Clemence.de.lepine
Un vélin, de lencre, une plume, une main, un scel et un messager : cétait tout ce que demandait une lettre. Lécriture oblique, fine, sèche et nerveuse traduisait la fébrilité de son auteur alors quelle sétait penchée sur cette missive, à la lueur dune chandelle. Car de nouvelles inquiétudes taraudaient la demoiselle
Et s'entame, alors, la valse des vélins.
Et s'entame, alors, la valse des vélins.
Citation:
LEpine, au jour des nones davril, an de grâce MCDLVIII
De Je, Clémence de lEpine,
A vous, Valère dArezac, Comte dOssau, Vicomte d'Agde, de Villemur, de la Ferté-sur-Aube, et Baron de Lunel,
Salutations.
Votre Grandeur, cher Comte, cher exilé Champenois,
Etrange, nest-ce pas, de recevoir missive de Champagne quand vous lavez quittée voilà déjà bien longtemps, à mon souvenir ? Ma foi, sans doute avez-vous bien fait, ou du moins navez-vous pas mal fait. Jétais jeune, plus jeune en tous cas, mais ma mémoire est encore fraîche et intacte : je sais, jai su, en partie, combien lon vous a blâmé, à lépoque où vous fûtes Duc de Champagne, combien lon a craché sur votre mandat et ses déboires. Vous avez dû bien rire, alors, si des nouvelles de Champagne ont pu parvenir jusquà votre terre dexil, votre terre dadoption, ce Béarn, où vous semblez vous être bien accoutumé.
Car oui, lon ma un peu conté ce que vous étiez devenu. Récemment. Et voilà, donc, que je vous écris, non seulement par courtoisie ne dérogeons pas à la coutume : jespère que vous vous portez bien, tout comme votre épouse mais surtout parce que les circonstances sont telles quon ne peut décemment pas toujours parler de coïncidences quand tout nous porte à y voir un signe du Très-Haut. Allons, allons votre patience doit déjà être mise à rude épreuve, et vous vous demandez sûrement la raison de cette correspondance. Au fait.
Nous ne nous connaissons pas, ou si peu, nous ne nous sommes que trop peu de fois croisés lorsque vous séjourniez encore en Champagne, et voilà quaujourdhui je nous trouve quelque chose en commun. Nous avons le souci du bien-être de la jeune Isaure de Morvilliers. La petite Wagner. La fille de feu mon oncle. Votre filleule. Je ne me suis découvert quil y a peu une certaine affection pour cette demoiselle et la pudeur, pourtant, minterdit de vous dévoiler davantage la portée réelle de mes sentiments et jespère que vous ny verrez pas là une lubie de ma part, une volonté de mapproprier une cousine dont jignorais encore lexistence deux ans auparavant. Je dois vous avouer que limage que je métais faite delle, alors que pour la première fois je la rencontrai à Limoges il y a un peu plus dune année, nétait pas complètement conforme à la réalité. Certes, elle est impulsive. Certes, elle est tout aussi arrogante si ce nest davantage. Elle respire lorgueil et la suffisance, et en elle bout un tempérament féroce quelle réfrène parfois bien difficilement. Mais cette première impression, quelle dégage avant toute autre chose, nest sans doute point celle que lon doit se faire delle définitivement. Jai découvert une autre facette de cette fougueuse bâtarde qui veut se croire princesse. Elle est venue à moi dans un moment où javais besoin que quelquun le fasse, et elle est restée.
Isaure nest pas quorgueil et arrogance, elle est surtout dune bonté et dune ingénuité que je ne lui aurais pas devinées au prime abord. Elle nest tout compte fait quune enfant, encore, qui sefforce de se trouver une place dans un monde qui nen accorde que si peu à ceux de sa condition. Et elle est fière de ce quelle est alors quelle pourrait en avoir honte, peut-être. Elle est fière de son nom, de son sang, et elle est prête à se donner corps et âme pour sa famille et ses proches à men faire rougir de dépit, quand je me croyais être la plus loyale à mon sang. Vous avez donc là, cher Valère, une filleule quil faut aider à grandir et ne pas laisser seule, surtout. Car si son caractère emporté semble la protéger du moindre accroc que pourrait lui laisser la vie, je pense, moi, que tout cela nest quillusion et quelle peut être bien plus fragile quon aurait tendance à le penser, à la voir si droite et si sûre delle où quelle se trouve.
