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[RP]Que souffle le vent, que se tournent certaines pages...

Terwagne_mericourt
RP ouvert à tous, si cohérent.


Colline de Fourvière, à la sortie du Théâtre antique :

Lèvre mordue pour ne pas prononcer ce "bonsoir" qui l'aurait fait se retourner, elle fixait sa silhouette s'éloignant vers la nuit où déjà il s'engouffrait pour elle ne savait où, mais là où pas plus ce soir qu'un autre il ne répondrait à la dernière missive qu'elle lui avait écrite.

Elle avait sursauté en l'apercevant quitter la salle de réunion de l'ordre de Saint George, alors qu'elle-même s'en approchait par l'autre bout du couloir, celui auquel il tournait le dos, ne pouvant donc pas l'avoir vue.

Depuis des semaines elle ne l'avait plus vu nulle part, pas même au Comité des fêtes ducales où il avait laissé une petite note à l'intention des autres membres pour avertir de son absence pour quelques temps, et pire que tout, elle n'avait eu aucune nouvelle de lui de façon privée.

Elle s'était dit que sans doute il était encore débordé par les recherches en bibliothèque auxquelles il avait fait allusion dans ses dernières missives, les quelques unes qui avaient suivi son départ du conseil ducal, et que c'était uniquement pour cela qu'il mettait du temps à répondre à la dernière.

Oui, elle avait tenté de s'en persuader, mais plus les jours passaient et plus elle se disait qu'elle avait eu raison tout au départ, lors des premières visites nocturnes qu'il lui avait rendues, trois mois plus tôt... Toutes ces cajoleries, tous ces mots sortant de ses lèvres et de sa plume n'avaient été que des armes pour blesser un autre de façon indirecte!

Les premiers soirs, elle s'en souvenait, elle lui avait dit avec franchise qu'elle le soupçonnait de la flatter et de vouloir à tout prix lui ouvrir les yeux sur le fait qu'elle aurait été plus heureuse ailleurs, autrement, uniquement pour voler son coeur à un autre... Elle avait craint ne représenter à ses yeux qu'un trophée à arracher des mains d'un autre homme, et le lui avait dit, oui.

Mais il avait trouvé les mots pour la rassurer, et elle, idiote, elle avait fini par le croire, par baisser les armes, par se confier à lui sans plus de pudeur, sans plus de protection, aveuglément confiante.

La séparation qui avait suivi les dernières élections s'était faite avec des promesses de sa part de continuer à lui écrire et de venir la voir, mais de visite jamais plus elle n'en avait reçue, et les missives s'étaient faites plus rares, plus courtes, jusqu'à la dernière, celle à laquelle elle désespérait de recevoir réponse un jour.

Alors, forcément, elle ne pouvait s'empêcher de se dire que bien plus que de coïncider avec la fin de son mandat ducal à lui, cela coïncidait surtout avec sa rupture à elle avec Walan...

Manipulée! Il l'avait manipulée en espérant la voler à cet autre qu'il n'aimait pas! Il avait voulu se servir d'elle! Et aujourd'hui qu'elle n'était plus à personne, il n'avait aucune utilité à rester son ami puisqu'elle ne représentait plus une arme, plus un trophée à voler à l'autre!

Sa seule consolation alors qu'elle le regardait devenir un point à l'horizon fut de se dire qu'au moins elle n'avait pas été assez idiote pour le laisser lui dicter sa conduite et que sa rupture avec Sans-Repos n'avait aucun rapport avec lui, loin de là-même. Elle n'avait pas quitté un homme pour se jeter dans les bras d'un autre, quand bien même lui l'avait peut-être espéré au départ.

Et pourtant, elle avait cru, bêtement, qu'il l'aiderait à traverser sa douleur et son chagrin, continuant à la faire rire les soirs où elle avait envie de pleurer, à l'écouter et la comprendre.

Leurrée... Elle avait été leurrée, une fois encore! Et lui en voulut soudain énormément.

Faisant demi-tour, elle regagna le Théâtre, chercha une salle libre et une table, puis sortit de quoi écrire hors de sa besace. Les mots coulèrent, rapides, francs, directs.


Citation:
Sieur Raithuge,

Ma dernière missive datant de près de trois semaines (le 13 de ce mois) et n'ayant toujours pas eu de réponse de votre part, j'en arrive à la conclusion qu'en effet je n'avais de valeur à vos yeux que tant que je représentais un trophée à arracher des mains d'un autre.

Je regrette d'avoir cru en vos mots et vos promesses, je regrette de n'avoir été qu'une arme que vous pensiez utiliser, je regrette de vous avoir laissé me bercer d'illusions comme tant d'autres avant vous. Je regrette d'avoir cru encore dans les mots de quelqu'un.

Mais plus que tout je regretterai cette amitié en laquelle je croyais et sur laquelle je tire ce soir un trait en ouvrant les yeux.


Terwagne Méricourt de Thauvenay


Les mots coulèrent, oui, de même que les larmes qui baignaient toujours ses joues lorsqu'elle se mit à la recherche d'un coursier en déambulant dans les couloirs du théâtre antique, espérant n'y croiser personne de sa connaissance.
_________________
Terwagne_mericourt
Auberge municipale de Briançon, milieu de nuit :

Noooooon !!!!!!!!!!

Assise dans sa couche, les mains portées à sa gorge, le coeur et le corps tremblants, elle écoutait l'écho de son propre cri résonner dans la pièce, tout en tentant de se convaincre que tout cela n'était qu'un cauchemar.

Un cauchemar, oui, mais avec des images bien réelles pourtant!

Ces images qui ne la quittaient plus depuis qu'elle les avait eues en face des yeux deux nuits plus tôt, alors qu'elle rentrait de Paris - où elle avait passé la journée à la Cour d'Appel - à Briançon pour y faire ses valises et repartir directement en direction de Vienne où elle devait se décider à retourner au moins quelques jours, au moins le temps de préparer Anne et Milyena à sa décision de quitter le Duché dès la fin du mandat ducal.

Cette décision, elle savait fort bien que toutes deux ne la comprendraient pas, mais elle avait bien réfléchi, surtout depuis le mariage de sa nièce, et rien ne la ferrait sans doute changer d'avis, pas à l'heure actuelle en tous cas.

La route pour Vienne, elle avait prévu de la prendre, oui... Juste avant que la route de son coche ne croise celle d'un autre coche, ou plutôt de ce qui avait du être une calèche fort luxueuse.

De cette calèche, elle n'avait pas vu grand chose, mis à part le fait qu'elle était sur le toit et d'un modèle fort coûteux. Ce qu'elle avait en revanche aperçu en premier c'était les flammes qui étaient en train d'en ravager l'arrière. Un accident, sans doute, et sous le choc de la chute une pipe tombant de la bouche d'un des occupants et mettant le feu aux rideaux.

Et puis, alors que son cocher a elle avait fait ralentir les chevaux, elle avait aperçu deux hommes. L'un tentant en vain d'éteindre le feu, et l'autre usant d'outils au niveau de la portière qui refusait de s'ouvrir.

La portière... La vitre de cette portière...

Pourquoi y avait-elle posé les yeux? Pourquoi cette curiosité qui l'avait faite se retrouver face à cette image qui depuis la hantait?

Un homme, mort, dont le corps commençait à prendre feu lui aussi. Son visage et cette peur atroce dans les yeux, indescriptible, celle qui avait du être la sienne au moment où la vie l'avait quitté. Le temps s'était arrêté à cet instant, marquant dans sa mémoire ce sentiment qu'il lui transmettait par delà la mort.

Jamais elle ne pourrait l'oublier, elle en était certaine!

Qui était-il? Avait-il des enfants et une femme qui l'attendaient quelque part? Avait-il pensé à eux à l'instant précis où ses yeux auraient du se fermer plutôt que de montrer la peur et l'horreur de façon aussi marquante?

Toutes ces questions ne l'avaient pas quittée entre l'endroit de l'accident et les portes de Briançon, en entrainant d'autres bien plus personnelles... Et si cela lui était arrivé à elle? Que serait-il advenu de Mily et de leurs deux frères, ceux que leur père avait laissés sans ressources et dont elle payait les études depuis sa mort? Pourquoi diable n'avait-elle pas encore pris des dispositions pour leur léguer ses biens au cas où le ciel se déciderait enfin à l'emporter auprès de Zeltraveller?

Elle devait le faire au plus vite, sans plus mettre sa vie en danger sur les routes en attendant.


Changement de programme!
Nous ne partons pas cette nuit, ni demain!
Aucun risque que nous ne partions avant deux semaines, d'ailleurs...

D'ici-là, je vous donne congé.


Pas un mot de plus à l'intention du cocher. Elle l'avait quitté et avait rejoint sa chambre où toute la nuit elle avait tenté d'oublier ce qu'elle avait vu, mais en vain. Perturbée, choquée, elle n'avait même pas réussi à trouver le courage de lire la lettre que lui avait adressée le sieur de Rouvray dans la matinée, celui-là même qui deux jours plus tôt lui donnait envie de renoncer à son projet de quitter le Lyonnais-Dauphiné.

Le Chêne...

Elle avait eu envie de s'y appuyer, sans méfiance, en baissant sa garde, s'était peut-être même mise à rêver lorsqu'il lui avait chuchoté par la voie des airs et l'intermédiaire d'une plume des mots qui l'avaient touchée, et plus encore lorsque d'une de ses branches il l'avait frôlée.

Et puis il y avait eu un dernier échange en taverne dont elle était ressortie telle une tempête... Blessée, déçue, mais surtout s'en voulant horriblement d'avoir oublié à quel point l'on pouvait souffrir de s'être désarmée, d'avoir laissé un homme quel qu'il soit vous toucher pour mieux vous faire mal ensuite.

