Arthurdayne
Leau qui sécoulait, sereine, dans le lit de lAllier, avait cela dapaisant quelle était comme un point tout à la fois changeant et fixe dans lunivers dArthur. Elle courait vers son objectif immuable, quelle soit battue par la pluie qui venait en grossir le flot, quelle soit réchauffée par les rayons dun soleil printanier, quelle soit ridée par les vents violents dune tempête. Un mouvement pérenne, qui ne connaissait pas le doute ni la crainte, malgré les obstacles et les déviations. Ainsi, chaque fois que son propre esprit dérivait, Arthur venait sinstaller au bord de la rivière, sadossait au tronc dun arbre, et se laissait bercer par le chant de leau.
Ce soir là, il avait grand besoin de se laisser envahir par la sérénité de la rivière. Cest ainsi quil arriva, alors que les premiers rayons de nuit commençaient à dessiner des reflets bleutés à la surface de leau, avec Mélancolie sous le bras. Mélancolie était une étrange liqueur dont il avait gardé quelques bouteilles. Mélange dalcools de gentiane, de châtaigne et de framboise, si ses souvenirs ne lui faisaient pas trop défaut. Baptisé ainsi par un chevalier de passage, aux cheveux flamboyants et aux yeux insondables, dans des temps si troubles que la simple évocation étreignait violemment le cur dArthur.
Il avait abandonné les quelques parchemins restés sans réponses, porteurs de calculs, projets, demandes, exigences parfois, sur le bois de son bureau. Passage rapide à la taverne municipale, déserte. Puis direction la rivière. Il se posa dans lherbe qui fraîchissait avec le soir, adossa sa vieille carcasse au tronc dun saule. Grimaça. Depuis le matin, chaque mouvement du haut du torse lui arrachait une grimace. Il avait préféré, durant le jour, ne pas y prêter trop attention, malgré les prémices de tremblements et les suées qui sétaient intensifiées au cours de laprès midi. Il avait préféré repousser lidée, se concentrer sur le travail quil avait à abattre. Mais il était beaucoup plus difficile dignorer ses blessures le soir venant. La main droite passa sous le tissu, au niveau de son col, et explora lépaule gauche. Soubresaut de douleur et crispation du visage quand les doigts effleurèrent la boursoufflure. Là où une griffe de loup avait profondément entaillé la chair, ce jour de fin dhiver, lorsquils avaient traqué un démon jusquau fin fond de son antre. Depuis quelques jours déjà, il craignait que la blessure ne cicatrise pas aussi bien quil lavait cru au début. Aucun doute nétait permis désormais. La blessure sétait infectée.
Et il était gagné par la fièvre. Débouchant la bouteille de liqueur, Arthur senvoya une bonne lampée de mélancolie qui lui réchauffa la gorge, puis remonta la manche de son bras gauche jusquà lépaule, dénudant la blessure. Il versa une rasade dalcool sur la blessure, serra la mâchoire. Il devrait se rendre au dispensaire, demain. Mais il nen avait pas vraiment envie. Pas besoin daller se confronter trop vite à la crainte qui le tenaillait depuis quelques jours. Une deuxième, puis une troisième gorgée vinrent échauffer non seulement sa gorge, mais aussi, peu à peu, le reste de son corps, pour lempêcher de penser trop avant. Cétait un vieux réflexe, au vrai, de noyer le corps pour endiguer lesprit. Vieux réflexe, mauvaise habitude. Mais seul remède, pour le moment. Tant de choses étaient advenues, revenues, ces derniers temps. Des changements avaient bourgeonné, fait éclater leurs feuilles, les avaient tendu vers le ciel, sans pouvoir néanmoins sextraire de terre, prisonniers des racines qui les ancraient si profondément dans le sol de ses souvenirs.
Arthur ne savait plus si cétait la quatrième, la cinquième ou la douzième gorgée quil laissait se déverser au fond de sa gorge, sabandonnant à la chaleur qui irradiait jusquau bout de ses doigts. Il ne savait pas vraiment si les sons qui se formaient, de plus en plus tangibles, comme des images aux formes et aux couleurs encore floues mais se précisant peu à peu, étaient du à lalcool ou à la fièvre. Sa main était, parfois, agitée de tremblements. Un frisson naissait parfois, au bas de son échine, et remontait jusquà sa nuque. Ses yeux revenaient, par instant, à un semblant de réalité, et il réalisait alors quil nétait pas à flot, que ce tangage quil ressentait nétait pas celui dune barque dans laquelle il se trouverait. Il était bien là, assis, dans lherbe, face à linexorable rivière. Il était là, mais ny était plus tout à fait.
