Il avait libéré ce qu'il ressentait au plus profond de lui, et qu'il gardait bien protégé. Souvent, il en parlait, un peu, mais jamais de façon aussi libérée. Et il avait eut ce geste, poussé par un besoin, comme si Caedes en personne le lui avait demandé, depuis le Soleil. Il était trop troublé par le cheminenement de ses pensées qu'il ne remarqua pas les réactions de la demoiselle, ses hésitations, comme si elle voulait fuir. Il y avait de quoi, cela dit, sans doute. Et puis, elle prit la parole, enfin. Il ne comprenait pas, disait-elle. Et tant d'autre chose. Et elle n'avait pas tord, et il partageait son avis. Non, elle ne serait pas Caedes réincarné. Oui, d'autres personnes paraissaient légitimes pour ce présent. Oui, son sang ne faisait pas d'elle une personne de valeur, car encore fallait-il les montrer soit et ne pas se baser que sur son ascendance. Avait-il eut tord ? Elle semblait le penser, même si elle appréciait le geste. Bientôt il sentit la croix quitter sa main, à peine avait-il sentit qu'elle s'en saisissait, avec moult délicatesse. Il n'avait même pas senti la main qui la saisissait. Elle semblait émue, il y avait de quoi. Avait-il été trop loin ? Non pas, il pensait. Non : il savait. Il savait que ce choix était juste. Pourquoi ? Il n'aurait sut le dire, par intuition. Quelque chose au fond de lui le lui disait, le lui criait avec force, il ne pouvait ignorer cela. Mais elle refusait l'offre, elle refusait ce que cela signifiait. Il ne savait que faire, à part la convaincre d'accepter. Après tout, il ne pourrait la forcer à agir contre ses pensées à elle, mais il pouvait lui expliquer ses raisons.
- Je ne vous demande pas de le remplacer. Il est unique, et Il le restera. Par sa mort il est devenu éternel. Je prétend défendre ses idéaux, défendre sa mémoire, défendre son oeuvre, au contraire de beaucoup. J'ose penser, même si cela peut paraître orgueil, que je suis l'héritier de son oeuvre et qu'il m'appartient de veiller sur elle, dussé-je y verser mon sang. Mais jamais je ne prétendrai être Lui. Votre oncle n'a pas hésité, lui, à se prétendre le nouveau Lion, à se prétendre Son égal. Jamais je n'aurai cet orgueuil, et je ne vous demande pas de faire cela. Il était Caedes, vous êtes Clémence. Vous portez son sang, mais chaque être humain doit rester ce qu'il est. Cette croix que vous tenez à présent, elle représente une idée. L'objet en lui même n'a que peu de valeur comparé au symbole qu'il porte. Je l'ai en moi, il me nourrit de l'intérieur. Il guide mes actes. Oh je ne prétend pas être parfait, non. Et je me trompe, comme tout homme. Regardez les anciens proches du Lion, quoi que vous ne les connaissez pas. Regardez la place qu'ils ont put se faire après la Fronde. Tous ont reçut titres, privilèges, distinction et honneurs. En échange de quoi ? Rien. Ils ont été corrompus par ce que Caedes combattait.
Votre mère, avec toute l'affection que je lui porte, est comme moi : elle fait partie du passé. Votre oncle, le Lionceau, Alessandro, je l'ai croisé quelques rares fois dans les couloirs de Reims. Je ne sais pourquoi mais je l'ai trouvé arrogant, comme si son nom suffisait à lui autoriser de dénigrer tout le monde. Je l'ai plusieurs fois convié, pour diverses festivités, ici ou à Melun, jamais il n'a daigné répondre. Je ne sais ce qu'il est, mais il semble bien loin des valeurs de son père. Je ne veux pas le juger trop vite non plus, mais parfois le lien de sang ne fait pas tout. Vous n'êtes pas digne de recevoir l'héritage du Lion ? Je ne chercherai pas à vous contredire. Puis-je vous donner cet héritage ? Non pas. Les choses matérielles sont tenues du Roi de France à présent, et de serviles laquais s'amusent à détruire les idéaux à leur seul profit. Si vous passez à Reims, vous les verrez, tous, pareil à des araignées dans un bocal n'ayant qu'un but à suivre celui de manger les autres. Tout cela, vous ne pouvez y prétendre. Restent ses idéaux, ses valeurs. J'imagine que votre mère vous a parlé de Caedes, mais nous ne l'avons pas connut de la même manière, elle et moi. Elle l'aimait trop, en tant que dame, en tant que fille, elle lui était trop proche pour, je pense, pouvoir voir l'étendue de son oeuvre. L'amour rend aveugle, dit-on. Par ce geste, je ne souhaitais qu'une chose, vous donner un lien avec Lui, avec le passé, comme un rappel que cela avait été possible. Comme un rêve que cela puisse l'être encore.
De sa main, il referma celle de Clémence, celle là même qui tenait le croix, délicatement, ne souhaitant pas la blesser. Et il la maintint fermée, autour de la croix d'or, sa main englobant la main de la demoiselle, qui a son tour englobait la croix - heureusement qu'il avait de grandes mains.
- Je n'ai pas la volonté de vous forcer à faire quelque chose que vous jugeriez inadapté. Je vous témoigne un peu de l'amour, si je puis utiliser ce mot, que j'avais pour le Duc, en vous laissant ceci. Je ne vous force pas à la prendre, jamais je n'oserai. Faites ce que vous estimez le plus juste, agissez avec raison, Il serait fier de cela.
Alors, il libéra la main de Clémence et, avec quelques petites difficultés -ses muscles n'étaient plus habitués- il se releva, et fit un pas en arrière. Il faillit se rasseoir, et s'éloigna. Il se rendit jusque vers la cour. Là, il voyait les derniers chevaux de l'escorte menés dans l'écurie. Il voyait quelques gens, discutant, chahutant.
Alors il oublia Clémence, Meaux, la Champagne, le Royaume. Ses yeux fixés vers la cour, il ne voyait plus rien. Il n'était plus rien. Seule l'image de Caedes se reflétait devant lui, tandis que résonnait la devise du Lion. Memento Finis. Penses à ta fin. Le Lion avait pensé à la sienne, il avait prévu son sacrifice, pour tenter de changer les choses. Lui avait agit différement, pour complèter l'action du Lion. Mais jamais encore il n'avait songé à la sienne, de fin. Parfois, à force de voir les gens partir, et lui rester, il songeait que le Très Haut lui envoyait une épreuve, le punissait - oui mais de quoi ? - mais il ne savait qu'en faire. L'équilibre de ce bas monde était brisé, le Très Haut devait vouloir que cela change, il lui revenait donc la charge de s'en occuper ? C'est ce qu'il pensait, mais il n'avait pas encore réussi. Il voulait défendre et réhabiliter l'oeuvre du Lion. Etait-ce l'équilibre brisé, qu'il fallait reformer ? Ou bien devait-il au contraire achever ce qui restait de la pensée du Lion, pour remettre les choses à leur place ? Il était convaincu de la première solution, mais en venait à songer à la seconde, là résidait une épreuve bien plus grande. Memento Finis. Un jour il serait libéré...