Edern
HRP : RP ouvert à tous et à tout. Si si.
Une route.
Le Fou la parcourt depuis qu'il est ce qu'il est, même s'il n'est plus vraiment ce qu'il a été. Pourfendeur du silence ? L'ennemi le terrasse aujourd'hui, lors de batailles aussi courtes que dévastatrices. Les visions qui l'envahissent sont au-delà de la terreur, au-delà de l'effroi. Elles lui donnent un aperçu sur le néant qui l'attend à la fin de toutes choses.
Trouvère déchu, celui qui fut l'amant des mots a renoncé dans sa quête d'une scène impossible. Il a perdu plus que les piécettes dérisoires qui achetaient la nourriture réclamée de temps à autre par son corps. Plus que les applaudissements de l'implicite ou de l'explicite qui venaient gonfler l'orgueil dément. Quelque part, le lien a été rompu par quelqu'un, quelque chose. Dans un puits sans fond gisent le maître et l'esclave moribonds, deux carcasses tressautantes promises au même cimetière.
Fou que tu es, le Fou. Tu mourras avec ta folie !
Mais avant...
Remonter à la source.
Comprendre pourquoi elle se tarit.
Là où les mots fuient et disparaissent.
Il en est pourtant un, si petit, que dans un dernier sourire le Fou a accueilli, qui s'accroche à lui, tel les racines d'une fleur écarlate au rocher grisâtre du monde.
A peine un parfum...
Espoir.
~~~~~
Une route.
Bretonne ? Celle qui mène à l'océan. Belle saison pour se noyer !
Le Fou marche parmi les Hommes. Son habit de noir et de blanc contraste à peine avec le vert qui éclot autour de lui. Il n'est plus rien, n'a plus rien, si ce n'est la plume. Une arme qui lui échappe, qu'il chérit pourtant bien plus que le bâton que sa main droite serre fermement en cette vaine matinée de printemps. Elle a affronté rois et manants, causé morts et naissances, été l'instrument de sa puissance. Trempé dans le sang de l'oubli... symbole de l'union, ultime convulsion.
S'il vit ? A peine. Le temps vainc son esprit avant son corps, qui croit à l'éternité de sa jeunesse. Aucune cicatrice sur le marbre du visage dont il contrôle toujours l'expression. Face aux autres, les lèvres s'étirent, les sourcils se haussent encore pour retrouver un peu du plaisir d'autrefois, celui du jeu et de la sublimation. Sans importance, maintenant... chaque jour tire un peu plus les traits de l'impassible.
Bretagne. Une langue qu'il a oubliée. Des histoires... il en ressent les antiques sonorités, il pourrait presque en toucher le pouvoir s'il ne fuyait pas lui aussi. Malgré tout, quelques mots survivants inondent son esprit, franchissent le seuil de ses lèvres pour former des paroles chantées à mi-voix.
Semblant de mélodie que personne n'espère plus.
Droite sage, courbe maligne
Un sillage pour horizon
Nous ne suivons que la ligne...
Délire en marche ? Marche délirante.
La ligne que je suis sans son
Tranche dans le vrai par la faux
Qui élude l'illusion...
Le Fou erre, les yeux sur le chemin mais le regard au loin.
Edern
Écoute ces coriaces échos
Quand les temps ne sont plus aux signes
Fixe la lune au fond de l'eau...
La voix s'arrête. Le chant est terminé. Les mots s'éloignent dans une caverneuse cavalcade. Le fil sur lequel le Fou a construit sa folie se réduit en silence.
Lorsqu'on ne peut se raccrocher aux mots qui s'effacent, on finit par souhaiter la chute dans l'infinie crevasse... mourir du vide, mais savoir pourquoi. Connaître enfin ! Plus qu'abréger les souffrances qui sont désormais le lot de son existence, satisfaire ce besoin de réponse sans précédent.
Continuer jusqu'à la falaise et sauter.
