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Au domaine de l'Epine, le jour des funérailles de Matthilde de Beaugency.

"Volpilhat", mais pas que...

Clémence de l'Epine
Le banquet de funérailles s'était terminé. Chacun allait rentrer chez soi. Ceux qui séjourneraient encore un peu à l'Épine regagneraient les appartements qu'on leur avait attribués. Ceux qui auraient accepté l'invitation de la demoiselle de l'Épine pour la nuit feraient de même.

Et déjà, Clémence devait se faire à l'idée de se retrouver seule, bientôt. Ou bien plus qu'elle ne l'avait été en ce jour de souvenirs, de prières, de mémoire. Il y avait, pourtant, bien des conversations qu'elle aurait voulu avoir et qu'elle n'avait pas encore pu amorcer. Des discussions plus personnelles, une avec chacun de ses hôtes du jour, qu'il n'est pas possible de mener entouré de toute part. Il faudrait se résoudre, pourtant, à tous les laisser partir, et préférer un autre jour, un autre moment, pour entamer une conversation plus... profonde.

Mais il en était une, qu'elle ne pouvait ainsi laisser échapper. Pas une nouvelle fois. Le Languedoc était bien loin de la Champagne, et c'était déjà une chance, que de voir ces deux têtes rousses ici même, à l'Épine. Elle l'avait manquée à Aix-la-Chapelle. Le feu follet ne lui filerait pas cette fois-ci entre les doigts.

Un à un, ils quittaient la salle de réception, et Clémence patientait sur le seuil de la porte, ayant un sourire pour chacun, un mot de remerciement et d'amitié avec. Et quand ce fut au tour de la jeune Vicomtesse de Cauvisson -qui l'était, oui, contre toutes attentes, contre les siennes, en tout cas- lorsque donc ce fut elle qui se porta à sa hauteur, la demoiselle de l'Épine se pencha un peu en avant pour obtenir de Jehanne-Elissa toute l'attention possible.


Damoiselle de Volpilhat, permettez que je vous dise quelques mots ... ?

Était-ce réellement une question, à laquelle elle attendait une réponse ? Si tel avait été le cas, Clémence aurait pu aussi prévoir un refus, et pourtant, dans sa manière d'agir, rien ne laissait pressentir qu'elle ait pu en avoir conscience. Parce-qu'elle passa autour des épaules de la jeune fille un bras qui ne l'effleurait qu'à peine et dont le mouvement possédait à la fois un élan protecteur et une volonté ferme de voir la petite Volpilhat obéir à sa pression. Délicatement mais résolument, Clémence guida l'héritière de Marguerite et Louis à l'écart des oreilles. Elle eut un regard pour Catalina, mais aussi pour ceux qui avaient accompagné les deux jeunes filles jusque l'Épine. Un regard indiquant qu'ils n'avaient pas à s'inquiéter. Un regard engageant.

Et puis, elle porta à nouveau son regard azur sur le visage encore enfantin de Jehanne. D'abord, elle tenta de deviner les sentiments qui pouvaient l'animer en ce moment même : peur ? colère ? curiosité ? Mais ensuite, elle s'attarda sur les traits de celle que l'on nommait "Volpilhat" mais qui était tout autant "Appérault". Qu'avait-elle hérité de son père, alors que tout ce qu'on voyait d'elle rappelait Margot, et avant tout, cette chevelure flamboyante qui caractérisait les Volpilhat ? Nouveau coup d'œil vers Catalina. Et un soupir. Bref. Triste, mais également résigné.


Excusez mon attitude un peu brusque. Mais j'avais très envie de vous parler juste un instant. La blonde eut un sourire contrit pour la rousse, et un moment, on aurait dit que l'aînée prenait la place de la cadette alors qu'elle se confondait en excuses suite à un piètre comportement.

Damoiselle... Pourquoi êtes-vous ici aujourd'hui ? Pourquoi vous ai-je fait parvenir l'annonce des funérailles de ma chère mère ? Elle avait hésité à conclure la question par un "à votre avis", mais non : cela aurait pu lui laisser penser qu'il y avait une bonne réponse, comme une mauvaise, alors que Clémence voulait simplement que l'enfant réponde avec franchise. Sa réponse pourrait amorcer le sujet qu'elle souhaitait aborder avec elle.
Jehanne Elissa
La réception battait son plein et aux côtés d’Eilinn et de Catalina, l’héritière Goupil semblait émerveillée. La salle de réception de la demeure de l’Epine n’avait rien à voir avec celle du château Vicomtal de Cauvisson, certes riche mais de cette élégance simple, et encore moins avec elle de la baronnie de Malpertius. C’était une salle de réception de Marquis. Et Marquis, dans l’esprit de notre rouquine, c’est Grand, très Grand. Alors elle prend une attitude de circonstances, échangeant salutations et politesses avec certains, parlant de manière un peu plus animée avec d’autres, un sourire, une révérence, un rire quelle ne peut s’empêcher de maîtrise et l’impression de devoir paraître plus grande d’une dizaine d’années. Pour l’occasion et car ça faisait partie intégrante de leur « contrat » Eilinn n’était plus son amie mais sa Dame de Compagne, qui la suivait ça et là sans non plus quelle ne puisse s’empêcher de lui lancer des regards complices et de la présenter à quiconque venait. Petite Volpilhat, il va falloir grandir. Mais pas pour l’instant. Pour l’instant elle a un moment de répit et en silence, se perd dans les fastes et l’histoire de la pièce.

