[Interlude : du vieillissement soudain du vicomte]
Il avait été en quelques mois à peine rattrapé par le temps. La perte de son épouse, bien qu'il ait vécu séparé pendant de longues années. Presque depuis la naissance de Louis. Il y avait eut aussi le sentiment de trahison, d'abandon, occasionné par la distance marquée par sa propre fille, chair de sa chair, comme si elle avait voulut renier son propre sang. Cette trahison, il l'avait aussi ressenti. Venue de son propre frère, le dernier, qui avait sacrifié pour son intérêt personnel la cause léonide et ses liens de famille. Venue de celui qui se disait fils de Caedes, qui en avait pourtant renié tous les idéaux pour son intérêt aussi. Il y en avait tant qui changeaient.
Il y avait eut ensuite ces évenements, la prise, par la force -du moins, en théorie, la garde ayant été levée- du château de Reims, devenu château royal, et siège du conseil des gouverneurs. Conseil composé à l'époque de gens tout autant avides de titres que les autres, mais qui en plus se permettaient de parler de se rebeller contre le Duc légitime. Il avait fait partie de ceux qui avaient agit pour les faire comparaître à Paris, devant les institutions du Roi. Mais les pairs n'avaient pas tenu à bouger. Condamner un traître, voilà qui était trop difficile. Et dans ce cas là, comme il n'y avait pas de traître, alors les vassaux auraient dut être poursuivit à leur tour. Mais même celà ils en étaient incapables, tous trop occupé à chauffer leur place et accroître leur nombre de titres.
Il y avait eut aussi la hérauderie et le comportement népotique du roi d'armes, ainsi que l'absence de réaction de tous les hérauts. Approuvaient-ils le roi d'armes ? Ou bien était-ce simplement par peur d'être viré ? Complicité active ou passive ? Approbation totale ou juste se tenir à l'écart ?
Il y avait eut l'Hospital, qui était passé d'un ordre chevaleresque à un ordre mort, avant de devenir un ordre de népotisme, où la chevalerie n'existait plus, et où les amis du grand maître pouvaient espérer des titres très facilement.
Il y avait eut aussi Ricoh, qui avait épousé l'autre bouseuse. Elle avait reçut des titres, elle en était ravie, mais elle n'avait pas de valeur noble. Comme bien d'autres, cela dit.
Et puis, il y avait eut la disparition subite de Sevria. Le plus cruel, sans doute, car cela n'affectait pas son engagement public, mais sa propre personne, sa maison.
Ces évenements mis bout à bout avaient fait vieillir prématurément le chevalier. Il en avait l'âge, mais il avait longtemps sut aller au delà. A présent, cela n'était plus possible, et il se sentait glisser petit à petit vers sa propre tombe, ce qui en réjouirait tellement de part le royaume. Mais au moins, là où il irait, après, il retrouverait ses glorieux aînés. Suzanne. Caedes. Elissa. Sevria...
[Retour au monde réel]
Il était arrivé en face de la demoiselle son invitée. Et quand il eut finit de parler, elle avait répondu. Saluer son hôte, des remerciements. Cela faisait partie du protocole, étape obligée avant de passer à autre chose. Mais, il n'aurait sut dire quoi, mais la présence de la demoiselle était rafraîchissante, comme si elle avait comblé, simplement en arrivant, un vide. Devenait-il sentimental ? L'âge avait-il donc aussi un impact sur sa façon de penser, d'être, et de faire ? Peut-être pas, non. Juste qu'il manquait à l'hôtel un peu de famille, les cris des enfants, un peu de vie, quoi. Pas l'ermitage d'un vieux chevalier qui attendait sa fin.
Ensuite, quelques nouvelles de ses glorieux parents. Matthilde qui restait cloîtrée ? C'était là bien mauvaise nouvelle. Il pourrait tenter d'aller la voir, un jour. Cela lui ferait sans doute plaisir. Enfin, s'il avait la force d'aller jusque là et si elle en avait assez pour le recevoir. Non, décidément, il ne faisait pas bon vieillir.