Deux prunelles vagabondent. Il aperçoit une vague silhouette qui se détache à la limite de son champ de vision. Ce n'est pas la première qu'il croise, loin de là.
Celle-ci est physiquement seule pour le moment, insignifiante. Un élément à sa place.
La main du Fou se crispe légèrement sur le bois rugueux de son faux bourdon, vrai bâton.
Faut-il... ?
Quelques gestes seulement.
Contenter l'estomac d'or et d'argent...
Violence pour pitance.
Non.
Bourse et besace sont bien assez remplies. Il pourra atteindre le bout de son voyage, il arrivera vivant aux portes de sa mort. Attendre une nouvelle fois dans des geôles quelconques le viderait définitivement. Et il n'a plus de temps à consacrer aux hypocrites prétoires...
La silhouette restera donc une silhouette. Parmi d'autres. Nul Breton n'a retenu ce qui lui reste d'attention jusqu'à présent. A peine si quelques voyageurs intrigués se sont attardés à sa table. C'est qu'il n'y a plus guère à prendre ou à offrir...
Plus loin, un croisement sur le chemin empierré. Il aimait tant l'étreinte des confluents, avant, ailleurs... Là ? Juste un carrefour qu'il atteindra dans moins d'une minute, l'intersection de deux chaussées poussiéreuses, une tache sur une carte à deux sous. C'est moins que rien, ou presque.
Il faudra bien choisir, pourtant.
Gauche, droite, gauche, droite... le pendule infernal de ses jambes s'arrête dans une dernière oscillation. Le Fou est immobile au milieu de la route, statue dérangeante battue par les vents de l'ouest. Ses pieds cherchent ce que son âme pressent.
Un point d'interrogation pour résoudre la contradiction ?
Les yeux bruns survolent la femme qui approche. Ils ne se posent pas. Rien ne les y retient encore.
Si ce n'est sa réponse, peut-être.
L'océan ?
C'est plus qu'une direction...
Edern
Je dirais qu'elle est soit par ici... soit par là...
Les yeux du Fou se portent plus avant, par ici et par là. Ils n'y rencontrent que les cendres du feu qui le consumait jadis. Les mêmes qu'en Maine, Anjou, Touraine, Limousin, Berry, que partout... il n'y aura donc pas d'exception bretonne. Pas encore. Que n'est-il pas revenu en ces lieux quand les mots nourrissaient joyeusement son esprit ? Qui sait ce qu'il aurait vu dans la lande immense ? Sa folie avide se serait-elle régalée des incantations boisées des derniers druides ? Autant de questions qui n'en étaient pas une poignée de mois plus tôt, quand tout se justifiait par la plume, quand un rire dément répondait aux pitoyables regrets dont on le martelait. Si jamais il ne les laisserait couler, il sait aujourd'hui que même les larmes lui sont refusées. La seule eau qu'il connaîtra sera salée. Le retour à la source ne peut être un choix pour qui aime à aller dans le sens du fleuve. Passage obligé vers la liberté ou la mort, la liberté et la mort...
Là-bas. Deux autres silhouettes, au moins. Bien des solitudes sur une même route ! Le soleil brille, bien inutile, entre deux nuages familiers du ciel breton, mais tout n'est qu'ombres et décombres pour le Fou. Qu'ils viennent donc, ces grisâtres feux follets ! Il ne fera que les traverser... il éteindra toute belliqueuse velléité. Il est loin le temps des batailles oniriques, de la flamboyance des mots fantastiques. Si loin...
Retour à la femme qui lui fait à peine face. Le regard brun juge mornement les ornements de son vêtement... une dame, dirait-on ailleurs. Le Fou ne lui demandera pas son nom, lui qui peine déjà à se souvenir du sien. Malgré sa lassitude, il parvient à canaliser assez d'énergie pour une autre question.
Si le Fou se meurt, il ne se rend pas.
Le bras gauche décrit un demi-arc de cercle, balayant les fourrés qui cernent le chemin, jusqu'à désigner les deux voyageurs en approche.
La voix se fait forte sans être cri.
