Theobalde
[Début d'automne--Bazas--Guyenne]
La vie prend parfois des chemins inattendus, au moment même où vous le souhaiteriez le moins. Enfin, le moins cest vite dis. Disons au moment où vous navez pas forcément la tête à ça. Mais vous navez pas le choix, vous suivez les aléas de la vie et faites face à ce qui se présente à vous comme vous le pouvez. Et cest ce qui se déroulait dans la vie de Théobalde Duval.
Né il y a un peu plus dune vingtaine dannée dans la région de Fécamp, Théobalde ny avait pas vécu assez longtemps pour se construire une vie à proprement parlé. Non, le petit garçon dautrefois avait amassé des souvenirs en pagaille quil avait chéri pendant des années jusquà les mettre dans un coin de sa tête et de, petit à petit, finir par les oublier.
Sa vie, il se létait bâtie ici, dans la région de Bazas. En effet, le père comme il aimait à lappeler, Tancrède, était fermier là-bas en Normandie jusquau jour où il décida de quitter cette région pour venir sinstaller en Guyenne avec femme et enfants. La mère, Guillemette qui avait mis au monde deux beaux garçons : Hermance et son frère, Théobalde, à deux années de différence et avait suivi sans rechigner, faisant de la fermette un doux foyer pour les hommes de la famille.
Et ils y vécurent de bons jours comme de mauvais dans cette maisonnée. On pouvait entendre les rires des deux garçons lorsquils jouaient à cache-cache dans la grange ou bien encore lorsquils couraient après les poules le soir lorsque leurs corvées dans les champs étaient terminées. Et les années avaient filé, les enfants quant à eux avaient grandi, les rires sétaient estompés et laîné des garçons était parti à la guerre.
Hermance voulait faire quelque chose pour aider les hommes et les femmes contre toute forme dinjustice. Ah ça, pour aider, il avait aidé ! Et il en était mort le pauvre gars. La mère ne sen était jamais vraiment remise et le père, lui, avait préféré faire comme si de rien nétait, ne prononçant plus le nom de laîné. Théobalde sétait alors retrouvé dans la maison des silences et des secrets, plus rien nétait comme avant, toute la joie avait disparu dun coup, dun seul.
Le père avait alors trimé dur aux champs pour gagner trois fois rien puis ses forces sen étaient allées et un matin, il ne sétait pas réveillé. Décédé dans son sommeil daprès le médicastre, « une belle mort » avait rajouté le vieil homme ce qui navait pas pour autant atténué le chagrin de la Guillemette. La mère avait tenu encore quelques années mais elle navait plus jamais prononcé leurs noms ni même un mot dailleurs.
Étant le seul homme de la famille, Théobalde avait repris la ferme, lexploitant du mieux quil le pouvait mais seul, ça navait jamais été évident. Et puis aujourdhui aujourdhui il avait enterré la mère. La vieille femme, elle navait plus rien qui la raccrochait à la vie, pas même son fils. Dailleurs, on se demandait par moment sil avait un peu compté dans leurs vies à tous, sils avaient au moins eu un peu de considération pour ce dernier ? Rien nétait moins sûr alors Théo avait pris la décision que tout devait disparaître. Les affaires, les biens, la ferme. Il ne voulait rien garder, tout donner aux autres, à plus miséreux que lui. Il sen sortirait toujours dans la vie, il avait assez de caractère et de volonté pour ça.
Fouillant dans le bahut de la grande salle qui servait de cuisine et de salle à vivre, Théobalde sapprêtait à faire le tri par le vide lorsquil tomba sur quelques parchemins, soigneusement enroulés et fermés par un ruban de cendal. Il les prit délicatement et les porta sur la grande table qui jonchait au beau milieu de la cuisine. Sinstallant sur une chaise, il commença à délier le ruban et lire le contenu des feuillets. Surpris, il chercha le nom de lexpéditeur ou plutôt de lexpéditrice. Car cétaient là des courriers dune jeune femme à sa mère. Pourtant, après mûres réflexion, Théobalde se savait le dernier de la famille, pas de sur cachée, pas de cousine éloignée. Dailleurs, laffection et le ton des missives navaient aucune connotation familiale. Non cétait là forte sympathie et amitié partagée mais qui pouvait bien être cette femme, jeune apparemment, qui se permettait de donner de ses nouvelles à ses parents et den demander de lui, de son frère et ceci, sur plusieurs années.
