Constantcorteis
Constant avait laissé un petit moment de silence. Il en était arrivé au point central de son propos, et tenait à ne pas trop en précipiter l'énoncé.
Alors, je pense que nous en sommes arrivés au point le plus important.
Jusqu'à présent, les choses se sont déroulées ainsi. J'ai posé ma thèse, et j'ai tâché de dégager quelques éléments de preuve, lesquels, pour sommaires qu'ils puissent être, ne manquent toutefois pas d'étayer suffisamment mon propos. Mon idée générale était que la tolérance n'était pas acceptable, premièrement car il s'agit d'un refus de venir en aide à la personne qui se fourvoie dans l'hérésie, secondement car il s'agit d'entériner passivement la mise en danger de l'intégralité du monde.
Tout ceci est fort simple, et, au fond, il est possible de le dégager au terme d'un exégèse simpliste. Mais venons-en à présent au point qui me semble être le plus épineux.
J'ai posé le problème de la tolérance à travers la question suivante : peut-on tolérer l'hérésie ? D'un certain côté, la réponse que j'ai apporté est pleine et définitive.
Pourtant, je gagerais volontiers que, en l'état actuel des choses, personne n'est vraiment convaincu par mon exposé. Cette réponse, aussi argumentée qu'elle puisse être, semble irrémédiablement manquer son objet. N'est-ce pas le cas ? Je crains, hélas, que, d'un point de vue pratique, s'en tenir là serait un désastre absolu. Nous sommes ici situés au point où se jouent beaucoup d'échecs, beaucoup d'erreurs et beaucoup d'incapacités à proposer une réponse adéquate à l'hérésie.
Pour le dire simplement : le fait d'avoir répondu à une question n'implique pas que l'on ait résolu le problème. Encore faudrait-il pour cela que la question soit bien posée !
Aussi, je considère pour le moment n'avoir absolument pas effleuré la résolution du problème en tant que tel, mais ne m'être occupé de la dissolution de toute expression qui se ferait de lui autour de la notion de tolérance. C'est pour s'en être tenus là que de nombreux théoriciens se sont condamnés eux-mêmes à la stérilité. Prouver que la notion de tolérance est absurde est chose aisée, mais de ce qu'on a mystifié la question ne suit en aucun cas que l'on ait abordé le problème dont on a par erreur accepté tacitement d'en faire l'expression.
Revenons donc à la question initiale, qui était, je vous le rappelle : " que dois-je faire face à l'hérésie ?" De cette question simple, nous étions discrètement passés à l'interrogation absconse et trompeuse suivante : "Puis-je tolérer l'hérésie ?". Comment si l'on pouvait ériger en maxime ce qui, par définition, est une exception ! J'aurais pu m'en tenir là, au fond, et ne même pas aborder un mot de l'aristotélisme. La tolérance est un écart, telle est sa caractérisation substantielle. En faire un principe revient précisément à substituer l'accident à l'essence. Il faudrait être dégénéré, et revendiquer l'existence d'un monde de chaos où nul ordre ne se fasse sentir ! Bref, évacuons définitivement cette vilaine idée.
Le problème qui subsiste, qui est probablement le vôtre en certains cas, celui de tout aristotélicien convaincu vis-à-vis de l'hérésie, est celui des modalités de l'intolérance. La question n'est pas : "dois-je tolérer ?" ; mais : "qu'est-il juste que je fasse, moi qui ne tolère pas ?".
Reconnaissons qu'ici le mystère demeure compact ! De ce que j'ai dit précédemment concernant le fait que l'on ne doive pas tolérer, personne ne tirera la moindre indication pratique, la moindre certitude, la moindre lumière pour guider son action. C'est donc là qu'il faut oser se saisir du problème.
L'une des erreurs classiques que l'on commet est de confondre l'intolérance avec la violence. Je suis persuadé que, de par le fait que j'aie tout à l'heure eut l'occasion de prôner l'intolérance, de nombreux auditeurs auront eu l'image fugace de moi comme étant un être sanguinaire et implacable appelant au bûcher à la moindre contradiction.
Tout ceci est parfaitement puéril, et proprement désastreux pour ce qui est du débat qui nous occupe. Je n'ai, me semble-t-il, jamais toléré l'hérésie. Mais je n'ai jamais mis à mort qui que ce soit ! Et croyez-moi, je gage bien persister ainsi.
L'intolérance implique que l'on propose une réponse à l'hérésie, d'où peut on tirer, au nom de quel amalgame sordide peut-on inférer que cette réponse doive nécessairement être violente ?