Les mots qu'il avait dits ce soir-là l'avaient rappelée à l'ordre, lui faisant ré enfiler sa protection de froidure et d'isolement, mais avaient également accéléré sa décision de repartir pour Vienne et ensuite Lyon où elle s'isolerait de nouveau en attendant d'être délivrée de sa charge de bailli pour pouvoir retourner à son passé de troubadour.

Au petit jour, elle avait finalement lu la lettre en question, et y avait répondu dans la soirée. Une lettre bien différente de toutes les précédentes sans doute.

Depuis, plus rien...

Etrange, mais au milieu de ce réveil brutal, c'est à lui qu'elle pensa, à lui ainsi qu'à Anne et Milyena. A la brièveté de la vie. A ceux qui nous sont chers malgré nos silences et nos peurs de s'attacher. A ceux qu'on voudrait savoir plus heureux que nous.


~~~~~~~~~~~~~~~~~~

Début de soirée, même lieu, humeur toute autre :

La tête et le coeur remplis de l'écho des derniers mots échangés en taverne, elle rejoignit sa chambre, à mille lieues de penser à ce qu'elle ferait dans vingt jours.

Quoi qu'il arrive, où que le vent la pousse, elle était certaine que dans tous les cas plus rien de ce qui l'avait retenue à Vienne n'existait.

Walan...

C'était le passé, un passé qui la faisait certes regretter aujourd'hui encore d'avoir ouvert son coeur à quelqu'un qui n'avait pas su la comprendre, mais le passé quoi qu'il en soit!

Anne...

Elle s'était promise, au départ de Hugoruth, de rester à sa place pour veiller sur elle et ne pas l'abandonner encore plus à sa solitude, mais aujourd'hui cela n'avait plus de sens, Anne était mariée et n'avait plus besoin d'elle.

Milyena...

Elle savait que c'était elle qui l'avait faite venir la rejoindre à Vienne, mais aujourd'hui Milyena n'avait plus vraiment besoin d'elle non plus. Elle avait une maison, une vie, des amis, et même des fonctions. Petit à petit elle s'était faite sa place sans avoir besoin d'aide ni d'appui. Elle s'en sortait très bien sans elle.

Peut-être séjournerait-elle encore là-bas dans quelques temps, y reverrait-elle son ami Dedelagratte qui lui manquait si souvent, mais au fond d'elle le simple fait d'être propriétaire là-bas d'un champs lui donnait l'impression de rester moralement prisonnière d'une ville où elle n'avait connu que déceptions sentimentales, brisures de son coeur.

Il était plus que temps qu'elle se libère de ce lien certes symbolique, mais lien tout de même, mette son champs en vente et en avertisse les deux jeunes femmes au préalable.

Elle écrivit donc aux deux.


Citation:
Ma chère nièce,

Depuis vos récentes épousailles, j'ai beaucoup réfléchi et me suis dit qu'au fond vous n'étiez désormais plus seule et n'aviez plus réellement besoin de moi pour veiller sur vous.

Je profite d'ailleurs de cette missive pour m'excuser d'avoir été une si piètre tante les dernières semaines, vous laissant seule à Vienne où je n'avais pas le courage de revenir.

Ce courage, je ne l'ai toujours pas aujourd'hui, tout m'y rappelant bien trop le départ de votre parrain, mais également mes derniers échanges avec le Vicomte d'Ancelles.

Peut-être, sûrement, en aurais-je la force un jour, mais à l'heure actuelle c'est loin d'être le cas, et sans doute ne le comprendrez-vous pas, mais je désire me libérer de tout lien avec cette ville que j'ai aimée, et où j'ai aimé plus que de raison surtout. C'est pour cette raison que j'ai décidé de mettre en vente mon champs là-bas, de façon symbolique avant tout.

Puissiez-vous comprendre la démarche qui est mienne et ne pas m'en tenir rigueur.

Il va de soi que je vous remets par la même occasion ma démission du conseil municipal de cette ville si vous le souhaitez, même si la vente de mon champs ne va pas de paire avec un éventuel déménagement, pour l'instant en tous cas.

Avec toute mon affection,
Votre tante Terwagne

PS : Veuillez remettre mes amitiés au Baron d'Aupic.


Citation:
Ma chère soeur,

Cela fait bien longtemps que je ne t'ai pas donné de nouvelles, et je tiens à m'en excuser.

Celle que je confie à cette missive ne te ferra sans doute pas sourire, et j'en suis désolée, mais je tenais à te l'annoncer moi-même avant que tu ne l'apprennes par d'autres voies.

Ma vie privée et les chagrins que j'ai connus ces derniers mois font que j'ai de plus en plus de mal à imaginer revenir passer mes journées à Vienne où mon coeur n'a que trop aimé et trop souffert.

C'est pour cette raison que j'ai décidé de vendre mon champs, mais pas encore ma maison, rassure-toi, et de proposer ma démission du Conseil municipal à Anne.

J'ai bien conscience de t'avoir poussée à venir t'y installer, et j'en suis remplie de remords puisque je n'ai pas été capable d'y rester auprès de toi, sache-le. Mais c'est plus fort que moi, je ne suis absolument pas prête à revenir y fréquenter les démons de mes blessures pour le moment.

Un jour peut-être...

Prends bien soin de toi, et n'hésite pas à m'écrire si tu as besoin de quoi que ce soit.

Je t'embrasse, ma douce.

Terry

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Anne_blanche
Mariée... Anne était mariée. Elle n'en revenait pas elle-même. Assise dans son lit, les bras autour des genoux, elle contemplait l'âtre vide, le regard rêveur. L'anneau à son doigt luisait doucement dans le petit jour.
Mariée...
Quelques amis autour d'un couple et d'une officiante, un repas pris en commun dans une salle tendue de blanc, une nuit de noces tendre et sereine, qui n'avait ressemblé à rien de ce que sa jeune cervelle lui avait laissé imaginer, mais lui laissait un sentiment de douce nostalgie.
Puis l'absence.

HdB était reparti dès le lendemain pour le couvent. Une vieille blessure, reçue autrefois au combat quelque part en Berry, le tourmentait. Anne le savait depuis toujours, semblait-il. Elle avait pu constater de ses propres yeux les ravages de ce vieux coup de quelque épée auvergnate. C'est elle qui avait insisté, la mort dans l'âme, pour que HdB quittât l'hôtel de Culan dès le lendemain des noces. Elle avait affiché un sourire confiant, en laissant son époux aux bons soins des moines. Cela ne lui avait pas été difficile. Elle était véritablement confiante. Le baron d'Aupic avait la vie chevillée au corps, il lui avait juré protection pas plus tard que la veille, il serait bien soigné, aurait désormais un but, tout irait bien.

A l'hôtel de Culan, elle avait réintégré dès la nuit suivante sa chambre d'enfant. Le lit conjugal, dans la haute chambre, lui paraissait trop grand, trop froid, lui rappelait avec trop d'insistance que, si elle s'était mariée par raison, elle avait découvert en une seule nuit l'insondable mystère du mariage aristotélicien : la perfection de l'Amitié, offerte et reçue.
Sa vie avait repris son cours, éclairée par la présence à ses côtés de sa jumelle Blanche, qui ne semblait pas décidée à reprendre l'habit de novice. Les deux sœurs riaient et plaisantaient de tout et de rien, jouaient, comme les enfants qu'elles étaient encore, avec le prince Philippe-Levan, hors des contraintes, sous l'œil attendri de Bacchus, sourdes aux grommellements de Matheline.
Étrange lune de miel...

Les premiers rayons du soleil caressèrent le pied de son lit. Sourire aux lèvres, Anne se leva. Son déjeuner l'attendait dans la grand-salle. Elle le prendrait seule, comme tous les matins, avant de se rendre à la mairie. Elle travaillerait dans son bureau jusqu'à l'angélus, puis rentrerait dîner avec Blanche et Son Altesse. Une visite au couvent, dont on lui refuserait la porte, mais qui la rapprocherait de HdB, un sourire au frère tourier, qui romprait son vœu de silence pour lui donner les nouvelles de la nuit.
Une journée ordinaire, sereine, lisse comme le visage de la toute nouvelle épousée.


Dame, un courrier de Dame Terwagne.

La sérénité se troubla. Anne avait appris depuis des mois que, lorsque Tante Terwagne écrivait, c'est que quelque chose n'allait pas. Sans doute était-elle excédée par l'attitude de ses collègues au Conseil Ducal, cette fois. Anne avait lu le compte-rendu de mi-mandat, avant de l'afficher à la porte de la Mairie. Sa première réaction avait été : "Pitoyable..." Pour qui savait lire entre lignes, on trouvait là, étalés du haut en bas de l'affiche, les états d'âmes de gens aigris d'avoir à travailler ensemble, la rancœur inexprimée, la méconnaissance des responsabilités, la mauvaise foi. Les actions mises en œuvre, Anne avait dû relire pour les trouver, noyées qu'elles étaient dans l'afflux de sentiments négatifs provoqués chez elle par la première lecture. Elle avait vu également, comme tout le monde, que l'APD n'avait toujours pas proposé de liste, pour la première fois depuis la création du Duché.
C'est en agençant déjà en esprit une réponse visant à redonner confiance à sa tante qu'elle brisa le scel.

Citation:

Depuis vos récentes épousailles, j'ai beaucoup réfléchi et me suis dit qu'au fond vous n'étiez désormais plus seule et n'aviez plus réellement besoin de moi pour veiller sur vous.


La première phrase arracha à Anne un petit rire. Elle s'était donc trompée. La missive de Terwagne n'avait pas pour but de fustiger le Conseil. Dommage... Elle aurait aimé trouver dans les propos de sa tante confirmation de ses suppositions.

Citation:

Je profite d'ailleurs de cette missive pour m'excuser d'avoir été une si piètre tante les dernières semaines, vous laissant seule à Vienne où je n'avais pas le courage de revenir.