Alors la petite Volpilhat se mit à rêver de festivités grandioses . Elle voyait la fine fleur de la noblesse Française affluer des quatre coins du Royaume vers cette salle de réception, parcequ’on savait tous qu’ils seraient là et tous promettaient de se donner le spectacle de leur présence. Le peuple de l’Epine et des campagnes environnantes encombraient alors les extérieurs des lieux, ces curieux regardaient par les fenêtres accessibles cette ondée d’ors et de plumes, cette mer de faste et sang bleu, si bleu. Mais les plus impatients et fébriles étaient sans conteste les nobles, tous savaient l’importance de la représentation des apparences ; laquelle devait se faire sous ces hauts plafonds. Ces hauts plafonds eux-mêmes étaient caressés par le bourdonnement des talons et tissus qui venaient frôler l’émerveillement pour les yeux qu’ils étaient. Au dessus de leur têtes un de ces plafonds lambrissés en sculptures peintes d’azurs et fleurdelysées d’or et parées ça et là des armes de leurs augustes hôtes ; sous leurs pieds un sol de pierre. A quelques pas des piliers pour soutenir la structure puis un autre, puis un autre, puis un autre comme pour montrer la force de cette famille qui part son ancienneté pouvait offrir aux plus grands des soirées hors du temps, des soirées d’apparat, d’artefact maîtrisé et agréable. Qu’on se représente maintenant cette immense salle après les entrées des invités, juste en avant du début des festivités. Autour des piliers, évitant soigneusement le centre de la salle car il était réservé aux hôtes et à l’ouverture, se formaient d’éclatants groupes, se mélangeaient de criardes couleurs ; à gauche du dernière piliers les accents du sud et du nord du Royaume se croisaient ; un peu plus en avant les hommes parlaient à voix basse pour préparer quelconque complot tandis que l’on trouvait les femmes partageant des banalités alors que leurs yeux criaient la jalousie. A l’entour de la salle, sur les épais murs entre les groupes, entre les piliers, des tableaux représentant la famille de l’Epine et leurs ancêtres ; les plus fainéants, les bras pendants et les yeux baissés ; les plus vaillants et bataillards, la tête et les mains hardiment levées au ciel. Il est certain que si cette famille ne s’était pas illustrée par le passé, il n’y aurait point un tel lieu ni de tels invités ; il n’y aurait point eu d’intrigues allant forcément de pair à l’événement ; point de mères intéressées dans les parages de la Marquise pour placer son enfant pucelle ; point de regards secrets et intimes entre tel Comte et telle Duchesse invités et pourtant tous deux mariés ; point de repas frugal faute de moyens ; point de musique entraînantes et de danseurs entraînés ; points de rires et de complots sous cape ; en somme point de noblesse et point de badaud pour les admirer car là était le rôle de la noblesse : faire envie.*

Mais malheureusement le banquet arrive à sa fin et c’est à la petite Vicomtesse de stopper ses rêveries et d’aller, accompagnée de sa Tante et de leur compagnie, s’ajouter à la procession de sortie ou Clémence les saluerait poliment avant de les laisser guider par un domestique vers l’endroit ou ils dormiraient avant de reprendre la route. Séparément cette fois-ci, Jehanne et Eilinn partiraient vers Sainct-Omer pour la baptême de cette dernière. Leur arrivant, Jehanne colle un sourire de circonstances à ses lèvres alors que la fatigue accumulée du voyage et de la journée se fait sentir et quand elle croise le regard de Clémence elle pense déjà à s’enfouir dans des draps et se laisser tomber avec béatitude dans le sommeil.


Damoiselle de Volpilhat, permettez que je vous dise quelques mots ... ?

Surprise. Le visage de Jehanne se tend un peu et c’est à son corps de suivre quand elle se rend compte du bras de Clémence sur ses épaules et de la direction quelle lui fait prendre. Un regard vers Catalina et Eilinn qui ne semblent pas s’inquiéter outre mesure, après tout, Clémence est une enfant en deuil et de bonne famille, que risque t-elle ? Se rassurer ne la rend pas non plus énormément communicative, son cerveau étant un peu embrouillé entre la fatigue et la surprise et la suite que prenait la soirée qui n’avait absolument pas été prévue. Que lui voulait Clémence ?

Excusez mon attitude un peu brusque. Mais j'avais très envie de vous parler juste un instant.

Etait-ce donc si pressé alors quelle ne demandait qu’à se reposer ? Elle lève les yeux vers l’hôte de la journée et se rassure un peu en voyant son visage aussi peu assuré que le sien. Non elle ne lui veut aucun mal mais bon sang, on aurait dit qu’il allait être question d’un secret d’Etat ou toute autre chose attenant surement à la vie ou mort de quelqu’un. La blonde l’arrête dans un coin du couloir et la petite rouquine elle jette à nouveau un regard vers les siens avant d’embrasser le lieu ou elles sont arrêtées. Quelques invités sortent encore et certains les regardent avec une curiosité non feinte. Elle se tourne alors vers Clémence s’apprête à parler et…

Damoiselle... Pourquoi êtes-vous ici aujourd'hui ? Pourquoi vous ai-je fait parvenir l'annonce des funérailles de ma chère mère ?

Sourcils qui se froncent immédiatement. Sans gêne elle dévisage Clémence passant en revue ses traits tirés et maussades du deuil, sa chevelure si claire, et surtout son regard interrogateur. L’héritière Goupil aurait en temps normaux répondu innocemment quelle était là en vertu des liens qui unissaient leurs aïeuls et bla, bla bla. Mais durant la cérémonie Clémence avait prononcé un nom et elle ne l’avait pas fait au hasard, un nom de la famille de Jehanne, le nom d’une personne qui n’était pas si éloignée d’elle : le nom de son père. L’avoir entendu lui avait donné l’étrange sensation de ne plus rien maîtriser car il est vrai quelle se posait en ces temps ou ses robes devenaient de jours en jours plus courtes des questions sur son géniteur. Mais elle commençait à se poser les questions et comptait trouver des réponses en temps et en heures, en temps et en heure quelle aurait décidé. Et non pas qu’on lui lance comme ça, sans préavis, que son père avait vécu ici, avait été assis dans cette église, avait traversé ce couloir et dormi sous ce toit. Alors c’est toujours les sourcils froncés quelle répond à Clémence, contrariété et fatigue ne font pas toujours bon ménage.

- « Je suis ici car nos familles ont été amies, nos familles se sont aidées, nos grands-parents ont combattu ensemble peut-être, enfin, nos familles sont proches et anciennes, se trouvent dans l’histoire du Royaume et dans les commérages des impies. Je suis ici pour honorer ses liens et entretenir une bonne entente avec vous pour faire perdurer nos histoires.