Et puis, elle présenta ses condoléances. Il était encore temps, les bannières restaient encore en berne, signe que le deuil n'était pas terminé. Il se convainquait qu'il faisait le deuil de son épouse, il fallait s'en convaincre, mais il avait plus le sentiment de pleurer la perte de sa concubine. Et rien n'y changeait. Mais, il n'avait pas convié la demoiselle à venir pour qu'il puisse, en la regardant, explorer ce qu'il ressentait au fond de lui. Alors, il répondit, d'une voix grave, de celle qui a beaucoup été utilisée, la voix d'un homme fatigué, las des absurdités du monde dans lequel il vit.
- Ne me remerciez pas pour mon invitation, ce n'était que naturel, vous vouliez me voir et me parler de mon fils, mon propre sang, et mon successeur. J'aurais préféré venir vous voir moi même, mais voyez-vous, je ne supporte plus guère les voyages dès lors qu'ils durent un peu.
J'aimerais vous confier un message pour vos parents. Votre mère, surtout, pour qui j'ai depuis longtemps une amitié sincère, même si nous ne nous voyons plus guère depuis des années, les aléas de la vie nous ayant séparé. Lorsque vous la verrez, si vous aviez l'occasion de lui dire combien je pense à elle, et que j'espère qu'elle se porte au mieux, ce serait pour moi un ravissement.
Ma demeure est bien triste, depuis longtemps maintenant. Mais, je ne puis la quitter, et je puis compter sur des serviteurs loyaux. Le domaine reste en deuil, je n'arrive pas à le lever. Mon épouse fut rappelée à Lui par le Très-Haut -je ne peux imaginer autre sort pour elle- avant que ma maison ne subisse fortement la bétise, la malhonneteté, la trahison de ces pourceaux artésiens. Deux de mes gens y sont morts. Et pour quoi ? Parce qu'une incapable a trouvé amusant de venir spolier le roi, son suzerain, d'une partie de ses terres ?
Mais je ne voudrais point vous alourdir le coeur et l'esprit par mes pensées de vieillard. Vous disiez dans votre lettre, lettre qui fut un peu un évenement ici. Vous n'imaginez pas comme tous ceux à qui vous tendez la main un jour savent oublier de la rendre. La plupart sont trop occupés, à Paris ou à Reims, ou même ailleurs, à tenter d'acquérir, via des moyens que je rejette, de part mon éducation, titres et fortune. Noblesse ? Non, ce n'est pas de la noblesse que de se comporter ainsi. La noblesse doit rester près de ses gens, pour les protéger, en échange des banalités, et des impôts.
Vous veniez donc me parler de Louis. Cela fait longtemps que je n'ai plus de nouvelles, et j'avoue ne pas prendre le temps d'en demander. J'ai été attristé de le voir quitter Melun, sa terre, où il gérait le domaine pour moi, pour vivre à Cauvisson. Il avait ses raisons, et je ne saurais lui en tenir rigueur. Après tout, il avait des terres à gérer lui aussi. Mais cela l'a éloigné, ainsi que ma bru. Mais, il est majeur, il est marié, c'est un seigneur, un grand. Il a ses obligations envers ses suzerains, envers son épouse, envers l'Eglise. Mais envers moi en tant que père, il est émancipé. Et il devait donc partir. Mais enfin.
Vous disiez avoir des nouvelles, peut-être avez vous reçu une lettre de lui ? A moins que vous n'ayez voyagé jusqu'en terre occitane. Vous l'avez connu aussi, sans doute. Il a résidé à l'Epine plusieurs années et je n'ai pas souvenir que vos parents vous aient placée ailleurs pour votre éducation. Alors donc, quelles nouvelles pouvez-vous apporter à un père de son fils ?
Il avait parlé. Beaucoup. Pas vraiment de façon claire, et ordonnée. Il avait été dominé par les moults pensées qui envahissaient en permanence son esprit. Ce n'était certes pas un exemple à montrer, mais de cela il ne s'en rendait pas compte, emporté par sa fougue d'orateur. Alors il finit quand même par se taire et, tout en invitant de la main libre, Clémence à se mettre en marche, juste histoire de ne pas rester plantés debout au milieu du jardin, mais de marcher un peu, en faire le tour, il étira un peu ses lèvres. Une personne normale aurait juste sourit. Il devait, lui, s'efforcer de ne pas paraître trop ours, même si ce sourire était un peu forcé. Enfin, si l'on pouvait parler d'un sourire...