Et au fur et à mesure que le jeune homme lisait, les souvenirs remontèrent à la surface et il retrouva la trace dans sa mémoire de cette jeune femme dont le nom lui rappelait tant de rires, de cris, de chahuts, là bas en Normandie.
Deedee ne put sempêcher de murmurer Théo. Il se rappela soudain les deux enfants quils avaient été, courant dans les champs essayant de semer Hermance qui devait les surveiller pendant que les parents sapprêtaient à faire les récoltes.
Dès quil eut finit de lire toutes ces lettres à la lenteur de lescargot, il se décida à lui écrire et la tenir informer du décès de la mère. Bien que son vocabulaire ne fut point riche, il avait eu quelques notions décriture et de lecture par le biais du curé qui lui, ayant accès à la connaissance, les lui avait enseignés. Oh il ne sétait pas montré un élève très doué mais ça lui suffisait pour lui permettre de se déplacer et faire quelques courriers au cas où les frontières seraient fermées. Mais pour lheure, cétait à Deedee quil se devait de faire une lettre.
Prenant la lanterne dans une main, un parchemin vierge dans lautre, il sinstalla confortablement. Nerveux comme il était, il en avait oublié la plume et lencre quil retourna chercher dans lécritoire qui se trouvait dans le bahut. Avant de sinstaller à nouveau, il respira un grand coup, essuya ses mains sur le revers de sa chemise puis se laissa choir sur la chaise. Prenant ses aises, la langue coincée entre ses dents, la plume commença à glisser sur le papier.
La vie prend parfois des chemins inattendus, au moment même où vous le souhaiteriez le moins. Enfin, le moins cest vite dis. Disons au moment où vous navez pas forcément la tête à ça. Mais vous navez pas le choix, vous suivez les aléas de la vie et faites face à ce qui se présente à vous comme vous le pouvez. Et cest ce qui se déroulait dans la vie de Théobalde Duval.
Né il y a un peu plus dune vingtaine dannée dans la région de Fécamp, Théobalde ny avait pas vécu assez longtemps pour se construire une vie à proprement parlé. Non, le petit garçon dautrefois avait amassé des souvenirs en pagaille quil avait chéri pendant des années jusquà les mettre dans un coin de sa tête et de, petit à petit, finir par les oublier.
Sa vie, il se létait bâtie ici, dans la région de Bazas. En effet, le père comme il aimait à lappeler, Tancrède, était fermier là-bas en Normandie jusquau jour où il décida de quitter cette région pour venir sinstaller en Guyenne avec femme et enfants. La mère, Guillemette qui avait mis au monde deux beaux garçons : Hermance et son frère, Théobalde, à deux années de différence et avait suivi sans rechigner, faisant de la fermette un doux foyer pour les hommes de la famille.
Et ils y vécurent de bons jours comme de mauvais dans cette maisonnée. On pouvait entendre les rires des deux garçons lorsquils jouaient à cache-cache dans la grange ou bien encore lorsquils couraient après les poules le soir lorsque leurs corvées dans les champs étaient terminées. Et les années avaient filé, les enfants quant à eux avaient grandi, les rires sétaient estompés et laîné des garçons était parti à la guerre.
Hermance voulait faire quelque chose pour aider les hommes et les femmes contre toute forme dinjustice. Ah ça, pour aider, il avait aidé ! Et il en était mort le pauvre gars. La mère ne sen était jamais vraiment remise et le père, lui, avait préféré faire comme si de rien nétait, ne prononçant plus le nom de laîné. Théobalde sétait alors retrouvé dans la maison des silences et des secrets, plus rien nétait comme avant, toute la joie avait disparu dun coup, dun seul.