Une petite pause, juste quelques secondes, le temps pour Constant de s'éclaircir un peu la gorge et d'ôter de son il gauche une poussière gênante.
Prenons un paradigme, nous y verrons plus clair.
Alors, évidemment, comme tout paradigme, il ne s'agit pas de le pousser au bout, d'immenses absurdités en jailliraient inévitablement. Il est cependant hautement révélateur pour le point qui nous intéresse.
Parlons de médecine.
Que penserait-on d'un médecin qui amputerait un bras pour une petite coupure au doigt ? Nous dirions qu'il est fou ! Le remède serait terriblement pire que le mal.
A l'inverse, que dirait-on d'un médecin qui se dérobe à prendre la décision qui s'impose face à un membre gangréné ? Qui conseillerait de soigner l'infection par un peu de repos et une barrique d'eau froide. Nous dirions qu'il est incompétent. Ici le remède n'est pas un mal, mais le mal lui-même est laissé à sa fureur galopante.
Le bon médecin est celui qui prend la juste décision. Cela implique deux qualités fondamentales. Tout d'abord, savoir poser le diagnostic, reconnaître la gravité du mal. Ensuite, savoir y opposer un traitement adéquat.
Il en va totalement de même pour ce qui concerne l'Église.
J'entends déjà certaines protestations, issues de gens peu enclins à entériner l'assimilation de leur croyance à une gangrène. Je vous renvois donc aux précautions que j'ai prises en introduisant le paradigme dont je viens de faire usage.
Mais, du coup, combien de niveaux de réponse avons-nous ? Entre l'eau froide et l'amputation, le médecin dispose d'une gamme de traitements différents, qu'en est-il pour nous ?
Je vais essayer de vous en distinguer quatre, que je vous exposerai en commençant par le plus mauvais, pou finir avec celui qui me semble être le meilleur.
Alors, qu'entends-je par pire et meilleur ?
Il ne s'agit pas de dire que l'un serait intrinsèquement plus approprié que l'autre. Nous l'avons vu, de ce côté, tout dépend du contexte.
Ce que je veux dire s'articule autour de deux points. Premièrement, le remède qui intervient le plus tôt est toujours préférable, le meilleur sera donc celui qui prendra l'hérésie au berceau. Secondement, ce qui différencie ces niveaux de réponse est qu'ils sont plus ou moins mauvais en eux-même, à la manière d'une amputation, qui, même si elle peut sauver des vies, reste au fond une catastrophe pour l'organisme.
La pire de toutes les réponses, c'est la violence d'Église. La croisade, les Saintes Armées. Ici, c'est par l'exercice du mal, mais d'un mal nécessaire, que l'Église fait porter sa réponse.
Elle est la pire des réponses car elle entérine la gravité d'une situation. Rappelez-vous donc, il y a quelque temps, de cette secte obscure et effrayante que l'on appelait In Tenebris. Ils avaient attaqué des cathédrales, pillé des villes, je crois, et enlevé le cardinal camerlingue Lorgol, avant de lui mutiler le visage.
Face à cela, l'Église ne peut pas se permettre de ne pas réagir. Elle ne peut pas se permettre non plus de faire porter sa réponse par la parole. Cet amour qui est le sens de la vie selon les textes eux-même souffre de la réponse qui est faite, il souffre de voir l'Église se battre et sombrer dans la violence. Il souffre, oui, à la manière de celui qui a mal lorsqu'on cautérise sa plaie.
Celle qui vient juste après est la justice d'Église. Ici encore, on peut déceler une forme de violence, dans la mesure où il y a contrainte. Mais la violence, en ce cas, est rationalisée. Elle est incomparablement plus noble. Mais en tant que telle, elle ne s'applique déjà plus aux plus graves hérésies. Ce n'est plus la mort qui est le terme, car l'Église abhorre le sang, mais la mise à l'écart. L'hérétique reste en vie, et donc intégré à la communauté humaine, mais il y reste comme une branche morte qui pendrait au bas d'un arbre.
Plus loin encore, nous trouvons la parole. Mais encore faut-il qu'il veuille bien écouter cependant. Quelle meilleure réponse a-t-on à proposer à un hérétique que notre voix pour le convaincre qu'il se trompe ?
J'en trouve une personnellement. Et c'est la dernière des quatre modalités de réponse que je distingue. Il s'agit tout simplement de l'exemple.