Puis les sons qui effleuraient ses oreilles prirent une forme nouvelle. Un murmure. Un vent léger qui venait iriser la surface de leau, qui venait caresser la pointe des herbes. Et qui portait avec lui des mots. Des mots ? Peut-être bien, oui Des mots qui nen étaient pas vraiment. Ils navaient pas de sens, pas à ce degré de compréhension quavait atteint Arthur, tout du moins. Mais ils avaient une saveur. Un parfum. Ces mots avaient une empreinte, une manière de venir se mouvoir à son oreille quil aurait reconnu entre mille. Il aurait dû prendre peur, peut être. Craindre dêtre arrivé à ce point où, tout en haut dune falaise, on navait plus dautre choix que de reculer ou plonger dans la folie et se laisser emporter par elle. Il aurait dû reculer. Peut être. Mais il navait pas peur, non. La folie ? Il avait tant marché en équilibre au bord de son gouffre quil avait appris à la porter en lui comme une enfant dont on a la garde, même si on ne veut pas vraiment delle. La peur ? Il sen souvenait, oui, de cette sensation. Il lavait ressenti à de si nombreuses reprises. Et il ny avait pas si longtemps, dailleurs. Mais là où il se trouvait à présent, il avait la certitude confuse que la peur navait pas beaucoup de sens.
Parce que les mots soufflés à son oreille étaient apaisants. Pas les mots en eux même, non, il ny comprenait toujours pas grand-chose. Mais tout ce quils portaient de tendresse étrange, de bienveillance protectrice. Dans un soubresaut de conscience, cherchant à savoir qui se tenait à ses côtés, Arthur chercha, péniblement, à ouvrir une paupière. Mais la lumière ténue du soir qui filtra alors éloigna le bruissement de son oreille. Et leffort était trop dur. Il se laissa alors replonger, sabandonna au murmure. Le frémissement le berça encore, et encore. Alors, dune voix dont il nétait pas sûr quelle était bien la sienne, Arthur souffla un nom, un nom en forme de question, un nom dont la sonorité néchappa peut être pas à la prison de ses lèvres, dans cet autre monde, là bas, où il se trouvait sans tout à fait y être.
Apolonie ?
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"Je vivais à l'écart de la place publique
Serein, contemplatif, ténébreux, bucolique."
Ce soir là, il avait grand besoin de se laisser envahir par la sérénité de la rivière. Cest ainsi quil arriva, alors que les premiers rayons de nuit commençaient à dessiner des reflets bleutés à la surface de leau, avec Mélancolie sous le bras. Mélancolie était une étrange liqueur dont il avait gardé quelques bouteilles. Mélange dalcools de gentiane, de châtaigne et de framboise, si ses souvenirs ne lui faisaient pas trop défaut. Baptisé ainsi par un chevalier de passage, aux cheveux flamboyants et aux yeux insondables, dans des temps si troubles que la simple évocation étreignait violemment le cur dArthur.
Il avait abandonné les quelques parchemins restés sans réponses, porteurs de calculs, projets, demandes, exigences parfois, sur le bois de son bureau. Passage rapide à la taverne municipale, déserte. Puis direction la rivière. Il se posa dans lherbe qui fraîchissait avec le soir, adossa sa vieille carcasse au tronc dun saule. Grimaça. Depuis le matin, chaque mouvement du haut du torse lui arrachait une grimace. Il avait préféré, durant le jour, ne pas y prêter trop attention, malgré les prémices de tremblements et les suées qui sétaient intensifiées au cours de laprès midi. Il avait préféré repousser lidée, se concentrer sur le travail quil avait à abattre. Mais il était beaucoup plus difficile dignorer ses blessures le soir venant. La main droite passa sous le tissu, au niveau de son col, et explora lépaule gauche. Soubresaut de douleur et crispation du visage quand les doigts effleurèrent la boursoufflure. Là où une griffe de loup avait profondément entaillé la chair, ce jour de fin dhiver, lorsquils avaient traqué un démon jusquau fin fond de son antre. Depuis quelques jours déjà, il craignait que la blessure ne cicatrise pas aussi bien quil lavait cru au début. Aucun doute nétait permis désormais. La blessure sétait infectée.