La voila, la réponse classique. La voila, la réponse bien étudiées son maître lui avait même sorti cette phrase au mot près au cas ou on lui poserait la question. Mais dans ce cas il n’était pas question de mots près. A moins quelle ne se trompe ? A moins que Clémence veuille juste l’entendre dire ceci, qui tient de la coutume, de vive voix ? Elle baisse la tête, offrant à la demoiselle de l’Epine la vue de sa masse de cheveux roux parés de la couronne Vicomtale. Oui, elle se trompe peut-être. Peut-être que sa colère contre Clémence est infondée et c’est même certain : elle est épuisée et ne demande qu’à dormir. Demain elle pourrait lui parler, demain elle serait plus aimable, demain elle aurait digéré le nom de son père avancé dans une cérémonie mortuaire. Aux mirettes vertes de se relever, le visage un peu plus détendu et de se rendre compte qu’il n’y aura pas de demain. Tout le corps de Clémence tendu vers elle attend une réponse, des mots, des maux et des mots précis.

- « Parceque mon père a vécu ici. »


Ces maux ?


_____________
* Humble emprunt à Victor Hugo, Notre-Dame de Paris
Clémence de l'Epine
Elle l’écouta. Sa voix sans hachure, son timbre presque monocorde, son ton assuré. Elle n’avait aucune idée du sens réel de ce qu’elle débitait, mais elle avait le mérite de le dire bien, de donner à ses mots cette tonalité presque dramatique qui de la part d’une aussi jeune demoiselle paraissait tellement pure et innocente. Sans tache et sans bavure aucune.

Et pourtant, Clémence voyait bien que quelque chose la dérangeait : ses sourcils qui se tordaient et qui donnaient à son visage une allure consternée –et consternante. Car non, elle ne voulait pas l’indisposer, elle ne voulait pas l’embarrasser, l’ennuyer ou la tourmenter. Des soucis, elle en aurait sûrement tant d’autres, certains dont elle ne pourrait même pas se défaire parce qu’elle n’aurait aucune emprise sur ceux là. Alors non, résolument non, il n’était pas question de la perturber quand cette enfant ne demandait encore qu’à rêver tout en ne s'empêchant pas de le faire. Car l’on pouvait vouloir rêver mais s’efforcer de demeurer dans la réalité, ou le faire sans s’en rendre compte.

Ses premiers mots, donc, la dépassaient et elle les prononca parce qu’elle les savait justes, parce qu’elle les avait entendus, parce que Clémence elle-même les lui avait écrits. Mais qui pourraient-ils ne pas dépasser ? L’amitié de leurs grands-pères ne pouvait être comprise que par eux seuls tout comme ce qui avait bien pu se dérouler sous leurs yeux, en leur temps, et qu’ils avaient vécu conjointement. C’était important, certes, parce que ce qui avait été lié ne devait pas être dénoué. Le temps est autant passé que présent et futur, et le passé, dans les plus grandes maisons comme dans les moins grandes, est toujours synonyme d’ancêtres dont on porte le sang et que l’on se doit d’honorer et de perpétuer la mémoire. Perpétuer la mémoire… en honorant les anciennes amitiés et en leur restant fidèle, au nom de ceux qui les avaient forgées.

Alors oui, tout était juste, dans ce que proclamait avec un brin de solennité la jeune Volpilhat. Mais ça n’était pas de ça, dont voulait parler Clémence.

Et puis, le menton se baissa puis se redressa, et le visage était alors transformé. La demoiselle de l’Epine parvint à déceler l’extrême lassitude de Jehanne-Elissa et elle regretta alors, brièvement, de l’avoir ainsi prise à part pour converser avec elle d’un sujet qu’il n’était peut être pas temps d’aborder. Et son cœur se serra, quand elle prononça ces quelques mots, les derniers, qui vinrent sceller sa réponse. Petite fille du Goupil, si fragile alors, que même le feu de ses cheveux ne parvint à réchauffer complètement ni à donner à son regard une lueur plus chaleureuse.

Louis… Son premier ami. Son frère, quand elle était plus petite et qu’elle n’avait pas encore conscience qu’elle avait déjà un frère et qu’il ne pouvait être remplacé. Mais un frère tout de même, oui, celui qu’elle n’avait pas réellement pu avoir. Celui qui l’avait aimée, qui l’avait vue grandir, ici à l’Epine, qui avait d’abord supporté ses questions stupides de gamine curieuse pour ensuite se retrouver face à une jeune fille plus pertinente, plus à même de l’écouter et de comprendre ce qu’il pouvait ressentir quand il se taisait si bien. Louis… Louis-Raphaël. Et penser à lui, cela lui faisait plus de mal qu’elle n’aurait pu d’abord l’imaginer. Pourquoi était-il plus difficile d’admettre l’absence plutôt que la mort ? L’absence, entendons là le silence, l’impossibilité de savoir si l’être cher se porte bien quelque part ou s’il souffre, seul et malheureux. Car Louis était absent, Louis était silencieux. Oh, il l’avait toujours été, il n’avait jamais beaucoup parlé, mais là… il ne répondait pas aux lettres, il était comme mort sans pour autant l’être, de façon officielle. Cela lui rappelait douloureusement son propre père. Et pour cela, donc, la compassion lui étreignait le cœur : pauvre petite enfant, qui grandissait sans père et qui n’avait plus de mère. Elle au moins avait-elle eu la chance de connaître la sienne et de pouvoir l’aimer pleinement pour ce qu’elle était, et non pour ce qu’on en disait.

Soit. Jehanne avait donc tout à fait compris, maintenant, que c’était non seulement pour les Volpilhat, qu’elle se trouvait ici à commémorer le souvenir d’une femme qu’elle n’avait pas connue, mais aussi pour… les Appérault. Enfin… Pour Louis-Raphaël. Et pour San Antonio. Ils étaient à vrai dire les deux seuls Appérault qu’elle eut vraiment connus. Et les deux seuls pour qui elle ait voué un réel intérêt. Et pourtant, ceux-là aussi étaient censés être des amis de la famille. Enfin, pour certains d’entre eux, parce qu’à mieux y réfléchir –était-il vraiment besoin d’y réfléchir, d’ailleurs ? La chose s’imposait d’elle-même tout compte fait- la famille d’Appérault était vraiment très, très élargie. Alors restreignons-les pour l’heure à Louis-Raphaël et San Antonio, respectivement le père et le grand-père de Jehanne-Elissa de Volpilhat.