Nous avons eu le loisir de discuter de nos avenirs respectifs, alors quelle se trouvait à mes côtés à lEpine. Nous avons surtout parlé du sien, à vrai dire, et je me suis surprise à me soucier de ce quil serait. Elle a eu loccasion de mapprendre que vous lui laisseriez le choix de prendre qui elle souhaiterait pour époux. Jose vous le dire tout net : cela ne me semble pas une bonne chose. Non que je désapprouve votre point de vue. Isaure est orpheline, a connu plus de malheurs que de véritables bonheurs, et peut-être voulez-vous la voir heureuse, peut-être pensez-vous que vous la rendrez heureuse en lui autorisant le mariage quil lui plaira. Je ne reviendrai pas davantage sur la vision que je me fais de lhymen, sur celle que lon ma inculquée dès mon plus jeune âge, mais sachez que vous pourrez, en lui laissant une telle liberté, faire tout autant son malheur que son bonheur. Isaure aura besoin de conseils, dappuis, dun regard objectif sur ce quelle entreprendra. Croyez-moi, je ne sais que trop ce que lon peut ressentir quand on se sent livrée à soi-même alors quon ne demanderait quun peu de soutien et dattention. Et puis, au risque de vous paraître égoïste et intéressée, Isaure est ma cousine, elle fait partie de ma famille, nous sommes liées, si ce nest par un nom, par le sang, et je ne pourrais concevoir un mariage jetant lopprobre sur cette famille dont ma cousine représente une branche, tout comme je la représente également. Elle ne pourra épouser le premier venu, et jespère que vous le comprenez. On ma toujours répété, au rythme de ma croissance, que lamour sapprenait au cours du mariage. Et je le conçois ainsi. Sans doute votre propre expérience vous a-t-elle mené à un autre point de vue, mais au moins accordez-moi le fait quIsaure aura besoin de nos conseils, pour ne pas quelle fasse fausse route, pour ne pas quelle se retrouve plus malheureuse que nous le voulons. Ne la laissez pas choisir seule. Guidez-la. Et peut-être pourrions-nous la guider ensemble, si cela vous sied. Je ne demande quà rendre ma cousine toujours plus souriante et surtout, toujours plus Grande.
Réfléchissez-donc à ce que je viens de vous dire. Et ne jugez pas trop vite mes propos. Avant même que je ne naquisse, on conspirait déjà sur mon futur mariage avec le meilleur parti de France. Et voyez donc aujourdhui : les espoirs de ma famille déchus, mes parents disparus au sens propre ou au figuré je me retrouve seule face à un avenir que je pensais déjà tout tracé, déboussolée, perdue et sans réel repère. Et si je navais cette grande et fidèle amie pour mépauler dans ma solitude et mon désarroi, sans doute resterais-je à me lamenter de navoir personne sur qui compter pour maider dans certains de mes choix. Mais elle est là, et cest un véritable soulagement.
Isaure crie peut-être quelle aime sa liberté et ne veut sen défaire, et bien moi je pense quelle aimerait un peu moins dautonomie et davantage de renfort. Cest ce quelle ma laissé voir lors de son séjour à lEpine.
Dans lattente, cher Comte, dune réponse de votre part, recevez mes salutations les plus sincères que vous ne manquerez pas également de transmettre à votre épouse.
Clémence de lEpine
De Je, Clémence de lEpine,
A vous, Valère dArezac, Comte dOssau, Vicomte d'Agde, de Villemur, de la Ferté-sur-Aube, et Baron de Lunel,
Salutations.
Votre Grandeur, cher Comte, cher exilé Champenois,
Etrange, nest-ce pas, de recevoir missive de Champagne quand vous lavez quittée voilà déjà bien longtemps, à mon souvenir ? Ma foi, sans doute avez-vous bien fait, ou du moins navez-vous pas mal fait. Jétais jeune, plus jeune en tous cas, mais ma mémoire est encore fraîche et intacte : je sais, jai su, en partie, combien lon vous a blâmé, à lépoque où vous fûtes Duc de Champagne, combien lon a craché sur votre mandat et ses déboires. Vous avez dû bien rire, alors, si des nouvelles de Champagne ont pu parvenir jusquà votre terre dexil, votre terre dadoption, ce Béarn, où vous semblez vous être bien accoutumé.
Car oui, lon ma un peu conté ce que vous étiez devenu. Récemment. Et voilà, donc, que je vous écris, non seulement par courtoisie ne dérogeons pas à la coutume : jespère que vous vous portez bien, tout comme votre épouse mais surtout parce que les circonstances sont telles quon ne peut décemment pas toujours parler de coïncidences quand tout nous porte à y voir un signe du Très-Haut. Allons, allons votre patience doit déjà être mise à rude épreuve, et vous vous demandez sûrement la raison de cette correspondance. Au fait.
Nous ne nous connaissons pas, ou si peu, nous ne nous sommes que trop peu de fois croisés lorsque vous séjourniez encore en Champagne, et voilà quaujourdhui je nous trouve quelque chose en commun. Nous avons le souci du bien-être de la jeune Isaure de Morvilliers. La petite Wagner. La fille de feu mon oncle. Votre filleule. Je ne me suis découvert quil y a peu une certaine affection pour cette demoiselle et la pudeur, pourtant, minterdit de vous dévoiler davantage la portée réelle de mes sentiments et jespère que vous ny verrez pas là une lubie de ma part, une volonté de mapproprier une cousine dont jignorais encore lexistence deux ans auparavant. Je dois vous avouer que limage que je métais faite delle, alors que pour la première fois je la rencontrai à Limoges il y a un peu plus dune année, nétait pas complètement conforme à la réalité. Certes, elle est impulsive. Certes, elle est tout aussi arrogante si ce nest davantage. Elle respire lorgueil et la suffisance, et en elle bout un tempérament féroce quelle réfrène parfois bien difficilement. Mais cette première impression, quelle dégage avant toute autre chose, nest sans doute point celle que lon doit se faire delle définitivement. Jai découvert une autre facette de cette fougueuse bâtarde qui veut se croire princesse. Elle est venue à moi dans un moment où javais besoin que quelquun le fasse, et elle est restée.