Tenez, que ferais-je si je débarquais dans un village inconnu. Prenons par exemple, au hasard bien sûr, Montauban. Arrivé à Montauban, je croise un hétérodoxe quelconque. Un réformé, ou un spinoziste, si on veut. Que dois-je faire, moi qui suis persuadé de devoir les aider ? Je leur saute dessus et les poignarder jusqu'à ce que mort s'en suive ? Je les traîne devant les tribunaux ? Je leur fait tout le jour durant de grand prêches exaltés ? Ou alors, plus simplement, je leur dis bonjour et leur fais un sourire. Je discute simplement avec eux pour leur donner à voir, autant que faire se peut, l'exemple simple de l'exercice de la vertu. Au fond, n'est-ce pas cela qui leur manque le plus fondamentalement, c'est à dire cette foi en la vertu et l'exemplarité de l'Église ?
Alors, bien évidemment, s'il s'avère que l'on me sollicite pour une discussion polémique, ou si je sens simplement que l'homme que j'ai en face de moi est de nature à entendre mes arguments, alors je tenterai de lui parler. Si, au contraire, il ne veut rien entendre, et que, au fur et à mesure de mon séjour, je me rends compte qu'il est parfaitement hermétique, alors sa mise à l'écart me semblera être une option adaptée. Si, non content d'être hermétique, il se montre dangereux, alors il est nécessaire que je me défende.
Voilà, schématiquement, les quatre types de réponses.
Nous disposons à présent, je l'espère, d'un véritable outil pratique, une sorte de grille de lecture, qui nous aidera à adapter notre attitude.
Le point central, à mon sens, est l'exemplarité. Il faut traiter l'hérétique en ami, car le passage d'un niveau de réponse à l'autre n'implique pas que l'on abandonne nos anciennes exigences.
Le prêcheur se doit d'être exemplaire. Que penserait-on d'un prêcheur dont le propos serait convaincant mais le ton hautain et méprisant ? Ne serait-il pas nettement moins persuasif ?
De la même manière, celui qui est chargé d'incarner la justice d'Église ne doit-il pas de même avoir un comportement modèle, ainsi que le verbe haut pour faire résonner la voix du Créateur ?
Et, ce qui est peut-être le plus difficile, le soldat de Dieu ne doit-il pas être vertueux au plus fort de la bataille, et ne tuer que par amour, ne doit-il pas être sûr d'avoir proposé son Verbe avant sa lame, ne doit-il pas avoir le glaive juste ?
Aussi l'exemplarité est-elle l'étoffe fondamentale de toutes les relations que tisse l'aristotélicien. Chacun de nous qui sera confronté à l'hérésie devra y revenir comme le promeneur égaré suivra l'étoile du Nord pour retrouver son chemin.
Constant laissa passer quelques instants. A proprement parler, il avait terminé. Du moins avait-il abordé tout ce dont il souhaitait parler. Il ne lui restait qu'à conclure.
Voilà. Je crois que nous en sommes arrivés à quelque chose qui ressemble d'assez près, non pas à une solution, mais à une méthode permettant de dissiper le problème.
Je ne saurais donner de solution car je n'ai abordé les choses que de manière formelle. En revanche, j'espère que les indications éparses que j'ai pointé permettront à chacun de résoudre les problèmes concrets qu'il pourrait rencontrer.
Je n'ignore pas que l'on pourra me faire des objections, au premier rang desquelles celles qui consisterait à dire que mon exposé ne saurait absolument pas être convaincant pour quelqu'un qui n'aurait pas déjà la foi aristotélicienne. J'en suis pleinement conscient, et c'est parfaitement assumé. Mon propos n'aura jamais été de justifier l'aristotélisme, cela serait prétentieux. Ce que j'ai voulu faire, c'est montrer à des gens, qui peuvent être aristotéliciens ou non, comment l'aristotélisme devait envisager ce problème.
S'il ne saurait être pratique, à l'évidence, l'intérêt théorique du sujet demeure pleinement, même pour des hétérodoxes.
Que certains puissent avoir envie de contester l'aristotélisme lui-même, je peux le concevoir, et tâcherai de défendre son point de vue, mais cela ne saurait remettre en cause mon propos personnel.
Secondement, je voudrais vous encourager à ne pas hésiter à poser des questions. J'ai du considéré de nombreux point comme acquis pour ne pas trop alourdir mon allocution. J'ai tâché de faire au mieux, mais si des zones d'ombre factices s'étaient constituées à mon insu, je serais reconnaissant que vous me le fassiez savoir.