Or, voilà. Clémence ne savait plus quoi dire. Elle hésitait. Elle aurait voulu tout révéler, tout avouer, parler de Louis, de ce qu’il était, et de Margot aussi, de leur mariage, de la « fuite » vers le Languedoc, de la tristesse de Louis alors qu’il se trouvait si loin de Champagne… Pour elle… Pour Marguerite… Pour les enfants qu’il comptait avoir avec elle. Mais ses idées, ses pensées se brisaient alors même qu’elles fleurissaient. Elle retenait les mots qu’elle aurait tant voulu que la petite Appérault entende. Parce qu’elle voyait bien, là, devant elle, qu’elle n’avait affaire qu’à une enfant. Une enfant qu’elle ne connaissait pas et dont elle ne connaissait pas les sentiments. Une enfant qui, d’un mot, pouvait imaginer quantité de choses. Une enfant qui par définition était fragile, influençable, crédule, et qui faisait confiance aux paroles des plus âgés.

Clémence ne savait pas ce qu’on lui avait dit de son père. Elle se souvenait juste de l’intervention glaciale de celle qui était la tutrice de la petite Vicomtesse, lors du bal royal, au Louvre. Et encore, son ton cinglant et sifflant avait rendu presque imperceptible la teneur de ses propos… mais de ce qu’elle en avait deviné, cela ne présageait rien de bon sur la vision que la Comtesse de Gévaudan avait du jeune d’Appérault. A son grand dam.

Une inspiration, un regard éperdu, et Clémence de l’Epine, petite fille du Lion comme Jehanne-Elissa de Volpilhat-d’Appérault était petite fille du Goupil, reprit contenance.


Jehanne-Elissa… J’ai connu votre mère, mais bien plus encore votre père, Louis-Raphaël d’Appérault. Je le connaissais même avant de rencontrer Marguerite et pour moi, vous êtes autant la fille de l’un que de l’autre.

Et voilà. Elle l’avait dit. Ses mots ne pouvaient prêter à une interprétation erronée : elle venait de révéler à la petite héritière qu’elle avait été très proche de son père et qu’à ses yeux, elle n’était pas uniquement une Volpilhat. Ce qu’on avait de toute évidence tendance à oublier. Et d’ailleurs, devant sa chevelure flamboyante, Clémence elle-même ne pensait-elle pas « Volpilhat » avant de se souvenir de « Appérault » ? Mais était-ce uniquement ça, le problème ? Une couleur capillaire ?

Oh, non… Malheureusement.
Jehanne Elissa
Tout ce quelle pouvait avoir comme attention en cette heure et dans les circonstances que l’on connaît était mobilisé. Elle fixait Clémence, ses petits yeux verts plissés, après quelle eut évoqué son père. La sentence tomba dans les attitudes qui prit alors celle-ci qui lui montrèrent quelle avait donné la bonne réponse. Sur le visage de l’héritière de l’Epine semblait s’esquisser le ravageur conflit intérieur quelle vivait, tantôt le visage prenait des traits doux et rêveurs, d’autres les yeux de la blonde se posaient sur elle pour la jauger ou peut-être y voir un autre, et la contrariété mêlée à cette peine qui semblait si forte. Ca la rassurait la petite Goupil de voir que son interlocutrice soit autant partagée quelle cela signifiait qu’elle avait donc compris que le sujet du « père » était difficilement et rarement abordé et qu’il allait devoir se trouver en ce jour abordable.

Le silence se met à peser entre les deux jeunes filles, lourd de souvenirs et de non-dits. Les souvenirs d’un temps passé pour la demoiselle de l’Epine, les souvenirs d’une enfance. Les souvenirs de questions et d’ignorance pour la Volpilhat, les souvenirs de paroles amères contre un homme. Les non-dits de Clémence, des non-dits pour des raisons qui lui étaient propres. Les non-dits de Jehanne Elissa avec lesquels elle avait grandi mais pas choisi, les non-dits qui lui pesaient des plus en plus. Mais toute vérité est-elle bonne à dire ou à entendre ? Clémence, à ses airs, se demandait surement s’il fallait parler. Jehanne Elissa, à ses traits tirés et ses muscles endoloris se demandait si elle avait la force de les entendre. Il est des instants comme ceux-ci, d’étranges tranches de vie ou on l’on sait ou ou l’on sent, au foin fond de soi-même, dans ses tripes et dans son cœur que l’on va vivre un moment marquant, annonciateur, émouvant ou destructeur. Et elle a donc peur la rouquine… Dans quelle catégorie les mots de Clémence allaient-ils se trouver ?


Jehanne-Elissa… J’ai connu votre mère, mais bien plus encore votre père, Louis-Raphaël d’Appérault. Je le connaissais même avant de rencontrer Marguerite et pour moi, vous êtes autant la fille de l’un que de l’autre.


Assurément, les paroles se classaient dans a catégorie marquante. Elle est autant la fille de sa mère que de son père.

Ce genre de phrase, effarante de réalité et de simplicité pour le trois quarts des mortels est complètement inconnue pour la jeune Volpilhat. Bien entendu elle a toujours su avoir un père elle sait bien qu’il faut un homme et une femme pour créer un être humain. Evidemment elle a toujours su son nom, Louis- Raphael d’Appérault. Mais cet homme dont elle n’avait vu ne serait-ce qu’une peinture avait été soigneusement évincé de son esprit et de manière plus générale de sa vie. Chaque fois qu’une personne s’était aventurée à parler de lui c’était en termes négatifs, cela se passe ainsi lorsque les personnes avec qui l’ont vit n’aiment pas un homme. Jamais elle n’avait entendu l’autre son de cloche et donc dans son esprit son père restait une image nébuleuse et tortueuse. Oh elle en avait entendu sur lui, oui. Il avait tué sa mère. Attention, non pas littéralement lui avait-on dit mais il l’avait tuée en lui enlevant ce quelle avait de plus précieux, la hérauderie, le Vaunage, un peu de Languedoc, l’Eglise… Toutes ces petites choses qui font pour un être que la vie mérite d’être vécue, toutes ces petites choses qui vous donnent le sourire et vous guident car on ne vit pas, apparemment, que sa vie à travers l’Autre. Et son père avait fait ces horreurs à sa mère. Et à chaque fois son petit cœur se serrait, c’était comme si on lui enlevait le secrétariat et encore pire, encore encore pire : le Vaunage.