Ces longs profils...
Que cherchent-ils ?
Alors que ces mots fusent vers les oreilles de ceux qui voudront bien les écouter, tous les autres s'envolent de nouveau. Le Fou frissonne. Il sait qu'un songe va l'emporter sous peu, toujours plus fort que les précédents, qui le tuera peut-être. Bientôt...
Ça y est. Le vide est de retour et l'avale en silence. Si les yeux d'Edern sont ouverts, ils ne fixent plus rien. Ou plutôt, ils fixent le rien qui l'étreint mortellement, qui le comprime jusqu'à n'être plus qu'un point sans dimension. Tout son être est déchiqueté par le néant. Il sent sa peau se détacher de ses os, les nerfs qu'on torture à la tenaille rougie. Les mots ! Ils se sont enfuis, aveugles à son supplice. Des milliers de lettres séparées, égarées, s'enfoncent en lui, embrochant sa folie.
Si seulement il pouvait hurler...
Il ne perd pas connaissance. Il n'y a de douleur que dans la conscience. C'est dans son âme et dans sa chair qu'il souffre.
La violence est telle qu'il ne peut à la fois tenir les deux positions...
Son corps s'écrase lourdement contre la pierre.
Le bâton s'en va rouler devant.
Le vieil écritoire s'échappe de sa besace, laissant voleter quelques parchemins vierges dans l'air armoricain.
Des feuilles mortes au printemps...
Le Fou est tombé.
Edern
On le manipule.
On le bouscule.
On le nomme sans majuscule...
Quelque part au fond de l'esprit du Fou qui se tord, une flamme s'embrase, rouge puis bleue. Son combustible a pour nom sollicitude. Elle se propage immédiatement à tout son être, purifiant chaque coin et recoin du vide qui le torturait et le torturera encore, plus tard, sans crier gare.
Partie remise. Il n'en a cure. Une autre partie a cours, sur un autre terrain.
Un mot de trois lettres s'envole pour lui en toute harmonie, oiseau merveilleux, voleur de feu.
Non !
Ses yeux voient de nouveau. Les iris bruns courent sur les nuages, s'accrochent un instant à deux visages féminins, tournoient avec vigueur, refusant que se ferment les fourbes paupières. Que croient-elles donc faire ici ? L'aider, lui, le Fou ? Oser même l'envisager ? Personne ne peut plus l'aider sur sa route, et personne ne l'a jamais pu ! Ou presque... mais le presque est parfum, ne pourra manquer de disparaître à son tour. Il n'y a que lui pour aller au bout, s'abîmer en restant entier, faire le sacrifice de sa vie pour enfin affronter un ennemi qu'elles ne connaissent même pas. Du reste, ne seraient-elles pas les servantes de ce dernier, des combattantes du silence déguisé sous des lettres mal ordonnées ? Des humaines traîtresses à leur race, la seule qui ait pu aimer les mots ?
Car il serait revenu seul. Seul avec sa folie ! Il n'a pas besoin de cet insignifiant autrui qui n'est ni joueur, ni public.
La colère a précipité sa sortie du néant. Le Fou a la folie furieuse. Rare ire, ouragan sanglant, débarrasse-moi de ces impudents qui pensent pouvoir toucher ce qui n'est pas à leur portée ! Non, il n'est donc pas mort ! Il vivra tant qu'il ne saura pas le pourquoi de son châtiment !
Sa volonté est la dernière force qu'il peut opposer à la réalité.
Messi...
La claque est violemment rendue de la main qui aurait dû tenir le bâton. Vibrant de fureur, le Fou roule sur le côté et se relève prestement, rajustant son couvre-chef. Peu importent la poussière qui macule son habit blanc et noir, le bois qui est retourné au sol, les parchemins éparpillés. Si le temps ne lui était pas compté, s'il ne craignait pas un énième cauchemar meurtrier, il tuerait sans hésiter. Il rouerait de coups ces deux femmes qui ne comprennent pas. Pas par plaisir. Parce qu'elles représentent une partie de son échec, la ruine d'un monde qui aurait pu être sublimement autre. Le terrible symbole d'une défaite évidente.