Alors, je pense que nous en sommes arrivés au point le plus important.
Jusqu'à présent, les choses se sont déroulées ainsi. J'ai posé ma thèse, et j'ai tâché de dégager quelques éléments de preuve, lesquels, pour sommaires qu'ils puissent être, ne manquent toutefois pas d'étayer suffisamment mon propos. Mon idée générale était que la tolérance n'était pas acceptable, premièrement car il s'agit d'un refus de venir en aide à la personne qui se fourvoie dans l'hérésie, secondement car il s'agit d'entériner passivement la mise en danger de l'intégralité du monde.
Tout ceci est fort simple, et, au fond, il est possible de le dégager au terme d'un exégèse simpliste. Mais venons-en à présent au point qui me semble être le plus épineux.
J'ai posé le problème de la tolérance à travers la question suivante : peut-on tolérer l'hérésie ? D'un certain côté, la réponse que j'ai apporté est pleine et définitive.
Pourtant, je gagerais volontiers que, en l'état actuel des choses, personne n'est vraiment convaincu par mon exposé. Cette réponse, aussi argumentée qu'elle puisse être, semble irrémédiablement manquer son objet. N'est-ce pas le cas ? Je crains, hélas, que, d'un point de vue pratique, s'en tenir là serait un désastre absolu. Nous sommes ici situés au point où se jouent beaucoup d'échecs, beaucoup d'erreurs et beaucoup d'incapacités à proposer une réponse adéquate à l'hérésie.
Pour le dire simplement : le fait d'avoir répondu à une question n'implique pas que l'on ait résolu le problème. Encore faudrait-il pour cela que la question soit bien posée !
Aussi, je considère pour le moment n'avoir absolument pas effleuré la résolution du problème en tant que tel, mais ne m'être occupé de la dissolution de toute expression qui se ferait de lui autour de la notion de tolérance. C'est pour s'en être tenus là que de nombreux théoriciens se sont condamnés eux-mêmes à la stérilité. Prouver que la notion de tolérance est absurde est chose aisée, mais de ce qu'on a mystifié la question ne suit en aucun cas que l'on ait abordé le problème dont on a par erreur accepté tacitement d'en faire l'expression.
Revenons donc à la question initiale, qui était, je vous le rappelle : " que dois-je faire face à l'hérésie ?" De cette question simple, nous étions discrètement passés à l'interrogation absconse et trompeuse suivante : "Puis-je tolérer l'hérésie ?". Comment si l'on pouvait ériger en maxime ce qui, par définition, est une exception ! J'aurais pu m'en tenir là, au fond, et ne même pas aborder un mot de l'aristotélisme. La tolérance est un écart, telle est sa caractérisation substantielle. En faire un principe revient précisément à substituer l'accident à l'essence. Il faudrait être dégénéré, et revendiquer l'existence d'un monde de chaos où nul ordre ne se fasse sentir ! Bref, évacuons définitivement cette vilaine idée.
Le problème qui subsiste, qui est probablement le vôtre en certains cas, celui de tout aristotélicien convaincu vis-à-vis de l'hérésie, est celui des modalités de l'intolérance. La question n'est pas : "dois-je tolérer ?" ; mais : "qu'est-il juste que je fasse, moi qui ne tolère pas ?".
Reconnaissons qu'ici le mystère demeure compact ! De ce que j'ai dit précédemment concernant le fait que l'on ne doive pas tolérer, personne ne tirera la moindre indication pratique, la moindre certitude, la moindre lumière pour guider son action. C'est donc là qu'il faut oser se saisir du problème.
L'une des erreurs classiques que l'on commet est de confondre l'intolérance avec la violence. Je suis persuadé que, de par le fait que j'aie tout à l'heure eut l'occasion de prôner l'intolérance, de nombreux auditeurs auront eu l'image fugace de moi comme étant un être sanguinaire et implacable appelant au bûcher à la moindre contradiction.
Tout ceci est parfaitement puéril, et proprement désastreux pour ce qui est du débat qui nous occupe. Je n'ai, me semble-t-il, jamais toléré l'hérésie. Mais je n'ai jamais mis à mort qui que ce soit ! Et croyez-moi, je gage bien persister ainsi.
L'intolérance implique que l'on propose une réponse à l'hérésie, d'où peut on tirer, au nom de quel amalgame sordide peut-on inférer que cette réponse doive nécessairement être violente ?