Et pourtant les terres de Cauvisson qui avaient été parties intégrante de la dot de sa mère avaient été données à Louis-Rapahel. Et pourtant, il y avait renoncé pour elle. Cœur qui se serre à nouveau tandis que ses dents du bonheur viennent s’attaquer à sa lèvre inférieure. Il n’était donc pas si méchant. Il n’était donc pas si méchant ? De nature la petite Vicomtesse n’aime pas les visions manichéennes du monde : les méchants et les gentils. En chaque méchant doit forcément se cacher un gentil. Or il y a une différence entre ses certitudes profondes et ce qu’en fait la vie, il y a toujours une exception pour confirmer la règle. Son père était l’exception à sa propre règle. Elle avait été éduquée en entendant sans cesse, sans répit, des paroles négatives de son père et naturellement il avait été diabolisé dans son esprit enfantin. Or un jour sa règle était venue tout perturber en réalisant que son père avait renoncé à Cauvisson pour elle : il n’enfreignait pas la règle, il n’était pas que méchant. Il était gentil. C’est à partir de ce moment là que cette image paternelle sur laquelle elle ne peut dessiner un visage ni une attitude était venue la hanter, la perturber. Mais toujours en secret ; comment dire à sa tante Pol qui pour la première fois devant elle l’avait insulté quelle pensait que son père était peut-être gentil ? Comment demander à tante Pol, alors que celle-ci souffrait toujours lorsqu’on mentionnait le nom d’Appérault, de donner les bons côtés de l’homme qui avait tué son Ame-Mie ? Malgré les temps difficiles que la tutrice et la pupille traversaient, elle l'aimait trop pour lui demander ça.


Sa petite tête rousse vient faire de légers mouvement de négation alors quelle semble revenir à la réalité. Boucles rousses qui volettent autour de ses joues rondes d'enfant comme un rappel de son âge, elle qui ces temps-ci se trouve face à des réflexions ô combien sérieuses. Les bruits, les pas, les regards, Clémence. Son regard se pose sur elle alors qu’en son sein règne la plus grande confusion. Que lui dire ? Merci, vous êtes la première à me le dire ? Merci, vous venez surement de gâcher mes nuits de sommeil pour les mois à venir ? Merci, vous êtes le contre-pouvoir au monde dans lequel j’ai été éduqué ?


- « Avez-vous un portrait de lui ? »

Ou alors, laisser parler son cœur et arrêter de se poser des questions ?
Clémence de l'Epine
Ou comment le temps peut sembler long, quand l’on a face à soi une petite tête rousse à la moue contrariante, aux traits fatigués, aux yeux plein de contradictions.

Elle se tait, elle ne dit mot pendant un moment. Elle semble réfléchir, elle semble s’éloigner, on dirait presque que jamais elle ne reviendra tant elle va loin, tant elle s’engage dans des méandres au sein desquels elle ne trouvera plus le chemin du retour. Et Clémence de l’observer : ces prunelles émeraudes qui n’en ont pas vu assez, alors que ces oreilles en entendent désormais peut être trop. Ce front qui se plisse, ces lèvres qui se froncent, incertaines, qui font de cette petite fille –si petite, si fragile, une icône vivante de l’indécision, de la perplexité, du conflit intérieur. Tout cela à la fois.

Mais que sait donc cette enfant ? Et que ne sait-elle pas également ? Comment peut-on passer par tant de sentiments alors qu’une autre lui mentionne son père, par tant de sentiments excepté celui que tout le monde attendrait : l’enthousiasme d’en savoir plus, l’extase de se trouver dans un lieu que ce père avait connu, où il avait vécu…

Interdite, la blonde demoiselle attend. Elle attend une expression de joie, de bonheur, qui pourtant ne viendra pas maintenant. Elle le sait.


Je te parle de ton père, jeune fille. De celui qui, de ce que j’en sais, ne s’est plus montré depuis la mort de ta mère, son épouse. De celui qui, de ce que j’en ai appris, n’a jamais honoré ses devoirs paternels. Mais c’est grâce à lui, que tu vis. Et pour cela, déjà, tu devrais l’aimer avant de le haïr.

Croyait-elle sincèrement à ce qu’elle pensait ? Ne défendait-elle pas Louis juste parce qu’il était Louis ? Mais il n’était plus Louis. Il était le père de Jehanne-Elissa que l’on nommait Volpilhat, et cela aurait dû le faire frémir, non ? Evincé, voilà ce qu’il était. Son nom était ignoré, comme s’il n’avait jamais existé, comme si Marguerite de Volpilhat avait toute seule permis la naissance de Jehanne-Elissa. Mais au fond… n’avait-il pas cherché tout cela ? N’avait-il pas voulu qu’on en oublie son nom ? Ce mariage s’était voulu profitable pour les familles Volpilhat et Appérault. Mais l’avait-il vraiment été ? Marguerite en avait été malheureuse, Louis avait subi cet accablement et finalement, pour leur lignée, il l’avait suivie en Languedoc. Et puis, le petit Jacques était mort. Jacques d’Appérault, on l’avait appelé. Et bien comme un signe, Jacques d’Appérault n’avait pas survécu et c’était Jehanne-Elissa de Volpilhat qui se tenait devant Clémence aujourd’hui.

Louis… en laissant ta fille tu as fait un choix réellement discutable. Mais parce que je t’aime, jamais je ne permettrai que l’on salisse ton nom et ta mémoire.

Et la petite rousse de lui demander, enfin, si… elle avait un portrait de lui. Ça n’était pas ce à quoi aurait pu s’attendre Clémence de l’Epine. Mais c’était plutôt encourageant. Cela signifiait qu’elle avait envie de le connaître plus. Soulagée, elle eut un petit sourire satisfait.