Ce courage, je ne l'ai toujours pas aujourd'hui, tout m'y rappelant bien trop le départ de votre parrain, mais également mes derniers échanges avec le Vicomte d'Ancelles.


Le rire d'Anne s'éteignit en une sorte de hoquet. La tempête reprenait le dessus sur l'alizé. Terwagne avait beau invoquer tacitement Oncle Hugo, Messire Walan, Anne sentait bien que le désir de départ avait une cause bien plus profonde, chevillée à l'âme de sa tante depuis bien avant sa venue à Vienne, bien avant sa rencontre avec Hugo. Que s'était-il passé, encore, qui ramène la Dame de Thauvenay à des souvenirs enfouis ? Qu'y avait-il eu, dans les jours précédents, qui fasse du bailli attaché au Lyonnais-Dauphiné une errante ?

Elle mettait son champ en vente, elle offrait sa démission du Conseil Municipal. Si Anne le souhaitait. Comprendre ? Ne point tenir rigueur ? Bien sûr ... C'est tellement plus facile, de partir, quand on ne laisse derrière soi personne qui vous en veuille, quand on part avec la certitude qu'on est approuvé.


Toujours le même piège...

Eh bien non ! Pas cette fois. Plus jamais. Anne se sentit soudain si lasse qu'elle eut envie de jeter au feu le parchemin, de l'oublier, et de partir pour la Mairie, comme si Bacchus n'était pas entré dans la grand-salle.
Sur la table, son lait de poule attendait. Elle le but lentement, gardant l'écuelle tout près de son visage, humant le parfum du miel et de la fleur d'oranger, jouant avec de vieux souvenirs comme on se joue de la mort.


Non !

Le refus se lut dans toute son attitude. L'écuelle heurta durement la table, une goutte mordorée rejaillit sur le devanteau d'Anne. Non. Elle n'écouterait pas les sirènes, cette fois. Elle s'écouterait, elle, posément. Elle ne tiendrait pas compte des attitudes que Tante Terwagne souhaitait induire chez elle.
Elle déciderait.
En son âme et conscience.
Sans nostalgie, sans colère, non plus.

A pas lents, elle regagna sa chambre, s'agenouilla au pied de son lit. Posément, elle fit le compte de ses grâces, au premier rang desquelles HdB. Le sourire de Blanche. Les caresses de Philippe-Levan. Des amis rares, mais sûrs. Une fraction de sa parentèle qui toujours, de près ou de loin, avait veillé sur elle. La confiance de la princesse. Des tâches gratifiantes, au service d'une ville qu'elle aimait, d'une Académie où elle poursuivait, dans l'ombre, l'œuvre de son père. Des serviteurs dévoués. Un toit, des vivres à suffisance. Des capacités reconnues, même si non récompensées par les habituels hochets de la vanité. La foi. L'orgueil. Le terrible orgueil des Cornedrue.

Anne se signa, se releva, sereine. Debout devant son écritoire, elle rédigea sa réponse, tout d'une traite.


Citation:
Ma tante,

Les temps sont loin où je m'autorisais, folle que j'étais, à juger des actes d'autrui, ou simplement à chercher à les comprendre. Devant le Très-haut seul nous serons tous comptables.
Partez, ma tante, puisqu'il le faut.
Ne regardez pas votre absence de ces derniers jours, mais bien les mois et les années pendant lesquels vous veillâtes sur moi, non par obligation mais par pure affection. De cela toujours je vous serai reconnaissante.
J'accepte votre démission, si une rupture complète est nécessaire à votre cheminement. Elle accentuera certes un sentiment de solitude qui m'habite en la Mairie, mais le Très-haut veillera, comme toujours, à me donner l'aide nécessaire.
Ma porte toujours vous sera ouverte, que ce soit ici à Vienne, ou en notre castel d'Aupic. Messire mon époux recevra vos amitiés, le frère portier du couvent où il guérit les lui transmettra.

Veillez sur vous, ma tante. Ce n'est qu'à ce prix que vous reviendrez vers

Votre nièce,

Anne


Bacchus ! Portez ce pli à la Dame de Thauvenay, sur l'heure. Matheline ! Vous direz à Blanche que nous dînerons à midi. Demandez-lui, je vous prie, de donner à Son Altesse sa leçon de latin.
_________________
Blanche_anne
Dans sa chambrée tout récemment réintégrée, Blanche se préparait. Cette fois, le printemps était bien arrivé, et diffusait dans la petite pièce effluves agréables et chaleur substantielle.
Dieu qu’il était bon de se sentir revivre!

Cette nouvelle saison, pour la jeune novice, était comme un enchantement. Blanche s’émerveillait des matins ensoleillés où scintillaient les toits de la ville. Les oiseaux par milliers bruissaient dans les jardins. Les cloches de toutes les églises, de tous les lointains couvents, de tous les monastères reculés semblaient sonner les heures du bonheur. Les nuits embaumaient le lilas, sous un ciel étoilé.

Chaque journée apportait sa brassée de plaisirs, et la jeune fille n’était pas prête à renoncer à ce bonheur-là, si nouveau, si exaltant, si enivrant.

Sa main redressa machinalement l’une des tresses brunes qui encadraient son visage.
Allons, il fallait se hâter. Sa sœur n’allait point tarder à partir pour la mairie, et le petit Philippe-Lévan aurait alors besoin de toute son attention. Il n’était pas bon, pour fils de Prince, de traînasser avec valets et femmes de chambre trop longtemps. Aussi, il avait été convenu que Blanche s’occuperait du petit prince lorsque sa jumelle serait à ses occupations.

L’on frappa à la porte, et la jeune fille s’activa à attacher à son cou sa petite croix aristotélicienne avant que d’accueillir Matheline.


« J’avons un message pour vous, Damoiselle Blanche. C’est vot’ sœur Anne. Elle dit qui faut donner sa l’çon au ptiot prince. Sa l’çon de latin. »

Acquiescement, ponctué d’un simple « Bien ».
La jeune fille n’avait jamais été fort loquace, et ses années d’enfermement au couvent n’avaient rien arrangé.

« Elle dit aussi qui faut que j’servirons l’dîner à midi. »

Nouvel acquiescement, parfaitement silencieux, celui-ci.
Elle laissa Matheline arranger sa mise une dernière fois, et se dirigea en suivant vers les appartements du petit prince.

_________________
Terwagne_mericourt
Palais Sainct Pierre, Chambre des festivités :

Comme toujours depuis plusieurs semaines, c'était ici qu'on la voyait dans les moments où elle était le plus lasse, le plus dégoûtée de la politique et des coups-bas, de la méchanceté, de la vanité, des bruits de couloirs, des ragots,... Quand elle sentait qu'il s'en serait vraiment fallu de peu pour que comme jadis elle jette tout au feu et parte sans un bruit, dépenser son énergie dans des chants et spectacles en taverne inconnue plutôt que dans des bureaux de Conseils, dans des audiences à la Cour d'Appel, dans des politesses fades en taverne, dans des choses où elle ne se sentait absolument plus ni comprise, ni à sa place.

Ici, elle savait que - même si bien peu étaient ceux qui en avaient conscience - tout ce qu'elle faisait servait la joie et le bien-être des autres, leur permettait de s'évader quelque peu comme elle-même aurait voulu être capable de le faire.

A peine arrivée, elle se laissa choir dans le fauteuil qui lui était réservé, et relut les missives reçues l'avant-veille, celles auxquelles elle n'avait pas encore eu le temps de répondre.

La première était signée de la main de Raithuge, et son front se plissa tandis qu'elle soupirait. La prenait-il pour la dernière des idiotes? Comment pouvait-il mentir à ce point et s'imaginer qu'elle allait avaler ses couleuvres?

Dans un geste de colère, elle froissa le vélin et le lança à l'autre bout de la pièce.


Pas vis à vis de moi?
Vous vous isolez de beaucoup de choses?
Vous manquez de temps?

Etrange alors que l'on vous voit faire votre grand retour en politique, n'est-ce pas?!!!

Mais j'oubliais, il est vrai, le plus important : n'étant pour ma part plus active en politique, mon amitié ne vous servirait à rien!

Vous ne valez pas mieux que d'autres!
Pas mieux que tous ces hommes qui m'ont aimée et cajolée dans un but politique et rien d'autre!
Que ce soit pour servir leur parti ou pour tenter de me faire taire!

Et puis je n'en ai cure de vos "Sachez que vous resterez toujours dans mon coeur" !!!
Vous confondez coeur et intérêt!


Les mots sortaient de ses lèvres à défaut de sortir de sa plume, parce que cette lettre elle était bien décidée à ne pas y répondre. Il ne valait ps le prix d'un vélin! Pas le prix de trois gouttes d'encre non plus!

Tentant de se calmer, elle déplia la seconde missive, émanant de sa nièce Anne celle-ci...

La demoiselle acceptait sa démission, mais lui écrivait surtout des mots qui lui faisaient chaud au coeur.


Citation:
Ne regardez pas votre absence de ces derniers jours, mais bien les mois et les années pendant lesquels vous veillâtes sur moi, non par obligation mais par pure affection. De cela toujours je vous serai reconnaissante.


La demoiselle pouvait-elle s'imaginer qu'en ce moment plus qu'en aucun autre ils étaient ceux dont elle avait le plus besoin? Sans doute pas, non... Pas plus qu'elle ne pouvait se douter des pensées et souvenirs qui avaient surgi en elle en apprenant que le Baron était déjà reparti pour le couvent.

Ainsi, rien ne changeait... Anne resterait seule dans les faits, le seul changement étant sur un acte... Un papier...


Un acte... Un papier...
La vie n'est pas là!!!

Pas là, non !!!!


Nouvelle vague de colère, tournée non plus vers Raithuge, non pas vers Anne, mais bien vers d'autres.

Se levant, elle quitta la pièce pour aller chercher le calme en elle dans le tumulte d'une taverne, n'importe laquelle pourvu qu'il y fasse bruyant.

_________________
Milyena
Chez elle dans sa jolie maison à Vienne.