Le père avait alors trimé dur aux champs pour gagner trois fois rien puis ses forces sen étaient allées et un matin, il ne sétait pas réveillé. Décédé dans son sommeil daprès le médicastre, « une belle mort » avait rajouté le vieil homme ce qui navait pas pour autant atténué le chagrin de la Guillemette. La mère avait tenu encore quelques années mais elle navait plus jamais prononcé leurs noms ni même un mot dailleurs.
Étant le seul homme de la famille, Théobalde avait repris la ferme, lexploitant du mieux quil le pouvait mais seul, ça navait jamais été évident. Et puis aujourdhui aujourdhui il avait enterré la mère. La vieille femme, elle navait plus rien qui la raccrochait à la vie, pas même son fils. Dailleurs, on se demandait par moment sil avait un peu compté dans leurs vies à tous, sils avaient au moins eu un peu de considération pour ce dernier ? Rien nétait moins sûr alors Théo avait pris la décision que tout devait disparaître. Les affaires, les biens, la ferme. Il ne voulait rien garder, tout donner aux autres, à plus miséreux que lui. Il sen sortirait toujours dans la vie, il avait assez de caractère et de volonté pour ça.
Fouillant dans le bahut de la grande salle qui servait de cuisine et de salle à vivre, Théobalde sapprêtait à faire le tri par le vide lorsquil tomba sur quelques parchemins, soigneusement enroulés et fermés par un ruban de cendal. Il les prit délicatement et les porta sur la grande table qui jonchait au beau milieu de la cuisine. Sinstallant sur une chaise, il commença à délier le ruban et lire le contenu des feuillets. Surpris, il chercha le nom de lexpéditeur ou plutôt de lexpéditrice. Car cétaient là des courriers dune jeune femme à sa mère. Pourtant, après mûres réflexion, Théobalde se savait le dernier de la famille, pas de sur cachée, pas de cousine éloignée. Dailleurs, laffection et le ton des missives navaient aucune connotation familiale. Non cétait là forte sympathie et amitié partagée mais qui pouvait bien être cette femme, jeune apparemment, qui se permettait de donner de ses nouvelles à ses parents et den demander de lui, de son frère et ceci, sur plusieurs années.
Et au fur et à mesure que le jeune homme lisait, les souvenirs remontèrent à la surface et il retrouva la trace dans sa mémoire de cette jeune femme dont le nom lui rappelait tant de rires, de cris, de chahuts, là bas en Normandie.
Deedee ne put sempêcher de murmurer Théo. Il se rappela soudain les deux enfants quils avaient été, courant dans les champs essayant de semer Hermance qui devait les surveiller pendant que les parents sapprêtaient à faire les récoltes.
Dès quil eut finit de lire toutes ces lettres à la lenteur de lescargot, il se décida à lui écrire et la tenir informer du décès de la mère. Bien que son vocabulaire ne fut point riche, il avait eu quelques notions décriture et de lecture par le biais du curé qui lui, ayant accès à la connaissance, les lui avait enseignés. Oh il ne sétait pas montré un élève très doué mais ça lui suffisait pour lui permettre de se déplacer et faire quelques courriers au cas où les frontières seraient fermées. Mais pour lheure, cétait à Deedee quil se devait de faire une lettre.
Prenant la lanterne dans une main, un parchemin vierge dans lautre, il sinstalla confortablement. Nerveux comme il était, il en avait oublié la plume et lencre quil retourna chercher dans lécritoire qui se trouvait dans le bahut. Avant de sinstaller à nouveau, il respira un grand coup, essuya ses mains sur le revers de sa chemise puis se laissa choir sur la chaise. Prenant ses aises, la langue coincée entre ses dents, la plume commença à glisser sur le papier.