Isaure nest pas quorgueil et arrogance, elle est surtout dune bonté et dune ingénuité que je ne lui aurais pas devinées au prime abord. Elle nest tout compte fait quune enfant, encore, qui sefforce de se trouver une place dans un monde qui nen accorde que si peu à ceux de sa condition. Et elle est fière de ce quelle est alors quelle pourrait en avoir honte, peut-être. Elle est fière de son nom, de son sang, et elle est prête à se donner corps et âme pour sa famille et ses proches à men faire rougir de dépit, quand je me croyais être la plus loyale à mon sang. Vous avez donc là, cher Valère, une filleule quil faut aider à grandir et ne pas laisser seule, surtout. Car si son caractère emporté semble la protéger du moindre accroc que pourrait lui laisser la vie, je pense, moi, que tout cela nest quillusion et quelle peut être bien plus fragile quon aurait tendance à le penser, à la voir si droite et si sûre delle où quelle se trouve.
Nous avons eu le loisir de discuter de nos avenirs respectifs, alors quelle se trouvait à mes côtés à lEpine. Nous avons surtout parlé du sien, à vrai dire, et je me suis surprise à me soucier de ce quil serait. Elle a eu loccasion de mapprendre que vous lui laisseriez le choix de prendre qui elle souhaiterait pour époux. Jose vous le dire tout net : cela ne me semble pas une bonne chose. Non que je désapprouve votre point de vue. Isaure est orpheline, a connu plus de malheurs que de véritables bonheurs, et peut-être voulez-vous la voir heureuse, peut-être pensez-vous que vous la rendrez heureuse en lui autorisant le mariage quil lui plaira. Je ne reviendrai pas davantage sur la vision que je me fais de lhymen, sur celle que lon ma inculquée dès mon plus jeune âge, mais sachez que vous pourrez, en lui laissant une telle liberté, faire tout autant son malheur que son bonheur. Isaure aura besoin de conseils, dappuis, dun regard objectif sur ce quelle entreprendra. Croyez-moi, je ne sais que trop ce que lon peut ressentir quand on se sent livrée à soi-même alors quon ne demanderait quun peu de soutien et dattention. Et puis, au risque de vous paraître égoïste et intéressée, Isaure est ma cousine, elle fait partie de ma famille, nous sommes liées, si ce nest par un nom, par le sang, et je ne pourrais concevoir un mariage jetant lopprobre sur cette famille dont ma cousine représente une branche, tout comme je la représente également. Elle ne pourra épouser le premier venu, et jespère que vous le comprenez. On ma toujours répété, au rythme de ma croissance, que lamour sapprenait au cours du mariage. Et je le conçois ainsi. Sans doute votre propre expérience vous a-t-elle mené à un autre point de vue, mais au moins accordez-moi le fait quIsaure aura besoin de nos conseils, pour ne pas quelle fasse fausse route, pour ne pas quelle se retrouve plus malheureuse que nous le voulons. Ne la laissez pas choisir seule. Guidez-la. Et peut-être pourrions-nous la guider ensemble, si cela vous sied. Je ne demande quà rendre ma cousine toujours plus souriante et surtout, toujours plus Grande.
Réfléchissez-donc à ce que je viens de vous dire. Et ne jugez pas trop vite mes propos. Avant même que je ne naquisse, on conspirait déjà sur mon futur mariage avec le meilleur parti de France. Et voyez donc aujourdhui : les espoirs de ma famille déchus, mes parents disparus au sens propre ou au figuré je me retrouve seule face à un avenir que je pensais déjà tout tracé, déboussolée, perdue et sans réel repère. Et si je navais cette grande et fidèle amie pour mépauler dans ma solitude et mon désarroi, sans doute resterais-je à me lamenter de navoir personne sur qui compter pour maider dans certains de mes choix. Mais elle est là, et cest un véritable soulagement.
Isaure crie peut-être quelle aime sa liberté et ne veut sen défaire, et bien moi je pense quelle aimerait un peu moins dautonomie et davantage de renfort. Cest ce quelle ma laissé voir lors de son séjour à lEpine.
Dans lattente, cher Comte, dune réponse de votre part, recevez mes salutations les plus sincères que vous ne manquerez pas également de transmettre à votre épouse.
Clémence de lEpine
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