Assisse au coin du feu, allumé pour réchauffer ces soirées un peu fraîche, elle lisait et relisait le pli reçu quelques jours plus tôt.
Comment était-ce possible et pourquoi?
Elle aurait aimé lui avoir déjà répondu mais ne parvenait pas à s'y mettre.

Mily était perdue, un rien déstabilisée.
Elle pouvait comprendre sa soeur mais en même temps ne savait pas exactement, si même pas du tout, ce que Terry avait traversé ces dernières années.
Oui partir car trop difficile avec certains souvenirs, certaines déceptions, des rencontres que l'ont voudrait éviter.

Mily aurais voulu écrire à sa soeur bien avant de recevoir cette missive mais la sachant partie, elle attendait son retour pour lui annoncer de vive voix tous ses changements qui faisait doucement prendre une direction à sa vie.

Elle avait eu difficile à son arrivée à Vienne, difficile à rencontrer du monde, difficile à si plaire, à avoir même pensé à plusieurs reprise s'en aller et retourner sur Tulle où elle c'était fait des amis, où elle avait démarrer sa vie seule loin de tous.

Mais à chaque fois une petite voix lui disait de penser à Terry qui depuis des années l'attendait, attendait de vivre enfin l'une prêt de l'autre, à tel point que Terry lui avait fait le plus beau des cadeaux le jour elle lui avait offert la clef de sa maison.

Elle revoyait la scène comme ci c'était hier, elle se revoyaient toutes deux dans cette petite chambre de l'Auberge municipale.

Et maintenant elle recevait cette lettre.

Les larmes se mirent à couler le long de ces joues, mais elle ne pouvait aller contre le souhait de sa soeur et puis à présent, Mily c'était fait sa place ici à Vienne.

Elle aurait voulu enfin écrire sa réponse et la faire parvenir à Terry mais n'y parvenait pas.

_________________
Terwagne_mericourt
Briançon, auprès d'un arbre :

Ici...
Juste ici...
Pas ailleurs...

Lui...
Juste lui...
Pas un autre...


Ouvrant la main sur cet objet qui bien plus qu'un bijou de valeur était pour elle un symbole, elle sourit.


Un sourire...

Un sourire à la fois triste et heureux, à la fois léger et pourtant si lourd de sens. Un sourire qu'elle adressait au passé qui s'envolait, comme pour lui dire que désormais elle était en paix avec lui, mais qu'elle adressait aussi au présent pour le remercier d'être tel qu'il était, et surtout au futur pour lui dire qu'elle ne le craignait plus depuis que... depuis cette nuit.


Un symbole...

Ce genre de symbole qu'étaient à ses yeux des objets pour le moins étranges bien souvent. Ce genre d'objets surprenants qu'on pouvait trouver dans la doublure de sa cape, ces petits cailloux qu'elle avait choisis avec soin et ramassés lors de jours importants à ses yeux. Un caillou, c'est une pierre aurait-elle dit à quiconque aurait voulu comprendre, et la première pierre de ce que l'on voudrait construire avec un autre, ou même seul, il ne faut pas la choisir au hasard. La première pierre de chaque fortification de son existence, elle voulait s'en souvenir. Dans cette cache il y avait le caillou de sa rencontre avec Zeltraveller, le caillou du soir où il lui avait passé un anneau de paille autour du doigt en attendant de pouvoir y glisser officiellement celui de métal, le caillou du soir où Hugo lui avait déclaré son amour, le caillou ramassé en arrivant en Lyonnais-Dauphiné, et bien d'autres encore.


Un autre caillou...

Le dernier qu'elle avait ramassé, il ne se trouvait pas là. Enfin, elle n'en avait pas pris qu'un, ce soir-là, devant la porte de l'Auberge de l'Impossible. Elle en avait choisis deux : un pour Lui et un pour elle-même, car sur ces pierres ils bâtiraient quelque chose, ensemble, elle en était certaine. Et si celui-là n'avait pas rejoint les autres, c'est parce qu'il marquait non pas leur rencontre, qui datait de quelques temps déjà, non pas l'aveu de leurs sentiments, mais bien l'envie de vivre qu'elle avait retrouvée grâce à lui, en se sentant comprise et vue telle qu'elle était, sans fards ni faux semblants, sans honte de ses peurs et de ses pleurs. Exactement comme le jour où était tombée sur son visage inondé de larmes la feuille du grand chêne de Sancerre.


La feuille...

Cette feuille, elle se trouvait dans une toute petite boîte qui jamais ne la quittait. Elle l'y avait placée le jour où l'arbre contre lequel elle avait trouvé appui après la mort de Zeltraveller avait accompagné ses larmes à elle du lâcher d'une unique feuille. Une feuille qui était venue essuyer l'une de ses joues, comme pour lui procurer une caresse réconfortante que sa nature d'arbre ne lui permettait pas de lui donner d'une autre façon. Cette feuille depuis ce jour-là était restée seule dans son écrin, comme le plus précieux des trésors, mais ne l'était plus à présent. Elle avait pour lui tenir compagnie le dernier caillou ramassé.


L'objet dans sa main...

Cet objet-ci, par contre, avait une réelle valeur marchande, puisqu'il s'agissait bel et bien d'un bijou : un pendentif accroché à un ruban de soie rouge. Un pendentif qui était posé sur la peau de sa gorge la veille encore, la preuve matérielle d'une demande en mariage faite en Berry, mais qui bien plus que cela était le lien qui la rattachait à ce passé qu'elle pleurait si souvent.


"Ce bijou a orné le cou de chacune des femmes ayant permis à la lignée des Cornedrue de continuer à exister... Ma grand-mère l'a porté, ensuite ma mère, et aujourd'hui vous".

C'était lui semblait-il avec ces mots qu'Hugo lui avait noué contre la peau ce soir-là, après l'avoir enlevée en riant pour la mener sur un des rochers dont regorgeait la forêt de Sancerre. Depuis lors, malgré son départ, malgré la rupture, malgré la douleur indicible qu'elle sentait couler en ses veines à chaque fois qu'elle y posait les yeux, elle n'avait jamais eu le courage de l'enlever.

Il était pour elle comme une preuve qu'il avait du l'aimer réellement, qu'elle n'avait pas juste rêvé tout cela, qu'il avait eu l'intention de faire un jour d'elle une femme, même si...


Une femme...

Aujourd'hui, elle en était une! Et cet éclat neuf dans la couleur de ses yeux, cette courbe plus légère dans la forme de son sourire, cette grâce nouvelle dont son pas était imprégné, n'étaient que les témoins visibles qui font toute la différence entre un bourgeon de fleur et une fleur éclose.


Eclore...

C'était exactement cela qu'il avait opéré comme transformation sur elle, en elle, avec une douceur et une passion que même dans ses rêves les plus fous et les plus inavouables elle n'avait pas réussi à effleurer. Sa réalité à lui dépassait ses fictions à elle, c'était ce qu'elle se disait à chacune des missives qu'il lui écrivait, à chacun des gestes qu'il lui adressait, à chacun des regards dont il la couvrait, à chacun des mots qu'il glissait à son oreille depuis des jours et des jours.


Lui...
Juste lui...
Pas un autre...


Non, cela n'aurait pas pu être un autre que lui! Aucun autre n'aurait pu lui donner l'envie, la force, le courage, de murmurer les mots qu'elle avait murmurés la nuit dernière, en lui posant les mains sur l'attache du bijou familial des Cornedrue! C'était à lui qu'elle avait demandé de la "libérer".


Liberté...

C'est en toute liberté qu'elle voulait l'aimer, en toute liberté qu'elle voulait se donner, en toute liberté qu'elle voulait désormais exister.


Ses yeux se portèrent à nouveau vers le bijou qu'elle tenait en main et qui désormais revenait à l'aînée des deux seules descendantes encore en vie de la famille Cornedrue : sa nièce Anne. Surtout qu'à présent elle était mariée...

Une ombre rapide passa sur son visage à la pensée que souleva en elle l'évocation du mot mariage. Mais ce n'était qu'un petit nuage dans l'aube d'un jour nouveau.

Elle referma les doigts, adressa un clin d'oeil qui avait quelque chose d'enfantin à l'arbre qui avait été le témoin de sa libération quelques heures plus tôt, et reprit la route de l'auberge où elle logeait. Il lui fallait écrire à sa nièce et joindre le bijou au pli.

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Terwagne_mericourt
Emportée par "Le tourbillon de la vie" (merci M'dame), la Dame de Thauvenay en avait oublié la lettre à Anne.

Ce n'est que le lendemain matin qu'elle s'en souvint, au moment où elle sentit en elle le besoin urgent de prendre la route pour le Berry, juste un aller-retour, juste le temps d'effacer dans la pierre quelque chose qu'elle regrettait d'avoir abimé, souillé, usé, délavé.

Un mot, juste un mot, sur le mur de son domaine de Thauvenay, qui n'aurait jamais du y naître, pas plus là que sur ses lèvres avant... avant Lui!

Le Berry... Tourner la page, pour de bon, pour de vrai, pour toujours, jusqu'à jamais.

Quittant la douceur des draps, elle se leva sans se vêtir, profitant de la caresse de l'air et du jour, mais surtout de la vie, sur sa peau. Ouvrir les rideaux, regarder si la journée serait belle? Pas besoin, non! Elle savait que de toute façon le monde ne pouvait qu'être beau puisqu'il le portait, puisqu'il la portait, puisqu'il les avait réunis par delà bien des choses et des êtres.

Ce matin-là, pas de hâte à cacher cette balafre sur son ventre, celle faite par Jackfarell jadis, pas besoin non plus de la regarder en se disant qu'elle la haïssait, elle ne détestait plus rien de ce qui la faisait puisqu'Il l'aimait. Libre, elle se sentait libre, vivante, belle.