Le Fou toise les donzelles qui lui barrent la route. Si l'écritoire est à ses pieds, la plume restera sienne tant que la rage irriguera ses veines.
Un fluide mordant pour une ultime exécution...
Le soleil est noir.
Ce qui m'arrive n'arrive qu'à moi
Reculez derrière votre émoi
De pitié je n'en ai ni tôt ni tard
Et encore moins pour les charognards !
Il va pleuvoir...
Edern
Haussement de sourcil. Elle l'a nommé. Le Fou laisse s'échapper la colère et observe les points d'interrogation qui se soulèvent en lui.
Sait-elle pourquoi ? Sait-elle vraiment qui il est ?
Manant. Et Duc. Et Évêque. Et Brigand. Et tout ce qu'il veut, quand il le veut, où il le veut. Des limites ? Celles de l'impuissance des autres, de leur incapacité à reconnaître les contours d'un jeu de dupes. Chaque taverne est l'occasion d'un rôle à prendre, même en ces temps de fin du monde, même s'il n'y prend plus qu'un plaisir dénué de sens. Manant ! Oui. Il fut plus riche. Non. Ce qui lui reste de trésor, jamais elle ne pourra en jouir. Une richesse incalculable puisqu'on ne peut la mesurer à coup de règle jaunie.
Son mal. Se partage-t-il ? Peut-on diviser l'agonie ? Suggère-t-elle que sa solitude pourrait ne pas en être une s'il ne se gardait pas de la semer ? Trop peu de champs ont pourtant supporté la semence qu'il leur offrait. Son mal ! Mais personne n'a voulu de son bien. Comment ose-t-elle ordonner son être intime, lui intimer l'ordre, cette raisonnable inconsciente ?
Mourir de main de femme. Elle n'a pas d'arme, la naïve mégère au sang bleu. Ses ongles ? Aussi nombreux soient-ils, aucun n'entaillera le marbre qu'il a revêtu. Ils se briseront dans un crissement aussi désagréable pour l'oreille que doux pour son âme démente.
Qui ne pèsera toujours que le poids d'une plume, quelle que soit la balance...
Tsss.
Le Fou soupire, détourne les yeux de celles qui le bravent à peine. Il s'assoit en tailleur et lève la tête pour mieux contempler les nuages qui passent tranquillement dans le ciel. Bientôt, une goutte en dégringole et vient éclabousser sa joue. Puis une autre. L'heure est bientôt au déluge. Partout, de lourdes et petites masses d'eau s'écrasent en choeur, composant un chant mouillé vers lequel son corps se tend. Pourrait-il se noyer, ici, entre les larmes que les dieux pleurent pour lui ?
Flic, floc. Non. La pluie ne tombe que pour lui indiquer la route. Il va falloir repartir. Aucune halte n'est permise.
Débarrassons-nous des importunes avant de leur en tenir rancune. Choix d'une surprise... allons-y.
L'homme retrouve la station debout, le regard toujours en l'air. Son chapeau glisse, frôle la fine pellicule d'eau qui couvre maintenant le sol, stupide navire sans voiles ni capitaine. Il fixe alternativement les deux oiselles à qui il doit répondre. Ses lèvres s'étirent douloureusement. Est-ce un sourire, cette expression tordue ?
Presqu'animal, hein. La main droite se porte au nez pour le pincer. Les pupilles se dilatent au possible, évocation féroce d'une bête monstrueuse.
Ahem. Se dandinant parmi les flaques qui s'étendent, le Fou se fend des trois alexandrins suivants :
Coin coin coincoin coin coincoincoin coincoin coincoin
Coin coincoincoincoin coin, coincoin coin coincoincoin
Coincoincoin coin coincoin coincoin coin coincoin... coin !
Foie de canard, on ne lui clouerait pas le bec aussi facilement.