain particulier, Anatole... L'écriture était ronde, inégale, et la lettre sentait la mirabelle.
Elle sortit une autre lettre tâchée de gouttes de vin.
Maman !
je sui ambaçadrice ! pour le Mène ! Tu sé, le comté vers le ho ! Ils mappelent tous "vautre excaillance !" et je peu boire gratisse !
Et une dernière.
Maman, je vé à la rabateliaire avec Orka. Presque père va nou présenté à sa damme. Ne vien pas, tou va bien ! Jespaire qu'on sera nauble ! Je té laissé un sac de linje sale, tu peu t'en occupé ?
Makrel soupira de contentement. On était dimanche, sa fille devait arriver. Elle guettait de temps en temps à la fenêtre, passait nerveusement un plumeau sur tous les bibelots clinquants qui ornaient les petites tables à napperons. Nerveusement, elle réarrangeait sa coiffure, sa houppelande, ses faux seins, son maquillage. Les cloches de l'église sonnèrent. Une odeur de gâteaux montait du four. Un poulet rôti fourré à la truffe trônait sur la table.
Elle était prête.