Dans sa nudité la plus pure, elle se dirigea vers le meuble qui lui servait de bureau, y prit de quoi écrire, mais aussi et surtout le bijou des Cornedrue. Pas de brûlure sur le bout de ses doigts, pas de froid lui poignant le coeur et le corps, rien... La paix! La paix qu'elle avait trouvée en eux, la paix qu'il lui avait donnée.

Les mots coulèrent sur le vélin, libres comme elle.


Citation:
Ma très chère nièce,

Ne cherchez pas de grogne par rapport au Duché, ni de tristesse ou d'envie de fuir dans mes mots aujourd'hui, il n'y en aura pas. Et oui, je vous connais presqu'aussi bien que vous ne me connaissez.

Non, aujourd'hui je vous écris non pas de politicienne à politicienne, non pas de tante à nièce, mais bien de femme à femme.

A cette femme que le mariage a fait de vous, je voudrais m'excuser de ne pas avoir été de meilleure compagnie le jour de sa noce, mais également et surtout de ne pas avoir matérialisé par un quelconque présent mes voeux de bonheur. Je n'ai jamais été adepte des cadeaux achetés et donnés par convenance, vous le savez, et ai toujours préféré attendre de trouver l'objet qui symboliserait à mes yeux le sentiment que je voulais transmettre.

Cet objet, je l'avais sur moi ce jour-là, et j'avais cru, espéré, trouver la force de m'en séparer pour vous le remettre, vous à qui il revient de droit, et de sang, ce sang dont je sais qu'il est tellement important à vos yeux. Malheureusement, je n'en avais ce jour-là pas le courage.

Vous le trouverez joint à ce pli (je ne m'inquiète pas, le coursier qui vous remettra le tout a mon entière confiance), et je gage que vous saurez de quoi il s'agit sans avoir besoin de le voir, ce collier que votre parrain m'avait offert en préliminaire à une vie d'amour qui jamais ne verra le jour ni la nuit.

Ne grimacez pas, il n'y a ni tristesse ni rancune en moi à l'heure où je vous le remet. Juste la paix avec le passé et l'envie de futur vierge de toute ombre.

Soyez heureuse, Anne.
Soyez heureuse.

Votre Tante Terwagne.


Quelques minutes plus tard, elle quittait la pièce, vêtue tout de même, et se mettait en quête de Nicolas.
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Anne_blanche
Un jour encore, aussi calme que le précédent, rythmé par les mêmes obligations, par les mêmes plaisirs. L'angoisse n'avait plus de place dans la vie d'Anne.
Au contact de sa sœur, elle mettait les bouchées doubles pour rattraper le temps d'enfance perdu. C'était étrange, cette sensation permanente d'être à la fois une fillette de cinq ans que l'on n'a pas encore envoyée seule loin de sa famille et une jeune épousée jetée dans le monde des adultes depuis bien des années. Anne vivait doublement. Blanche la secondait dans cette tâche. Il y avait un gouffre de plus de huit années à franchir, sans se lâcher la main.
Sans doute l'absence de l'époux rendait-elle la chose plus aisée. Le frère tourier, lors de la visite qu'Anne venait de lui faire, avant de se rendre à la Mairie, avait laissé entendre que la guérison du baron d'Aupic serait longue et difficile. Plus âgée - ou moins naïve - Anne aurait peut-être perçu là une façon gentille de dire avec ménagements qu'on pouvait s'attendre au pire. Elle n'avait compris que le verbe. La guérison serait lente et difficile, mais elle "serait". HdB guérirait.

L'absence se teintait d'une certaine mélancolie, de celle qu'on éprouve quand, au lendemain d'un jour parfait, il faut réintégrer le quotidien. Ce n'était que douce tristesse passagère du matin, au réveil dans un lit vide, vite chassée par la certitude d'autres jours parfaits à venir.

Elle venait de rentrer à l'hôtel pour le déjeuner, déjà souriante à l'idée de le partager avec Blanche et Philippe-Levan. Que serait-ce, aujourd'hui ? La porée de fin d'hiver, probablement. On était à l'époque de la soudure, toujours un peu difficile. Non qu'on manquât du nécessaire, à l'hôtel de Culan, mais l'ordinaire, en avril, n'est varié nulle part.

Le garçonnet qui s'introduisit dans la grand-salle avait dû échapper à la vigilance de Bacchus, à moins que le brave homme, le connaissant, ne l'ai laissé passer sans faire mine de l'avoir vu, juste pour lui faire plaisir. Il leva sur Anne des yeux immenses, avec un sourire à la fois timide et frondeur.


Bonjour, Maître Nicolas ! Quel bon vent vous amène ?

"Bon", rien n'était moins certain, le jeune Nicolas Caillou se trouvant être le coursier favori de Tante Terwagne. Mais il entrait dans la bonne humeur d'Anne une part de volontarisme qui la poussait à tout accepter comme cadeau du Très-haut.


Citation:
Ma très chère nièce,

Ne cherchez pas de grogne par rapport au Duché, ni de tristesse ou d'envie de fuir dans mes mots aujourd'hui, il n'y en aura pas. Et oui, je vous connais presqu'aussi bien que vous ne me connaissez.


Le sourire d'Anne s'accentua. Le ton gentiment moqueur de sa tante lui plaisait bien.
Cela changeait, dans les lignes suivantes. Cela devenait même terriblement sérieux. Anne laissa retomber ses mains tenant le parchemin, les yeux posés sur Nicolas Caillou. Elle ne le voyait pas vraiment. Elle pensait au bijou de son arrière-grand-père, le marchand Robert Cornedrue. Sa seconde épouse, la grand-mère de Hugo, l'avait porté. Puis la mère de Hugo, celle que les Lucioles avaient assassinée près de Loches. Comment s'appelait-elle, déjà ? Bienvenue... Non, Désirée... Oui, voilà : Désirée Poudevigne, épouse d'Aureolus Cornedrue. Anne ne savait comment le bijou avait atterri entre les mains de Hugo, après le massacre. Jamais elle n'avait osé le demander. Elle l'avait toujours vu au cou de Tante Terwagne. Tante Terwagne, qui ne serait jamais sa tante.

Elle tendit la main pour recevoir le coffret tendu par Nicolas Caillou, mais ne l'ouvrit pas. Oui, Tante Terwagne avait raison : Anne attachait au sang une importance certaine. Oui, en tant qu'aînée de la dernière génération Cornedrue, le bijou lui revenait, puisque selon toute probabilité Oncle Hugo n'aurait jamais de descendance légitime. Non, elle ne grimaçait pas.
C'était fini.
Tante Terwagne ne serait jamais sa tante, et l'acceptait.

Citation:

Ma tante,

Je reçois votre présent avec toute la révérence dont je suis capable. Il restera pour moi, à jamais, le symbole-même du respect.


La plume resta en suspens. Elle aurait voulu expliquer pourquoi ce mot lui était spontanément venu, dire son admiration à Terwagne. Tous les mots lui semblèrent trop faibles. Aucun ne convenait.

Elle signa simplement "Anne", remit le parchemin à Nicolas, en même temps qu'une pomme et une oublie piochées sur la table qu'une aide de Flamenque était en train de dresser, ajouta un écu pour faire bonne mesure, et se lança dans l'escalier de l'étage en appelant :


Blanche ! Blanche ! Venez çà, ma sœur ! J'ai quelque chose à vous montrer !

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Milyena
Voici quelques jours déjà que sa soeur lui avait écrit.
Quelques jours également que sa démission fut remise au conseil.
Quelques jours déjà que son champ était en vente.
Quelques jours qu'elle lui annonçait son départ de Vienne.

Au départ Mily fut sous le choc.
Quitter Vienne.
Alors qu'elle l'avait faite venir la retrouver.
Alors qu'elle venait d'acquérir sa maison.
Alors qu'elle venait de lui offrir sa maison.

Elle ne faisait plus que se croiser au réunion du comité.
Elle ne faisait plus que se croiser au conseil, mais cela était terminé maintenant.

Mily depuis ces jours était enfin moins triste et se sentait prête à répondre.
Elle reprit la lettre de Terry et la relu.


Citation:
Ma chère soeur,

Cela fait bien longtemps que je ne t'ai pas donné de nouvelles, et je tiens à m'en excuser.

Celle que je confie à cette missive ne te ferra sans doute pas sourire, et j'en suis désolée, mais je tenais à te l'annoncer moi-même avant que tu ne l'apprennes par d'autres voies.

Ma vie privée et les chagrins que j'ai connus ces derniers mois font que j'ai de plus en plus de mal à imaginer revenir passer mes journées à Vienne où mon coeur n'a que trop aimé et trop souffert.

C'est pour cette raison que j'ai décidé de vendre mon champs, mais pas encore ma maison, rassure-toi, et de proposer ma démission du Conseil municipal à Anne.

J'ai bien conscience de t'avoir poussée à venir t'y installer, et j'en suis remplie de remords puisque je n'ai pas été capable d'y rester auprès de toi, sache-le. Mais c'est plus fort que moi, je ne suis absolument pas prête à revenir y fréquenter les démons de mes blessures pour le moment.

Un jour peut-être...

Prends bien soin de toi, et n'hésite pas à m'écrire si tu as besoin de quoi que ce soit.

Je t'embrasse, ma douce.

Terry


Elle s'assit à son bureau et commença à rédiger sa lettre.

Citation:
Terry,
ma très chère soeur,

Tout d'abord accepte mes excuses pour n'avoir répondu plus tôt et je ne te mentirais pas, cela m'était trop pénible.

A présent, je m'en suis fait une raison, je sens que beaucoup de chose ne vont pas pour toi en ce moment, mais ne sachant quoi, je ne pourrais t'aider.
Alors entoure toi d'amis qui eux te connaisse en quelques sorte mieux que ce que je ne te connais.

Rassure toi également, je sais que tu reste dans le duché et te croiserais encore.
De plus à présent je connais beaucoup de monde ici et ai pas mal d'occupation.

Sois heureuse ma soeur tant aimée, prends soins de toi.
A bientôt je l'espère.
Mily


Il ne lui restait plus à présent qu'à faire parvenir sa lettre à sa soeur.
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Terwagne_mericourt
Briançon, non loin du Pic à Glace :