Un portrait, donc… sans doute. Louis-Raphaël n’avait pu vivre ici pendant tant d’années sans que l’on ne l’intègre pas complètement à la vie familiale du domaine. Des portraits, il y en avait eu. Clémence se souvenait d’avoir maintes fois tenu la pose près de sa mère, entre autres, attendant que l’on daigne lui signaler que oui, elle pouvait se sauver. Mais de Louis… S’il y avait un portrait ici, elle ne savait pas vraiment où.


Je chercherai pour vous, damoiselle de Volpilhat. Et s’il le faut, j’irai jusqu’à Meaux. Je vous ferais parvenir un portrait, qui vous permettra de mettre sur un nom un visage.

Meaux… San Antonio n’y était pas, elle le savait en pèlerinage, le Très-Haut seul savait où exactement. Mais elle y était restée un certain temps, la dernière fois, et nul doute que quelqu’un pourrait lui indiquer là bas un portrait de famille.

Il avait le visage doux. Continua-t-elle d’une voix lointaine, sans se départir de ce sourire sibyllin qui délicatement, venait lui creuser cette fossette au creux de la joue droite –souvenir d’un temps où les rires étaient monnaie courante à l’Epine.

Mais elle ne souhaitait pas en dire trop. Ses boucles d’ambre vinrent danser sur ses épaules graciles lorsqu’elle secoua légèrement la tête et qu’elle reporta le regard sur la petite Vicomtesse. Elle voulait savoir, elle aussi. Elle voulait connaître ce que Jehanne connaissait de son père. Ses mots, ensuite, auraient plus de sens et viendraient soit appuyer, soit réfuter ce que la jeune Goupil savait de Louis.


Racontez-moi un peu ce que vous connaissez de votre père. Ce qu’on vous en a dit. Ce que vous-même avez réussi à apprendre. Et dites-moi aussi, s’il vous plaît, si cela ne vous cause pas excessivement de tourments, ce que vous pensez de lui.

Et le cœur battant, elle s’apprêta à entendre l’enfant. Peut-être qu’ainsi, Clémence en saurait elle-même davantage, sur ce qui avait bien pu arriver à Louis pour qu’il soit si absent. Comme s’il était mort, comme s’il n’avait jamais existé…
Jehanne Elissa
Pourquoi avoir demandé un portrait ? Pourquoi avoir demandé une image faussée par la prétention d’un peintre qui veut que son œuvre soit appréciée, une image améliorant forcément les traits du sujet pour que son égo soit flatté, une image destinée à la postérité qui doit donc être forcément allégorique ? Car dans son innocence elle ne voir tien de cette réalité flouée comme elle ne voit rien de son père ; et le problème est bien là, elle veut savoir, décrire, chercher, apprécier ou détester, voir. A cet âge l’on se fonde plus sur le physique agréable ou non d’un être que ce qu’il est vraiment. Attention n’entendez pas là sa beauté, ou ses formes et sa silhouette cohérentes avec les canons de beauté de son temps, no, juste les airs et attitudes affables, avenantes et nobles. Oui nobles car son père l’est forcément, son père est son lien avec cette autre Couronne, cette couronne « française ». Son père fait d’elle une sorte de nièce alambiquée de Sa Majesté Levan, son père fait partie d’une des familles françaises qui avant de sombrer dans la déchéance et le ridicule à reconnaître tout être comme partageant son sang, avait sa place, et quelle place dans l’Histoire. Alors pour en juger, elle veut voir, simplement.

Je chercherai pour vous, damoiselle de Volpilhat. Et s’il le faut, j’irai jusqu’à Meaux. Je vous ferais parvenir un portrait, qui vous permettra de mettre sur un nom un visage.

Elle peut aller le chercher… Elle peut en trouver une ! Regarder ce tableau de loin puis de près, toujours essayer de garder un recul quelle sait impossible car rien que d’y penser son cœur se met à cogner fort, si fort contre sa poitrine. Elle voudrait peut-être leur trouver des traits communs même si tous voient en elle le fantôme de sa mère tellement les ressemblances son frappantes. Dans le port peut-être ? Ou le nez ? Non, elle ne semble être, aux dires, que sa mère. Alors ce portrait permettra t-il de trouver des liens ? Si ces liens étaient plus spirituels, plus caractériels ? Si ces liens étaient les faces sombres qu’on lui a conté de son père ? Si ses péchés n’étaient que soufflés par le fantôme de cet homme ? Allons, allons. Tu l’a pensé avant, tu t’en ai rendue compte petite Goupil : il est l’exception à ta règle.

Il avait le visage doux.


Un visage doux ? Nouvelle attaque à la lèvre inférieure. La blonde et la rousse font à cet instant une magnifique contradiction : l’une a les traits doux de la rêverie et l’autre les tics de la nervosité. L’exception vient encore s mettre en exergue dans l’esprit de l’image de nervosité : s’il avait le visage doux il ne pouvait donc pas être cet homme méchant décrit pas Tante Pol. Un homme aux traits équilibrés et fins ne peut réellement pas être mauvais, le visage n’est que l’expression de notre caractère et vie intérieur. Ou alors était-ce une comédie ? peut-être que sous des traits harmonieux se cachait un être cupide et sans cœur, peut-être n’était-ce que le masque social d’un homme dans les alcôves de l’intimité bien différent ? Ah le jeu des masques. Tu l’abordes pour la première fois petite et pourtant dieu sait qu’il te causera certainement des problèmes lors de ta vie, s’il la veut longue. Le masque, cette excuse sociale. Le masque, cet artifice souvent reluisant et attirant qui cache de biens sombres desseins. Le masque, cet autre artefact à la réalité. D’un mouvement presque imperceptible elle secoue la tête. Non non non ! Tu l’as dit, tu le sais, il n’échappe pas à ta vision du monde, ne te laisse pas avoir par des paroles racontées… mais des paroles prononcées par Tante Pol ! Tante Pol si aimante, tante Pol qui ne veut que ton bien, tante Pol qui ne t’as jamais caché la vérité, tante Pol qui répond à tes questions…

Racontez-moi un peu ce que vous connaissez de votre père. Ce qu’on vous en a dit. Ce que vous-même avez réussi à apprendre. Et dites-moi aussi, s’il vous plaît, si cela ne vous cause pas excessivement de tourments, ce que vous pensez de lui.

