Une petite réapparition...allez oui, une toute petite. Juste pour voir si le printemps changeait à elle seule l'humeur du temps, ou s'il fallait se mettre en quête d'une liqueur dorée pour trouver un parfum qui l'approxime si imparfaitement qu'elle le déprime. Juste pour combler sa curiosité. Levé depuis seulement deux trois heures, l'oiseau de nuit qui faisait résonner son enclume sous la lune s'étira. Les idées vaguement claires, il arriva même à recoller les fragments d'une mémoire confuse pour s'assurer que c'était bien ce soir, attention, qu'un bal champêtre était organisé à la suite d'une déclamation, enfin proclamation. Certainement un moment trépidant. Il y aurait du « monde », des exclamations, des rires jaunes, des rires tout court, de belles demoiselles qui ne manqueraient pas de venir se faire admirer. Un spectacle qu'un bon paysan ne devait manquer sous aucun prétexte s'il voulait pour un soir devenir un prince plein de charmes. Il était donc grand temps! ... de penser à retarder le départ. Pas question d'être assimilé à cette caste, même s'il admit dans un soupir qu'il ne valait guère mieux. L'hypocrisie, et le mensonge n'était pas son fort quand une vérité aussi implacable s'imposait à lui.
Trève de chuchotages existentiels, sinon il finirait en pintade à aller déverser ses déboires en taverne, saoûlant par la même son auditoire. A moins qu'on ne se rende justement en ces lieux pour ce genre d'histoire? Il ne savait plus pour le coup, il devait donc aller vérifier cette théorie trépidante!
Après une quête sans queue ni tête de vêtements décents, toutefois accomplies avec sa rigueur coutumière (bien que jusque là restée légendaire aux yeux du monde), après des tours et des détours, il ferma enfin sa porte derrière lui, accrochant sa clef de fer forgé à son cou. Un peu à l'écart du village, à proximité des bois, histoire d'alimenter son feu, parade officielle contre les trouble-fêtes, il huma un moment l'air du crépuscule. Qui avait pu donc lui mettre pareille dessein en tête que d'abandonner son orée ou le vert tendre parait habillement le gris-argent des hêtres. Un sourire en coin pour excuser son mensonge quand il entendit le prénom de la personne qui l'avait tiré de son ombre. Plus question de reculer maintenant qu'il correspondait à un semblant d'être civilisé.
Arpentant le chemin caillouteux, il sentit la brise le rafraîchir, portant avec elle la preuve que pour une fois il ne s'était pas encore emmêler dans ses doigts pour compter les jours. Sa retraite comme forgeron innocent ne lui valait vraiment rien pour garder ses sens affûtés. Autant balayé cette absence comme une scorie sans importance. Les grives sonnaient l'heure de rentrer, les étournaux s'engouffraient dans les bocages, et Elanion s'en allait tourner comme un rapace du crépuscule autour du petit coeur palpitant d'Autun.
La périphérie de l'évènement lui parut pour le mieux, la place ne valait certes pas celle des grandes villes ou même en plein centre on se sentait perdu. Les torches clamèrent le glas du jour, et la frissonnante naissance de la nuit. Les ombres projetés semblèrent donner un volume à la foule, cernant une scène où se tenait une personne qu'il ne connaissait point. D'ailleurs, il eut un sourire moqueur à son propre chef en se disant qu'il ne s'était jamais senti si perdu. Il n'était pas venu ici pour l'évènement, oh non...Quand il déambulait joyeusement quelque part, tout redevenait si semblable à l'avant, factice et pourtant si excitant. Il aimait faire danser les fils du bout des doigts. Ce temps n'était pas encore revenu, l'encadrement d'une porte cochère lui offrit l'abri discret qu'il souhaitait pour observer, laisser l'atmosphère venir à lui sans la troubler, chercher de quoi elle était faite, ses sentiments, l'humeur qui l'animait.
Les gens semblaient heureux, platement heureux. Les individus réagissaient en choeur, comme s'ils sortaient tous du même moule. Repoussant cet a priori, il remarqua tout de même quelques singuliers, un porteur de chope et une dame en, peut-être, colère. Cela semblait indifférent à ceux qui les entouraient, mais ils émettaient plus de nuances dans leur expressions.
Sa philosophie des auras, qui ne le gâtait pas du tout, le faisant décortiquer le plus d'attitudes possible, pour les analyser, sentir du bout des doigts leur mécanisme, pouvoir peut-être reproduire les attitudes, les semblants.
Nouveau coup de manche dans ses pensées pour balayer ces pensées qui n'avaient plus lieu d'être. Un ruban noir avait attiré son regard. Lacet entourant une gorge..noué pour parer, comme lorsque l'on noue quelque chose pour se le rappeler, ou le faire souvenir.
Il eut envie d'une substance brillante, pour délier cette mélancolie et faire comme si le temps entre hier et aujour'soir ne fut jamais qu'un mauvais rêve. Il n'eut pas le goût de s'approcher, en dehors l'immobilisme de son esprit, les gens bougeaient pour former un cercle. Un premier drille se chargea d'inaugurer l'air de danse...
« Allez mandolines, donner la mesure, et faites oublier à ce monde qu'il s'effondrera peut-être demain. »