Le regard porté vers les cieux, la Tempête tentait vainement de calmer le "boucan d'enfer" qui régnait dans ce qui lui servait de tête, tout comme elle se débattait de ses mains contre les larmes qui continuaient à glisser le long de ses joues, regagnaient ensuite la pointe de son menton, avant de s'échouer sur les pointes de ses bottes.

Où était-il à l'heure actuelle? L'attendait-il chez elle, là où elle l'avait abandonné après lui avoir dit être incapable de mettre quelqu'un à la porte? Avait-il rejoint son chez lui? Etait-il parti se noyer dans le travail comme elle-même avait tenté de le faire après l'avoir quitté?

Ce n'était pas cela, le plus important...

Non, le plus important, ou en tous cas la question qu'elle se posait le plus, c'était "Que doit-il penser en ce moment?".

Pour sûr, il devait croire que ce dont elle lui en voulait c'était les mots qu'il avait utilisé pour parler d'une autre! Il devait penser qu'elle n'était victime que de jalousie. Il devait regretter d'avoir été sincère avec elle. Il devait se dire qu'à l'avenir plus jamais il ne serait aussi franc avec elle.

Et pourtant, il n'en était rien...

Non, au fond d'elle, elle savait très bien que ce n'était pas cette histoire de lettre qu'elle avait déchirée sans même la lire qui avait réveillé son côté "Tempête"! C'était cette expression horrible qu'il avait utilisée plus tard dans la conversation, et qui avait réveillé tant de choses et de questions en elle...

Partager une vie...

Cela ne voulait strictement rien dire! Comment une vie pourrait-elle être à deux personnes?

Et si jamais cela avait un sens, alors il y avait tant de questions sans réponse derrière... Qu'arrivait-il quand l'un des deux quittait cette vie? Emportait-il la moitié de la vie? Zeltraveller avait-il rejoint le Très-Haut avec la moitié de leur vie? Et lui, quel pourcentage de celle qu'il avait partagée avec une autre comptait-il récupérer? Lui proposait-il aujourd'hui de partager avec lui ce pourcentage?

Oui, elle s'était mise en colère en sentant ressurgir toutes ces interrogations tues depuis trop longtemps, en les entendant crier dans sa tête, souffler comme des vents d'hiver glacials. Et surtout, elle avait fuit... Elle l'avait fuit lui, ne voulant pas partager ses larmes, pas partager sa peur, pas partager sa douleur face à tous ces sentiments qu'elle aurait été bien incapable d'exprimer et que cette simple phrase venait de mettre en branle.

Le derrière sur le sol, les genoux repliés sous son menton, les yeux levés vers les cieux, ces cieux où Zeltraveller était sans doute en train de l'attendre pour recoller deux moitiés de vie, elle s'en voulait à présent...

Elle s'en voulait de ne pas être capable de retourner auprès de lui pour lui expliquer que non, elle ne lui en voulait pas de ce dont il lui avait fait l'aveu, qu'elle le remerciait même d'avoir confiance en elle au point d'être aussi franc.

Ses lèvres s'ouvrirent, et elle laissa le vent emporter des mots et des notes qu'elle aurait voulu être capable de lui dire en face.



Quand je m'enferme en moi (lien musical),
ne t'inquiète pas trop... (Traduction francophone)
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Terwagne_mericourt
Vienne, Demeure de la Dame de Thauvenay :

Les yeux posés sur la petite caisse contenant les quelques objets personnels qui lui avaient tenus compagnie dans son bureau de Bailli durant six mois, elle était là de corps mais pas d'esprit.

Non, son esprit lui empruntait déjà les chemins de la mélancolie qui sans doute grandiraient dans les jours à venir. Terminées les courses matinales jusque Pierre-Scize, envolées les heures passées le regard noyé dans les chiffres, achevées les réunions avec les autres conseillers, qui même si elles étaient houleuses et tendues les deux derniers mois n'en avaient pas moins été passionnantes et enrichissantes lors des mandats précédents.

De Pierre-Scize, ses pensées s'envolèrent vers un autre castel, celui de Bourges, où là aussi elle avait passé bien des mois comme conseillère ducale. Elle compta sur ses doigts, comme une enfant, machinalement, sans même en avoir conscience... Un mandat sans portefeuille, un de Commissaire aux mines, un comme Porte-Parole, deux autres aux mines... Cinq mandats ducaux, qui faisaient suite à trois mandats de Maire, et devançaient les presque quatre qu'elle venait de faire en Lyonnais-Dauphiné, le premier ayant débuté suite à la démission de celui qui se trouvait juste avant elle sur la liste de l'APD... Au total, cela faisait donc pratiquement vingt et un mois au service d'un Duché, mais surtout de ses habitants.

Et au milieu de tout cela, juste deux mois de repos, qui avaient été remplis en partie par le voyage qui l'avait menée ici. Deux mois durant lesquels, au coeur de son chagrin suite à l'abandon de Hugoruth, elle s'était souvent sentie inutile puisque n'aidant à rien, ne servant à rien ni personne.

Et maintenant? Qu'allait-elle faire? A quoi occuperait-elle ses journées? Combien de temps faudrait-il avant que de nouveau elle se sente inutile comme une feuille morte se balançant à la branche d'un arbre et ne servant qu'à faire un peu de bruit sous la caresse du vent?

Secouant la tête pour chasser plus loin ses interrogations et souvenirs, elle se leva et se dirigea vers la fenêtre, regardant la demeure de sa soeur qui était située juste en face. Les volets étaient clos, Milyena ne rentrerait pas de son voyage comme Marchant Ambulant pour le Duché avant plusieurs jours... Elle avait été déçue de l'apprendre en arrivant à Vienne, elle qui finalement s'était décidée à quitter Briançon pour la revoir, ainsi que Anne et Dedelagratte.

De fil en aiguille, ses pensées la menèrent vers cette soirée en taverne qu'elle avait passée l'avant-veille, celle où elle avait craint de voir entrer le Vicomte d'Ancelle, où elle avait retrouvé le plaisir de chanter et blaguer avec celui dont elle disait parfois qu'il était et resterait son plus fidèle ami en Lyonnais-Dauphiné, et surtout pu voir sa nièce.

Anne... Chère petite Anne... Sourire mêlé de tristesse et d'inquiétude apparaissant sur son visage.

Elle se souvenait bien de la première fois où cette dernière avait parlé de son projet d'épousailles avec le Baron d'Aupic, des tentatives de Walan pour la faire changer d'avis, et de son soutient à elle quand la demoiselle avait dit et répété que lorsqu'elle voyait à quoi menait l'amour elle préférait choisir la raison.

Oui, Terwagne l'avait encouragée à emprunter ce chemin qu'elle-même était incapable de suivre, lui souhaitant de ne jamais avoir à vivre l'attente brûlante, l'angoisse, la déception, le chagrin, l'amour non comblé par la présence de l'être aimé.

Mais les choses n'étaient désormais plus comme les deux femmes l'avaient prévu...

Anne aimait et espérait, attendait une sortie de retraite, se languissait presque déjà, Terwagne l'avait bien vu sur son visage quand elle en avait parlé, bien senti dans ses mots et le ton de sa voix. Et elle, elle n'avait rien osé dire, mais elle se souvenait des soirées passées avec feue Mentaig qui avait attendu en vain une guérison du Baron... Guérison qui n'était pas venue et ne viendrait sans doute jamais.

Comment dire à Anne qu'il ne servait à rien d'espérer? Elle ne s'en sentait pas le droit. Et puis peut-être qu'inconsciemment elle aussi espérait pour sa nièce un retour à la "vie" de celui qui avait fait d'elle sa vassale en Berry.

Outre cette inquiétude due au fait que la raison avait fait place à l'amour dans le coeur de Anne, la Dame de Thauvenay était surtout songeuse par rapport à l'état de santé de celle-ci.

Nausées, fatigue, petites tâches à peine visibles sur le visage, envies saugrenues comme celle à laquelle elle avait assisté l'autre soir, la regardant dévorer de façon hallucinante du saucisson tartiné de miel et décoré de fraises... Non, décidément, aucun doute n'était permis, Anne ne tarderait pas à être mère.

Instinctivement, sa main se porta à son ventre, tandis qu'elle soupirait contre elle-même. Heureuse, elle l'était bien entendu pour Anne, mais pourtant cette nouvelle la rendait triste comme la pierre... Elle lui rappelait plus que jamais qu'elle-même ne serait jamais mère, que les années passaient et qu'elle n'était même pas mariée.

Oui, cette petite fille qu'elle avait vue naître accomplirait le but "ultime" de chaque femme avant qu'elle-même... Non, pire! ... Alors qu'elle-même n'en avait pas été capable!

Une larme roula sur sa joue au moment où faisait son apparition le souvenir de la fiole d'adieu achetée à la Cour des Miracles la dernière fois qu'elle avait pensé à cela.

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Terwagne_mericourt
Vienne, au bord du Rhône :

Assise contre un arbre, le regard perdu dans les remous provoqués par quelque poisson plus vivant que certains conseillers ducaux, la Dame de Thauvenay cherchait ses mots.

Drôle d'idée de chercher des mots dans un fleuve, vous direz-vous, mais il y en a bien qui cherchent des poux dans les bilans financiers, et d'autres qui espèrent trouver des directives intelligentes chez des gens n'ayant aucune expérience de rien. Alors après tout, sa démarche à elle n'était finalement pas plus utopique que celle d'autre. Sauf que, elle, au bout d'un moment, se rendant compte que cela ne servait à rien, elle se leva au lieu de rester inactive à regarder, attendre, espérer, sans bouger. Elle se leva et décida d'aller de l'avant, pas de l'arrière.