Les mirettes vertes se lèvent alors peureuses vers Clémence. Oui elle est effrayée. Effrayée de parler de ce sujet qui jusqu’à cet instant n’avait eu que pour seul interlocuteurs les opposés cœur et raison. Certes sa tutrice lui en avait parlé. Mais sa tutrice était sa famille. En parler à Clémence serait en parler à quelqu’un d’extérieur, ce serait révéler ce combat et ces interrogations qui la tiraillent. Ca serait comme avouer quelle ne croit pas les paroles de Tante Pol et ça, ça, c’est difficile pour une enfant. Dire à voix haute quelle ne sait plus est l’affirmation de ses doutes et l’annonce de ses recherches. En est-il réellement temps ? Le regard passe par-dessus son épaule pour voir sa compagnie, Catalina et Eilinn qui l’attendent plus loin. Le couloir s’est vidé. Personne n’entendra ? A nouveau le visage de Clémence lui fait face. Son attitude est étrange… Elle devait réellement avoir apprécié son père il devait tenir une place importante dans sa vie pour qu’il ne soit pas de son sang et qu’il occupe tant son esprit. Peut-être même que Clémence se montrait pressante. Peut-être même que ça dérangeait la Vicomtesse miniature. Mais il est évident que seule Clémence serait en mesure de lui fournir les réponses attendues.

- « Je n’ai parlé de mon père qu’avec ma tutrice, la Comtesse du Gévaudan. Elle ne le porte pas dans son cœur. Elle a dit que…


Etait-ce bon de dire des choses négatives face à une personne qui a aimé le sujet de ces critiques ? Pouvait-elle dire à Clémence l’intégralité des propos tenus par Tante Pol ? Cela la fâcherait, sans la connaître avec elle et pire encore cela pourrait blesser la demoiselle de L’Epine. Elle vient d’enterrer sa mère… Se dit la petite Volpilhat. Elle n’a pas besoin d’entendre tout ce que ton cœur à envie de crier, d’hurler, de cracher.

- « Elle a dit que mon père était la cause de la mort de ma mère. Non pas en meurtrier, non. Mais elle a quitté le Languedoc, la hérauderie et sa dot était composée des terres de Cauvisson qui étaient si chères à son cœur. Je n’ai jamais jusqu’à ce jour du bien de mon père. Quant à ce que je pense de lui… Etant longtemps absent de mon imaginaire familial et présent depuis quelques temps avec les traits d’un homme qui a rendu ma mère malheureuse, je ne l’ai pas aimé.

Oh comme la phrase doit être dure pour Clémence ! Oh comme ses mots doivent être tranchants. Mais étrangement ça ne la dérange pas. La peur s’est distillée pour laisser une part éphémère de défi dans son regard. Oui je ne l’ai pas aimé. Oui et c’est normal, osez me contredire de ne pas l’aimer en ayant entendu ceci ! Osez diminuer la gravité de la mort d’une mère à cause de son père. Et osez mettre en face à face les images d’un homme décrié par les proches et celle d’une femme idolâtrée. C’est normal. Regard qui donne une légitimité à ses propos, pour les rendre ineffaçables, pour ne pas oublier quelle l’a haï. Mais ce défi qui se lit, cette révolte qui hurle en elle s’en va. Il n’est pas dan sa nature de se révolter, de défier, elle veut juste parler franchement et sa franchise, son caractère entier et plein laisse revenir un peu de doute et de peur d’un jugement. Sensations qui viennent envahir son corps avec un regard qui se fait craintif et un visage à l’expression tellement indéterminable qu’il ne peut-être que la production de foule d’émotions inconnues et contradictoires.

- « Il y a peu, j’ai pensé à ce père. Vous savez Clémence pour moi les méchants peuvent gentils et les gentils méchants. Mon père ne pouvait donc pas être uniquement méchant. La preuve est qu’il m’a légué Cauvisson. Alors je ne sais plus… Votre discours en hommage à votre mère m’a frappée, la réalité est venue pêcher mes pensées secrètes envers ce père. Vous m’avez déstabilisée et me déstabilisez encore. Et je veux savoir. Sans envisager de l’aimer car cette image mauvaise est bien trop ancrée en moi, mais je veux connaître.


Elle s’arrête.

- « Mais je ne sais pas si je suis prête à connaître maintenant. »

Les mains de la petit Goupil avancent et s’approchent de celles de Clémence de L’Epine. Elle veut serrer les mains de la blonde dans les siennes pour la supplier, l’implorer de ne pas trop en dire desuite. L’implorer car elle ne veut pas ici, pas là, pas fatiguée, pas malmenée par les faits imprévisibles, elle veut diriger la discussion, elle veut s’y être préparée. Les petits doigts de la rousse effleurent ceux de la blonde et se reculent, mains qui reviennent dans son giron. Peux-tu comprendre, Demoiselle de l’Epine ?
Clémence de l'Epine
Elle avait supposé tout cela, elle avait imaginé le pire, alors que, rentrant du bal, elle s’était remémorée la rencontre avec Catalina de Volpilhat, la présentation de Jehanne-Elissa, et l’intervention cinglante de la Comtesse de Gévaudan. Elle s’était, l’âme morose, la mine défaite, endormie avec l’idée que Louis, en Languedoc, était détesté, haï, traîné dans la fange, que son nom était méprisé, souillé par ce que l’on en pensait. Son imagination était fertile –bien que la plupart du temps sciemment modérée. Elle pouvait d’une phrase, d’un geste, d’un regard, d’une note de musique, d’un éclat de couleur sur une toile blanche, en tirer un conte, un Jeu –mystère ou chantefable, ou une fresque extravagante. Et donc, ensommeillée, elle avait à son tour maudit tous ceux qui pourraient bien médire de Louis-Raphaël d’Appérault –non sans une prière d’excuse à l’attention du Très-Haut.

Mais de se l’entendre dire, de s’entendre confirmer ce que l’on ne faisait qu’imaginer tout en espérant avoir tort… ça n’avait strictement rien d’amusant.

