vioqueline, incarné par Sadnezz
Vioqueline trainait sa carcasse sans âge et son sourire édenté au fil des étals et des gueules d'étrangers qui s'étaient multipliées depuis quelques jours. Un long châle noir tombant sur ses épaules voutées comme une illustre cathédrale et un chapelet en émaux de lépreux vissé entre ses doigts crochus - L'art de recycler le chicot n'avait plus vraiment de secret pour elle -, la petite silhouette disgracieuse faisait résonner de sa démarche boiteuse son pied bot sur le pavé sale.
Que les temps étaient durs, l'estomac sonnait creux un jour sur deux et les taxes pullulaient à chaque recoin de marché. Rendez-vous compte, la vieille peau n'avait pas même le droit de s'acheter plus d'une miche de pain par jour chez le boulanger, qui faute de stock écoulé commençait à faire grise mine et songeait déjà à aller vendre plus loin le fruit de son labeur... Son pauvre neveux , venu la visiter de la ville de l'autre coté de la frontière, s'était même entendu dire par un cul pincé en collerette que pour acheter ou vendre en l'enceinte, il devrait d'abord céder une bourse de cent écus au bon maire... Les salaires étaient esclavagismes déguisés et les délateurs se multipliaient comme les cors sur ses pieds aux ongles incarnés. Les gibets voyaient leur taux de fréquentation à la hausse et le sourire de la Vioqueline s'affaissait plus encore sous l'exaspération que sous ses rides, c'est dire.
Claudiquant en agitant dans sa main fantomatique un godet cabossé, la doyenne quémandait les restes de sa vie aux regards méprisants des gens déjà bien tourmentés par le manque de tout, la récolte de rien.
La charité... La charité....
Ses yeux, empires de la cataracte, se posaient sur toutes les babioles qu'on essayait de refourguer à plus pauvre que pauvre, et elle n'interrompait sa mendicité qu'au rythme de violentes quintes de toux grasses, si tant était qu'elle ne crachait pas un morceau de poumon entre temps... Le regard clair admirait les breloques et pacotilles que certaines poules de luxe trimballaient ostensiblement à qui voudrait bien s'y user les yeux, mais la vioqueline elle, elle n'en avait que faire, elle ne les mangerait pas au souper ... Les soucis lui avaient volé les quelques cheveux qui lui restaient, la disette avait achevé les quelques mèches éparses qui courraient sur son crane. Il était temps de passer au plan D. (Dédéfection-toi.)
Rasant l'étal du marchand d'attrappes-nigauds, elle subtilisa le doigt de sainte machin le plus naturellement possible, secouant de sa main innocente son bric a broc de métal ou tintait une piécette... Histoire de faire diversion. ça mettrait un peu de gout dans sa soupe du lendemain...