Une petite pause, juste quelques secondes, le temps pour Constant de s'éclaircir un peu la gorge et d'ôter de son il gauche une poussière gênante.
Prenons un paradigme, nous y verrons plus clair.
Alors, évidemment, comme tout paradigme, il ne s'agit pas de le pousser au bout, d'immenses absurdités en jailliraient inévitablement. Il est cependant hautement révélateur pour le point qui nous intéresse.
Parlons de médecine.
Que penserait-on d'un médecin qui amputerait un bras pour une petite coupure au doigt ? Nous dirions qu'il est fou ! Le remède serait terriblement pire que le mal.
A l'inverse, que dirait-on d'un médecin qui se dérobe à prendre la décision qui s'impose face à un membre gangréné ? Qui conseillerait de soigner l'infection par un peu de repos et une barrique d'eau froide. Nous dirions qu'il est incompétent. Ici le remède n'est pas un mal, mais le mal lui-même est laissé à sa fureur galopante.
Le bon médecin est celui qui prend la juste décision. Cela implique deux qualités fondamentales. Tout d'abord, savoir poser le diagnostic, reconnaître la gravité du mal. Ensuite, savoir y opposer un traitement adéquat.
Il en va totalement de même pour ce qui concerne l'Église.
J'entends déjà certaines protestations, issues de gens peu enclins à entériner l'assimilation de leur croyance à une gangrène. Je vous renvois donc aux précautions que j'ai prises en introduisant le paradigme dont je viens de faire usage.
Mais, du coup, combien de niveaux de réponse avons-nous ? Entre l'eau froide et l'amputation, le médecin dispose d'une gamme de traitements différents, qu'en est-il pour nous ?
Je vais essayer de vous en distinguer quatre, que je vous exposerai en commençant par le plus mauvais, pou finir avec celui qui me semble être le meilleur.
Alors, qu'entends-je par pire et meilleur ?
Il ne s'agit pas de dire que l'un serait intrinsèquement plus approprié que l'autre. Nous l'avons vu, de ce côté, tout dépend du contexte.
Ce que je veux dire s'articule autour de deux points. Premièrement, le remède qui intervient le plus tôt est toujours préférable, le meilleur sera donc celui qui prendra l'hérésie au berceau. Secondement, ce qui différencie ces niveaux de réponse est qu'ils sont plus ou moins mauvais en eux-même, à la manière d'une amputation, qui, même si elle peut sauver des vies, reste au fond une catastrophe pour l'organisme.
La pire de toutes les réponses, c'est la violence d'Église. La croisade, les Saintes Armées. Ici, c'est par l'exercice du mal, mais d'un mal nécessaire, que l'Église fait porter sa réponse.
Elle est la pire des réponses car elle entérine la gravité d'une situation. Rappelez-vous donc, il y a quelque temps, de cette secte obscure et effrayante que l'on appelait In Tenebris. Ils avaient attaqué des cathédrales, pillé des villes, je crois, et enlevé le cardinal camerlingue Lorgol, avant de lui mutiler le visage.
Face à cela, l'Église ne peut pas se permettre de ne pas réagir. Elle ne peut pas se permettre non plus de faire porter sa réponse par la parole. Cet amour qui est le sens de la vie selon les textes eux-même souffre de la réponse qui est faite, il souffre de voir l'Église se battre et sombrer dans la violence. Il souffre, oui, à la manière de celui qui a mal lorsqu'on cautérise sa plaie.
Celle qui vient juste après est la justice d'Église. Ici encore, on peut déceler une forme de violence, dans la mesure où il y a contrainte. Mais la violence, en ce cas, est rationalisée. Elle est incomparablement plus noble. Mais en tant que telle, elle ne s'applique déjà plus aux plus graves hérésies. Ce n'est plus la mort qui est le terme, car l'Église abhorre le sang, mais la mise à l'écart. L'hérétique reste en vie, et donc intégré à la communauté humaine, mais il y reste comme une branche morte qui pendrait au bas d'un arbre.
Plus loin encore, nous trouvons la parole. Mais encore faut-il qu'il veuille bien écouter cependant. Quelle meilleure réponse a-t-on à proposer à un hérétique que notre voix pour le convaincre qu'il se trompe ?
J'en trouve une personnellement. Et c'est la dernière des quatre modalités de réponse que je distingue. Il s'agit tout simplement de l'exemple.