Le visage de Clémence se durcit et une nouvelle fois, elle se prit à pester contre cette femme qui se permettait de calomnier un père face à son enfant. Qui avait besoin d’entendre ça ? Ne pouvait-elle pas retenir ses rancœurs, ne pouvait-elle pas éviter de ternir l’image d’un père absent qui n’avait pas besoin d'être plus entaché dans sa réputation ? Jehanne-Elissa aurait bien pu se faire elle-même une idée, elle aurait pu le détester d’elle-même, elle aurait pu le pleurer, pour des raisons qui lui appartenaient, pour sa négligence par exemple, pour le fait qu’il ne soit pas là. Nul besoin d’ajouter à cette défaillance cette vague de haine et de médisance infondée qu’une enfant ne pouvait que croire, sans avoir encore la force et l’envie de se faire son propre jugement.


Brûle donc dans l’enfer que tu as créé pour Louis, indigne tutrice…

Rarement, elle avait ressenti autant d’animosité contre quelqu’un. Un seul était parvenu à la gonfler de haine, jusqu’à ce qu’elle en implose, jusqu’à ce que ce fiel la conduise jusqu’aux portes de la folie. Il n’était pas question que cela la reprenne, et puis, les circonstances n’étaient pas les mêmes. Ici, ça n’était pas elle qu’on humiliait : c’était celui qui, dans un élan incontrôlé, lui avait offert sa première étreinte masculine –geste d’affection autant que de désespoir, à mieux y réfléchir, d’un homme isolé loin de ses campagnes de Brie. C’était Louis, l’adolescent, l’homme, l’ami, le frère… Alors si ça n’était pas son honneur à elle, que l'on souillait, l’affront n’en restait pas moins cuisant, quand l’on avait de tels sentiments pour celui qui s’en trouvait meurtri.

Une colère froide lui battait les tempes, à mesure que la petite s’exprimait, à mesure qu’elle comprenait combien celle-ci avait dû être influencée, combien son jugement devait être faussé… Mais qui, à part elle, à part le Vicomte de Meaux, pouvait désormais lui parler de Louis dans d’autres termes que ceux qu’on lui a déjà rabâchés depuis des années ? Ses paupières, un bref instant, se fermèrent, alors que ses doigts, froids à en être translucides, se serraient de manière convulsive dans son giron.


Aristote viens moi en aide, parce que si tu ne le fais pas, je vais secouer cette enfant par les épaules et lui hurler mon amour pour son père, je vais lui crier à quel point il était bon, à quel point il était généreux, droit, intègre, et que s’il existe des méchants, Louis n’en faisait pas partie. Et qu’on arrête de parler et de penser à lui au passé ! Sa mort a-t-elle jamais été annoncée ?

Le regard bleu, transperçant, presque assassin, vient se figer dans celui de la jeune Goupil. Sait-elle au moins que…

Oh non… Ne lui a-t-on pas dit que son père vivait, quelque part ? Pense-t-elle que son absence est légitime alors même qu’il ne vivrait plus ? Car si Louis-Raphaël d’Appérault était mort, ne l’aurait-elle pas su avant tant d’autres ? La colère s’évapore peu à peu pour laisser place à l’incrédulité. Encore une chose qu’elle se ferait un plaisir de lui susurrer au creux de l’oreille : Jeune fille, votre père n’est pas mort, le savez-vous ? Il vit, et cela rend son crime de ne point vous rendre visite encore plus grand mais… il vit !

Et alors qu’elle ne le veut pas, alors qu’elle souhaite simplement se taire et tourner les talons parce que cette enfant a décidément trop souffert pour qu’on lui inflige un choc supplémentaire, parce qu’elle vient explicitement de lui signaler que le moment était trop tôt pour en apprendre plus… elle affiche une moue méprisante et, étreignant à son tour les petites mains de ses doigts glacés, elle les libère pour lui dire, dans un murmure accusateur.


La Comtesse de Gévaudan affirme que votre père aurait tué votre mère… posez-vous donc la question : n’est-elle pas elle-même en train de le tuer dans votre mémoire ?

Et elle détourne la tête alors que son regard se voile. Elle se tait, pour ne pas que sa voix se brise, pour ne pas blesser Jehanne davantage, alors que sans doute, ses derniers mots ont eu l’effet d’une chute brutale du haut d’un clocher de cathédrale.

Vous ne voulez pour l'heure en savoir plus sur lui… Soit. Complaisez-vous dans votre ignorance et continuez à écouter les rares personnes qui vous parleront de votre père. Tout en sachant qu’elles ne vous en diront rien de bien.

Son visage revient vers la demoiselle et, toute à son indignation, de ce qu’elle vient d’entendre, elle ne se rend pas compte que son attitude peut bouleverser la petite Volpilhat. Et pourtant, ça n’est pas à elle, que Clémence en veut, mais bien à cette femme qui croit tout connaître de Louis alors qu’il n’en est rien. De cette femme qui fait naître chez une enfant, si ce n’est la haine, l’absence d’amour pour son père. Clémence déteste son père, Albert de l’Epine, pour l’inintérêt manifeste qu’il lui voue. Mais elle l’aime et le respecte pour l’homme qu’il est. Ce qui n’est vraisemblablement pas le cas de Jehanne.

Quand le besoin vous prendra d’en savoir davantage, quand vous vous sentirez prête… Souvenez-vous de moi.

Elle prit une dernière inspiration et conclut, dans un souffle.

Car je peux, moi, vous apprendre beaucoup de vérités.

Tout en sachant que cela impliquait des mensonges de la part de l’autre partie. Mais qu’importait, maintenant : elle en avait déjà beaucoup dit, beaucoup fait, pour que Jehanne-Elissa comprenne que Louis n’était pas un « méchant » aux yeux de tous.

Allez vous reposer, maintenant. Vous avez eu une longue journée… et l’on vous attend.

Un dernier sourire, un sourire de compassion, peut-être même d’affection, envers cette enfant qui en sait tellement mais en même temps si peu. Un sourire d’excuse, pour les mots en trop qu’il y aurait eu, un sourire sincère, un vrai, pour la fille de Marguerite de Volpilhat...

...et de Louis-Raphaël d’Appérault.
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