Elle n'avait fait que quelques pas lorsqu'elle aperçut un animal qu'elle n'avait plus croisé depuis des lustres, et dont elle parlait quelques fois dans ses moments de détente en taverne à Briançon... Un castor!

Norf! Depuis le temps qu'elle disait qu'il faudrait enfin penser à faire quelque chose pour les protéger et les faire s'installer et rester dans les villes forestières! Ils pouvaient bien se moquer d'elle, mais voila, encore un qui avait quitté les forêts pour venir s'installer là où il y avait plus de mouvement... Faudrait pas s'étonner, après, quand il restait trois castors chauves à Embrun et cinq castors tondus à Briançon.

Abandonnant l'animal, se demandant si lui aussi il cherchait un parchemin argenté et quelque chose de sucré à y emballer, elle lui souhaita silencieusement bonne chance. Après tout, on trouvait des choses tellement étonnantes et qui tombaient à pic - comme par magie - en Lyonnais-Dauphiné depuis quelques temps, que pourquoi pas?

Quoi qu'il en soit, elle ce qu'elle cherchait en ce moment, c'était comment répondre à l'homme qui l'avait d'abord laissée sans voix deux jours plus tôt tant sa proposition l'avait surprise, avant de la faire prendre la mouche en pensant qu'il se moquait, pour finalement la faire sourire - rire ? - en croyant qu'il se prenait pour un bon samaritain se sentant obligé de la sauver avant qu'il ne soit trop tard.

Seulement, elle avait mal compris ce qu'il avait tenté de lui dire derrière cette demande pour le moins surprenante, elle s'en était rendue compte en voyant sa mine déconfite, en l'entendant dire ensuite qu'il aurait mieux fait de se taire, et plus encore en y réfléchissant à tête reposée le lendemain.

Ce qu'elle avait pris pour une taquinerie au départ, une proposition de l'épouser et de la faire mère par gentillesse et amitié en la voyant se lamenter sur les années qui passaient sans qu'elle n'aie accomplit le rôle premier de toute femme sur la terre, ce qui l'avait vexée en lui faisant répondre qu'elle n'avait pas besoin d'un Saint-Bernard, quand bien même il fut son ami... Cela c'était bel et bien terminé par un "Et si je vous aimais depuis longtemps en le cachant?".

Et si... ? Elle avait retourné dans sa tête toutes leurs rencontres passées durant la nuit qui avait suivi, depuis la toute première où il l'avait accueillie dans cette ville qu'elle ne connaissait pas jusqu'à celles où il avait chassé ses larmes suite à sa rupture avec Walan... A bien y réfléchir, si cela était le cas, elle ne lui avait en effet jamais donné l'occasion de s'en ouvrir à elle jusqu'à présent, passant son temps à lui parler des autres, de ceux qui l'avaient faite souffrir...

Oui, mais enfin! Tout de même!
L'épouser... Faire d'elle la mère de ses futurs enfants...

Il débarquait comme un chevalier qu'on avait longtemps confondu avec un confesseur et lui offrait sur un plateau d'argent tout ce qu'elle avait si souvent regretté de ne pas avoir réussi à faire avec ceux qui le lui avaient promis par le passé... Tout ce dont elle rêvait en secret... Et elle, elle ne savait que lui dire...

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Kernos
Le Songe de la Lune - Bien des jours auparavant, à Briançon

Kernos marchait dans une vallée de brume qui ne lui était pas inconnue. Voilà de ça plusieurs mois, il s'était déjà égaré dans ce décor figé et gris où même le temps paraissait suspendu dans cet épais brouillard où le ciel et la terre se confondaient. Des heures durant, il avança sans savoir où il se trouvait, naviguant dans cette nappe grisâtre, foulant ce sol aride et monotone de ses bottes.Comme lors de sa précédente visite, une ombre commença à se dessiner à travers la brume... lointaine, floue d'abord, puis se précisant, grandissant même, au fur et à mesure qu'il approchait. Le chêne! Majestueux, vigoureux et verdoyant, fendant le brouillard comme la proue d'un navire fend les flots, il se dressait face à lui, comme la toute première fois.

Kernos le rejoignit, admirant sa beauté, cette sensation de sagesse et de splendeur qui se dégageait de l'arbre avant de regarder autour de lui. Son regard se promena un instant, confirmant ce que son coeur lui soufflait déjà: oui, il s'agissait bien du même arbre, il reconnut le lit de verdure, tranchant avec le sol terne, poussiéreux et rocailleux de la plaine de brume qu'il venait de franchir. Non loin de ses racines, il aperçut les trois arbustes qui avaient poussé là, l'autre fois, les deux premiers, jeunes et verdoyants aux branches entremêlées, et le dernier, desséché, rabougri, qui avait cessé de croître et de grandir à peine sorti de la terre nourricière.


Lentement, il s'approcha du tronc du grand chêne, comme il l'avait fait la première fois, où Kernos avait rencontré tour à tour un lion blanc, puis un dauphin, qui lui avaient confié une épée, sous le regard d'un chevalier, mais cette fois... Il n'alla pas s'assoir contre lui. Au lieu de ça, il s'agenouilla et commença à inspecter son écorce de ses mains, à la recherche de l'entaille qu'il avait laissé lorsque, plein de rage et de douleur, il avait frappé de son épée le tronc du chêne.Pendant ce qui lui sembla des heures, il tâtonna, inspecta chaque pouce d'écorce de ses yeux et de ses doigts à la recherche de cette fente béante qu'il avait faite et dont le sang -oui du sang, pas de la sève- s'était mis à couler abondamment. Kernos était sur le point d'abandonner, quand il remarqua une ligne verticale sur l'écorce, plus claire que le reste du tronc. Ses doigts la suivirent, elle était lice, encore jeune mais déjà solide,à l'endroit même où l'épée avait entaillé le bois.

Le vent se leva soudain, agitant les branches du chêne qui se mirent à chanter sous sa tendre caresse. Kernos se dressa alors, regardant tout autour de lui, était-ce le lion d'argent qui revenait à sa rencontre? Il inspecta le brouillard alentours, essayant de repérer la silhouette de l'animal majestueux qui était venu à lui la première fois... mais il ne distingua aucune ombre dans le rideau de brume, au contraire, celui-ci s'écarta doucement, révélant peu à peu à sa vue un jardin paisible où les fleurs et les arbres fruitiers poussaient en abondance. Poussé par la curiosité, il se dirigea vers le jardin, évoluant à travers les parterres d'iris, de roses aux milles couleurs, de bleuets et d'un grand nombre d'autres variétés, dont l'une qui lui était inconnue mais dont le parfum poivré le surpris et l'enchanta. Non loin, Kernos remarqua une rivière courant à travers le verger, baignant la terre de son eau vive et pure, éclaboussant l'herbe grasse et les pieds des arbustes.

Il était affamé, assoiffé, c'est donc avec empressement qu'il commença à croquer dans la chaire tendre et juteuse de ces fruits, avant de s'agenouiller pour étancher sa soif à même le courant. Jamais eau ne lui avait parut aussi fraîche, aussi douce, il sentait la vie se répandre en lui, et battre à travers tout son corps. Les fruits l'avaient nourris au-delà de toute espérance, lui prodiguant chaleur et force. Jamais il ne s'était senti aussi en paix, aussi entier, aussi vivant tout simplement. Le sire de Glandage avait envie de rire, de chanter au monde son bien être, de se baigner dans cette source de vie et de se rouler dans cette herbe douce et fraîche. Ses yeux se levèrent et pour la première fois depuis son arrivée, les brumes se dissipèrent pour laisser place à un ciel constellé d'une infinité de diamants étincelants, reposant sur le voile bleuté et profond de la nuit. C'est alors qu'il la vit, immense, magnifique, éclatante, emplissant les cieux de sa seule présence et de sa clarté douce et chaleureuse: la Lune... Sa Lune.

Il ouvrit les yeux, la clarté du jour filtrait à travers les persiennes, baignant la chambre dans une douce pénombre. Kernos soupira et s'étira doucement dans les draps. Tout n'était que paix, chaleur, tendresse autour de lui. Il laissa sa tête retomber contre l'oreiller pour profiter encore un peu plus de cet état où le sommeil laisse peu à peu place à l'éveil.


Où l'on enferme les souvenirs pour laisser place au présent - Quelques jours avant, à Die

Un coffret de bois, tout ce qu'il y a de plus simple, mais aussi de plus beau quand l'artisan a choisi le bois avec soin, le travaillant avec amour pour en dégager toute la splendeur et la beauté, respectant sa nature et son âme profonde, pour en faire une pièce unique. Un petit coffret qu'il avait posé sur le bureau de sa chambre, ouvert et devant lequel il se tenait, songeur... nostalgique? Pas vraiment, disons plutôt respectueux, comme lorsqu'on s'apprête à mettre en terre un être cher, un être que vous avez chéri, aimé et auquel il est temps de faire ses adieux.

Finalement, sa main se leva, légèrement alourdie par le poids du collier et de la médaille qu'elle soutenait. Son regard s'égara un instant sur la gravure, avant qu'il ne dépose en douceur et avec révérence le bijou au fond du coffret. Puis, il s'intéressa au second objet qu'il avait déposé sur le plateau, le prenant entre ses doigts pour le porter à ses yeux... Un passé que l'on enterre, un deuil à terminer... Le bijou alla rejoindre l'autre dans le coffret de bois qu'il ferma aussitôt après, tournant la petite clé d'acier dans le verrou pour en sceller le contenu. Un long soupire s'échappa alors de ses lèvres... C'était fait. Il joua un instant avec la clé entre ses doigts, avant de la ranger dans l'un des tiroirs de son bureau et de se lever, prenant le coffret sous le bras, pour quitter la pièce.