Tenez, que ferais-je si je débarquais dans un village inconnu. Prenons par exemple, au hasard bien sûr, Montauban. Arrivé à Montauban, je croise un hétérodoxe quelconque. Un réformé, ou un spinoziste, si on veut. Que dois-je faire, moi qui suis persuadé de devoir les aider ? Je leur saute dessus et les poignarder jusqu'à ce que mort s'en suive ? Je les traîne devant les tribunaux ? Je leur fait tout le jour durant de grand prêches exaltés ? Ou alors, plus simplement, je leur dis bonjour et leur fais un sourire. Je discute simplement avec eux pour leur donner à voir, autant que faire se peut, l'exemple simple de l'exercice de la vertu. Au fond, n'est-ce pas cela qui leur manque le plus fondamentalement, c'est à dire cette foi en la vertu et l'exemplarité de l'Église ?
Alors, bien évidemment, s'il s'avère que l'on me sollicite pour une discussion polémique, ou si je sens simplement que l'homme que j'ai en face de moi est de nature à entendre mes arguments, alors je tenterai de lui parler. Si, au contraire, il ne veut rien entendre, et que, au fur et à mesure de mon séjour, je me rends compte qu'il est parfaitement hermétique, alors sa mise à l'écart me semblera être une option adaptée. Si, non content d'être hermétique, il se montre dangereux, alors il est nécessaire que je me défende.
Voilà, schématiquement, les quatre types de réponses.
Nous disposons à présent, je l'espère, d'un véritable outil pratique, une sorte de grille de lecture, qui nous aidera à adapter notre attitude.
Le point central, à mon sens, est l'exemplarité. Il faut traiter l'hérétique en ami, car le passage d'un niveau de réponse à l'autre n'implique pas que l'on abandonne nos anciennes exigences.
Le prêcheur se doit d'être exemplaire. Que penserait-on d'un prêcheur dont le propos serait convaincant mais le ton hautain et méprisant ? Ne serait-il pas nettement moins persuasif ?
De la même manière, celui qui est chargé d'incarner la justice d'Église ne doit-il pas de même avoir un comportement modèle, ainsi que le verbe haut pour faire résonner la voix du Créateur ?
Et, ce qui est peut-être le plus difficile, le soldat de Dieu ne doit-il pas être vertueux au plus fort de la bataille, et ne tuer que par amour, ne doit-il pas être sûr d'avoir proposé son Verbe avant sa lame, ne doit-il pas avoir le glaive juste ?
Aussi l'exemplarité est-elle l'étoffe fondamentale de toutes les relations que tisse l'aristotélicien. Chacun de nous qui sera confronté à l'hérésie devra y revenir comme le promeneur égaré suivra l'étoile du Nord pour retrouver son chemin.
Constant laissa passer quelques instants. A proprement parler, il avait terminé. Du moins avait-il abordé tout ce dont il souhaitait parler. Il ne lui restait qu'à conclure.
Voilà. Je crois que nous en sommes arrivés à quelque chose qui ressemble d'assez près, non pas à une solution, mais à une méthode permettant de dissiper le problème.
Je ne saurais donner de solution car je n'ai abordé les choses que de manière formelle. En revanche, j'espère que les indications éparses que j'ai pointé permettront à chacun de résoudre les problèmes concrets qu'il pourrait rencontrer.
Je n'ignore pas que l'on pourra me faire des objections, au premier rang desquelles celles qui consisterait à dire que mon exposé ne saurait absolument pas être convaincant pour quelqu'un qui n'aurait pas déjà la foi aristotélicienne. J'en suis pleinement conscient, et c'est parfaitement assumé. Mon propos n'aura jamais été de justifier l'aristotélisme, cela serait prétentieux. Ce que j'ai voulu faire, c'est montrer à des gens, qui peuvent être aristotéliciens ou non, comment l'aristotélisme devait envisager ce problème.
S'il ne saurait être pratique, à l'évidence, l'intérêt théorique du sujet demeure pleinement, même pour des hétérodoxes.
Que certains puissent avoir envie de contester l'aristotélisme lui-même, je peux le concevoir, et tâcherai de défendre son point de vue, mais cela ne saurait remettre en cause mon propos personnel.
Secondement, je voudrais vous encourager à ne pas hésiter à poser des questions. J'ai du considéré de nombreux point comme acquis pour ne pas trop alourdir mon allocution. J'ai tâché de faire au mieux, mais si des zones d'ombre factices s'étaient constituées à mon insu, je serais reconnaissant que vous me le fassiez savoir.