Et il était gagné par la fièvre. Débouchant la bouteille de liqueur, Arthur senvoya une bonne lampée de mélancolie qui lui réchauffa la gorge, puis remonta la manche de son bras gauche jusquà lépaule, dénudant la blessure. Il versa une rasade dalcool sur la blessure, serra la mâchoire. Il devrait se rendre au dispensaire, demain. Mais il nen avait pas vraiment envie. Pas besoin daller se confronter trop vite à la crainte qui le tenaillait depuis quelques jours. Une deuxième, puis une troisième gorgée vinrent échauffer non seulement sa gorge, mais aussi, peu à peu, le reste de son corps, pour lempêcher de penser trop avant. Cétait un vieux réflexe, au vrai, de noyer le corps pour endiguer lesprit. Vieux réflexe, mauvaise habitude. Mais seul remède, pour le moment. Tant de choses étaient advenues, revenues, ces derniers temps. Des changements avaient bourgeonné, fait éclater leurs feuilles, les avaient tendu vers le ciel, sans pouvoir néanmoins sextraire de terre, prisonniers des racines qui les ancraient si profondément dans le sol de ses souvenirs.
Arthur ne savait plus si cétait la quatrième, la cinquième ou la douzième gorgée quil laissait se déverser au fond de sa gorge, sabandonnant à la chaleur qui irradiait jusquau bout de ses doigts. Il ne savait pas vraiment si les sons qui se formaient, de plus en plus tangibles, comme des images aux formes et aux couleurs encore floues mais se précisant peu à peu, étaient du à lalcool ou à la fièvre. Sa main était, parfois, agitée de tremblements. Un frisson naissait parfois, au bas de son échine, et remontait jusquà sa nuque. Ses yeux revenaient, par instant, à un semblant de réalité, et il réalisait alors quil nétait pas à flot, que ce tangage quil ressentait nétait pas celui dune barque dans laquelle il se trouverait. Il était bien là, assis, dans lherbe, face à linexorable rivière. Il était là, mais ny était plus tout à fait.
Puis les sons qui effleuraient ses oreilles prirent une forme nouvelle. Un murmure. Un vent léger qui venait iriser la surface de leau, qui venait caresser la pointe des herbes. Et qui portait avec lui des mots. Des mots ? Peut-être bien, oui Des mots qui nen étaient pas vraiment. Ils navaient pas de sens, pas à ce degré de compréhension quavait atteint Arthur, tout du moins. Mais ils avaient une saveur. Un parfum. Ces mots avaient une empreinte, une manière de venir se mouvoir à son oreille quil aurait reconnu entre mille. Il aurait dû prendre peur, peut être. Craindre dêtre arrivé à ce point où, tout en haut dune falaise, on navait plus dautre choix que de reculer ou plonger dans la folie et se laisser emporter par elle. Il aurait dû reculer. Peut être. Mais il navait pas peur, non. La folie ? Il avait tant marché en équilibre au bord de son gouffre quil avait appris à la porter en lui comme une enfant dont on a la garde, même si on ne veut pas vraiment delle. La peur ? Il sen souvenait, oui, de cette sensation. Il lavait ressenti à de si nombreuses reprises. Et il ny avait pas si longtemps, dailleurs. Mais là où il se trouvait à présent, il avait la certitude confuse que la peur navait pas beaucoup de sens.
Parce que les mots soufflés à son oreille étaient apaisants. Pas les mots en eux même, non, il ny comprenait toujours pas grand-chose. Mais tout ce quils portaient de tendresse étrange, de bienveillance protectrice. Dans un soubresaut de conscience, cherchant à savoir qui se tenait à ses côtés, Arthur chercha, péniblement, à ouvrir une paupière. Mais la lumière ténue du soir qui filtra alors éloigna le bruissement de son oreille. Et leffort était trop dur. Il se laissa alors replonger, sabandonna au murmure. Le frémissement le berça encore, et encore. Alors, dune voix dont il nétait pas sûr quelle était bien la sienne, Arthur souffla un nom, un nom en forme de question, un nom dont la sonorité néchappa peut être pas à la prison de ses lèvres, dans cet autre monde, là bas, où il se trouvait sans tout à fait y être.
Apolonie ?
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"Je vivais à l'écart de la place publique
Serein, contemplatif, ténébreux, bucolique."