Dans la cour de la demeure des Rouvray, un chevaucheur portant la livrée du chêne d'argent attendait son maître, installé sur sa monture. Kernos s'avança à sa rencontre et lui tendit le coffret.

Va porter cela à Glandage, afin qu'on le mette dans sûreté dans le Donjon. Prend bien garde à ne pas l'abimer lors du voyage, j'y tiens particulièrement.

L'homme hocha la tête et glissa la boîte dans ses fontes avant de donner du talon à son cheval. Kernos le regarda quitter la cour pour se rendre dans la rue, ses yeux posé sur le dos de l'homme jusqu'à ce qu'il disparaisse de sa vue... La chose était faite à présent.

Une commande bien particulière - Récemment, à Vienne

Au fond de son atelier, Maître Guillaume n'en revenait toujours pas... Un fou, cela ne pouvait être qu'un fou. Il avait pourtant l'habitude de l'excentricité, il l'a côtoyait depuis plusieurs décennies, c'était même chose commune dans son métier d'orfèvre-joaillier, il en avait vu passer des bourgeois et des nobliaux dans son atelier, commandant bagues, médaillons, broches, bracelets, fourchettes et tant d'autres choses mais là... Cela dépassait le cadre du goût de la novellité et de l'originalité! Sertir un caillou, même pas une pierre précieuse ou une pierre fine, mais un caillou tout ce qui y a de plus simple et de plus commun, et encore, s'il n'y avait que ça, interdiction lui fut faite, malgré ses conseils, de le tailler... de "l'abimer" il lui avait dit, il voulait conserver la pierre "pure", brut. La Maître l'avait regardé d'un air étrange, mais l'homme semblait sûr de lui, ferme, sans aucune trace d'égarement qui aurait pu traduire la folie.

Et puis il avait été question de la monture, le client voulait un anneau d'argent, rien de bien extraordinaire jusque là, mais quand le Maître avait voulu lui proposer des ciselures richement ornées afin de contraster avec la simplicité de la pierre, l'homme avait secoué la tête en signe de refus. Maître Guillaume en était resté abasourdi un moment, il ne voulait pas de fioritures inutiles et de décor compliqué, mais quelque chose de simple, de beau. L'artisan lui avait alors demandé pourquoi il venait voir le meilleur orfèvre et joailler de Vienne pour un bijou aussi banal, l'homme avait sourit avec une assurance désarmante avant de lui répondre "
parce que vous êtes le meilleur justement". Puis, il avait déposé une bourse bien garnie en écus devant l'artisan en lui disant que le prix serait le sien. Après tout... pourquoi pas? Avait conclu le Maître avant de toper dans la main du client pour signifier son accord pour la commande.

Quelques jours étaient passés, le travail était enfin terminé et le Maître Guillaume observait son ouvrage à la fois avec fierté, car il avait exécuté son oeuvre avec soin et passion, et curiosité. Quelques coups frappés à la porte de son atelier le tirèrent de sa contemplation, son commis venait lui annoncer que son client était en boutique pour récupérer sa commande. L'artisan se leva, rangea l'anneau dans un écrin et se rendit à la rencontre de l'homme vêtu de noir de la tête au col, sauf le grand chêne d'argent brodé qui ornait son pourpoint... Non, il ne paraissait nullement fou pourtant.

Kernos se tourna vers le vieil artisan en lui souriant, avant de récupérer l'écrin qu'il lui tendait. Le sire de Glandage l'ouvrit et son sourire s'élargit quand il posa les yeux sur l'anneau.

Parfait, Maître! Vous méritez bien votre titre de meilleur orfèvre de Vienne.

Le Rouvray sortit le bijou de son écrin et le passa à son doigt... l'anneau l'épousait parfaitement. Il le porta à sa vu pour l'admirer quelques instants avant de payer l'artisan et de quitter la boutique.
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Terwagne_mericourt
L'Adieu : (ceci est un lien musical)

Ici ou ailleurs, qu'importait, du moment que personne ne la trouve, que personne ne vienne la troubler, l'interrompre, l'empêcher d'aller jusqu'au bout des gestes qu'elle était bien décidée à faire.

Avec un petit sourire en coin à Nicolas, elle le remercia de s'être acquitté aussi rapidement des deux missions qu'elle lui avait confiées, à savoir livrer ses lettres de démission à "l'Alliance Pour le Dauphiné" et passer prendre chez elle le coffret en bois glissé sous le lit afin de lui ramener ici-même, au milieu de nulle part, là où l'on entendait que le chant des oiseaux, le murmure du vent dans les branches et le clapotis de l'eau.


File, maintenant, et ne dis à personne que tu sais où je me trouve.

Le gamin sembla vouloir ouvrir la bouche, mais se retint. Il savait fort bien, depuis le temps qu'il la connaissait, que dans les jours où ses sourires semblaient plus tristes que des larmes rien ne pouvait toucher la Dame de Thauvenay, rien d'autre que ce qui l'avait mise dans cet état. Il se contenta donc de lui faire un signe de la main et reprit la route.

Silence... Solitude... Les deux choses qu'elle recherchait le plus au monde certains jours, et pourtant les deux qu'elle craignait le plus.

La nuit ne tarderait pas à tomber, aussi lugubre et froide sans doute que la précédente, celle qui l'avait vue abandonner seul à son incompréhension, et d'une façon pour le moins brutale, celui avec qui elle passait une soirée remplie de complicité quelques instants plus tôt.

Pour sûr, il devait la détester à l'heure qu'il était, elle en était déjà bien consciente au moment de franchir la porte et de s'élancer vers la sortie de la ville. Elle le lui avait dit, d'ailleurs :


Déteste-moi demain, déteste moi ce soir même, déteste moi tout court au fond.
Mais là j'ai besoin de... J'ai besoin d'en finir une bonne fois pour toute!


En finir une bonne fois pour toute, oui! C'était pour cette raison précise qu'elle était partie... En finir avec cette torture qu'elle s'infligeait elle-même certains jours en lisant et relisant les lettres de Hugoruth Cornedrue, comme pour s'empêcher de l'oublier, persuadée que souffrir par lui c'était continuer à l'aimer, c'était garder entre lui et elle un lien que même la distance et l'abandon ne pourraient briser. Relire ses lettres pour alimenter sa propre douleur... Fallait-il être folle!

En finir aussi avec cette sensation affreuse qu'elle avait ensuite de se servir de la présence et de l'affection d'un autre pour l'oublier, en totale contradiction avec ce qu'elle avait fait quelques heures plus tôt. En finir pour cesser de se détester quand en sa présence à lui elle oubliait celui qui l'avait hantée toute la journée à travers des parchemins que le temps commençait à vieillir.

Elle ne parvenait absolument plus à se comprendre elle-même, si tant est qu'elle en aie réellement été capable un jour...

Elle se sentait honteuse d'oublier parfois, détestait quelqu'un que pourtant elle aimait plus que ce que ce simple verbe ne le dirait jamais, et ce pour l'unique raison qu'il était cause de son oubli, se détestait elle d'être partagée entre l'ivresse du présent et le poison du passé.

La nuit ne tarderait pas à tomber, et si elle voulait réussir à trouver suffisamment de brindilles et de branchages pour allumer un feu suffisant pour en finir, elle ferait bien de ne pas traîner.

Le feu... Ce feu qui avait emporté Zeltraveller, avec qui elle était en paix. Oui, avec lui elle était en paix, parce que son départ il ne l'avait pas décidé, il ne l'avait pas abandonnée... Et puis si aujourd'hui il n'était pas près d'elle, c'est parce qu'il ne le pouvait plus, et uniquement pour ça.

Hugo, lui, pouvait... Hugo, lui, était parti parce qu'elle n'avait pas été capable de continuer à se faire aimer... Hugo l'avait abandonnée par choix!

Le feu... Il n'y avait que le feu qui permettait de faire partir la douleur en fumée et cendres, pour retrouver enfin la paix!

L'urgence d'en finir une bonne fois pour toute la reprit, plus forte encore que la veille, et elle se mit en quête de ce qui lui serait nécessaire pour faire prendre la première flamme, celle qui ferait naître toutes les autres. Elle mit plus de temps qu'elle ne l'aurait cru, la tête lui tournant dangereusement à chaque fois qu'elle se penchait pour ramasser un lambeau d'arbre. Evidemment, puisqu'elle n'avait rien avalé depuis la veille, pas même une goutte d'eau. Tout ce qu'elle avait emporté en partant se trouvait dans sa besace et se résumait à une flûte, des vélins vierge, une plume et un encrier, sans oublier une bouteille de calva vide depuis plusieurs jours et qu'elle avait oublié de remplacer par une pleine.

Enfin les préparatifs prirent fin, et elle put s'assoir au milieu du cercle de brindilles et branchages qu'elle venait de mettre en place, son coffret en bois en mains. Il ne restait plus qu'à donner l'étincelle de départ, et c'est ce qu'elle fit sans tarder.

C'est joli le feu...

Elle regarda un instant les petites flammes grandir, peu à peu, l'entourer de leur danse enivrante, dans une chorégraphie où chaque demoiselle de rouge et de jaune vêtue semblait vouloir onduler plus que sa voisine, et puis enfin elle ouvrit sa boîte à poison, cette boîte qui contenait ce avec quoi elle se torturait elle-même sans relâche... Les lettres de Hugo.

Sans les relire cette fois, elle les lança une à une dans la danse macabre qui se déroulait devant ses yeux.

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