Citation:
Chère Deedee,
Si vos souvenirs sont aussi présents que les miens, vous naurez aucun mal à vous rappeler de moi, Theobalde Duval, fils de Tancrède et Guillemette Duval. Je sais, pour avoir trouvé vos lettres, que vous donniez de vos nouvelles à la mère et jen suis heureux. Elle a dû beaucoup aimer retrouver un petit bout de son passé à travers vos yeux.
Malheureusement, je me dois de vous annoncer que la mère nest plus de ce monde. Je lai enterrée ce jour au cimetière de Bazas. Oh rassurez-vous, elle na pas souffert, enfin je ne pense pas. Les dernières années nétaient que silence à ses côtés et je ne sais même pas ce quelle pouvait ressentir. Dailleurs je ne savais pas non plus que vous échangiez avec elle, comme quoi, même ça elle na jamais voulu men parler.
Chère Deedee, si je ne me trompe pas, nous avons beaucoup de souvenirs en commun, de notre enfance et si cela ne vous dérange pas, jaimerais garder contact avec vous. Vous êtes la seule personne qui me reste. Le père étant auprès du Très-Haut depuis bien longtemps sans parler dHermance, cela me ferait bien plaisir que davoir quelquun avec qui converser de temps à autre oh zêtes pas obligé daccepter Dame et sachez que je ne vous en voudrez point du tout mais cela mapporterait un peu de joie dans mes jours tristes qui jalonnent ma vie ces derniers temps.
Je vous envoie toute mon amitié et vous remercie du temps que vous aurez passé à lire ces quelques lignes.
Théobalde Duval
Si vos souvenirs sont aussi présents que les miens, vous naurez aucun mal à vous rappeler de moi, Theobalde Duval, fils de Tancrède et Guillemette Duval. Je sais, pour avoir trouvé vos lettres, que vous donniez de vos nouvelles à la mère et jen suis heureux. Elle a dû beaucoup aimer retrouver un petit bout de son passé à travers vos yeux.
Malheureusement, je me dois de vous annoncer que la mère nest plus de ce monde. Je lai enterrée ce jour au cimetière de Bazas. Oh rassurez-vous, elle na pas souffert, enfin je ne pense pas. Les dernières années nétaient que silence à ses côtés et je ne sais même pas ce quelle pouvait ressentir. Dailleurs je ne savais pas non plus que vous échangiez avec elle, comme quoi, même ça elle na jamais voulu men parler.
Chère Deedee, si je ne me trompe pas, nous avons beaucoup de souvenirs en commun, de notre enfance et si cela ne vous dérange pas, jaimerais garder contact avec vous. Vous êtes la seule personne qui me reste. Le père étant auprès du Très-Haut depuis bien longtemps sans parler dHermance, cela me ferait bien plaisir que davoir quelquun avec qui converser de temps à autre oh zêtes pas obligé daccepter Dame et sachez que je ne vous en voudrez point du tout mais cela mapporterait un peu de joie dans mes jours tristes qui jalonnent ma vie ces derniers temps.
Je vous envoie toute mon amitié et vous remercie du temps que vous aurez passé à lire ces quelques lignes.
Théobalde Duval
Théobalde griffonna un semblant de signature tout en espérant que la jeune femme qui se trouvait là-bas, si loin, daigne répondre à cette missive. Cétait pour lui une chance inespérée de ne pas sombrer, de se raccrocher à quelque chose, à quelquun qui, pour une fois, lui apporterait un peu de chaleur et de joie dans sa vie.
Il enroula sa missive et se rendit au village afin dy trouver des gens à la taverne qui partiraient dans la direction souhaitée. Peu importe que ce pli mette une semaine, un mois même pour arriver. Théobalde voulait simplement que la douce petite fille de ses souvenirs ne loublie pas, lui le gars dautrefois. Et comme un bonheur narrive jamais seul, cétait son jour de chance. Le jeune homme, après moult discutions en tout genre, trouva un homme qui accepta de convoyer lobjet de toutes ses attentions. Le remerciant comme il se devait, Théobalde offrit quelques tournées avant de sen retourner chez lui, lespoir ancré dans sa tête et dans son cur.