Navigius

L’Archevêque Métropolitain d’Auch était tapis dans son bureau, une large pièce dénudée de luxure car tous en Armagnac-Comminges connaissaient l’orthodoxie et la simplicité de l’homme de foy. Les murs de pierre étaient ornés de différents crucifix et rosaires, un portrait de Saint-Origène trônait au dessus de l’âtre, jetant un regard inflexible sur le titulaire des lieux. Le décor était complété par de larges bibliothèques vernies qui contenaient une multitude de parchemins et de dossiers, quelques ouvrages chers à l’Italien, qui n’avait pas les moyens de s’offrir une grande quantité d’écrits, puisqu’à cette époque, cela évoquait un coût exorbitant. Le bruissement régulier de la plume marquant le papyrus faisait compétition au crépitement du feu qui réchauffait la pièce en ces hivernales journées.
Torturé entre deux chemins philologiques dans l’essai qu’il tâchait d’écrire depuis maintenant plusieurs semaines, l’italien n’en finissait plus de raturer des conclusions qui lui semblaient échapper à toute logique supérieure telle qu’il la recherchait. L’effort lui rappelait ce terrible essai sur la nature divine des archanges qu’il avait produit lors de sa graduation du Séminaire de Bonifanti en Italie, au tout début de son sacerdoce. C’était il y a longtemps, avant la terrible épreuve que fut l’Artois. À Cambrai, le jeune homme avait perdu ses illusions. Avant la Normandie, où il avait perdu quelques fois sa patience, mais sans doute son optimisme éternel. Était venu le Béarn, dure expérience où l’homme de foy avait définitivement renié l’universalisme et le principe de reconnaissance proportionnelle à l’action. Avant l’Armagnac-Comminges, où l’homme, miné par des années de prêches, tentait de se refaire une santé, question de ne pas expirer dans la fleur de l’âge.
Accoudé à son bureau, l’homme dévisageait le regard de Saint-Origène, qui le soutenait inflexible, car il s’agissait bien entendu d’une peinture. Son esprit vagabondait entre les souvenirs de l’Artois, où il avait connu sa plus grande amie, Dame Deedlitt d’Ailhaud de Cassel, la Comtesse de Lille. Puis ses pensées volèrent vers Voyageur, en Normandie, avec qui il avait eût de rudes débats, toujours teintés d’une étincelle de malice bon enfant. Seul, voilà comment il se sentait en ces jours, éternellement seul, malgré le fait qu’il était entouré de gens aimant. Le sacerdoce était lourd à porter parfois, et en cette journée, pour aucune raison évidente, cela l’était encore plus. Sans doute était-ce le fait qu’une missive de Gênes était arrivée dans la nuit, lui annonçant le décès de Emiliano Cicci, ce qui l’avait profondément attristé, et surtout, qui avait réveillé dans le cœur du vieil homme un souvenir difficile, celui du décès de Valentina, sa tendre Valentina, celle qui aurait fait de sa vie une chose toute différente que celui qu’il est devenu.
Repoussant ces pensées difficiles tout en replaçant une mèche rebelle de son front, l’italien décida de se dégourdir les jambes un instant. L’une de ses activités préférées demeurait encore et toujours de faire les cents pas dans son bureau, cela lui donnait l’occasion de faire travailler cette jambe capricieuse, toujours soumise aux effets du mauvais traitement d’un brigand rencontré entre Orthez et Dax. Son regard se posa un instant sur le trophée de Mister Eauze 1457, qui trônait au centre d’une étagère, dévisageant outrageusement quiconque osait le regarder, à l’exception du très orthodoxe vainqueur qui avait ému tant de femmes à l’aide d’un simple poème, dédié à Valentina. Diantre! Encore cette pensée mélancolique des jours passés qui l’assaillissait. S’emparant prestement d’une cloche, il la sonna vigoureusement, en guise d’entrée en matière pour Frère Christophe, un homme de peu de mot qui lui servait de secrétaire particulier. La porte grinça sur ses gonds, et le petit prêtre, qui ne devait faire au mieux que près de cinq pieds, entra, muni d’une corbeille regorgeant de lettres pour l’Archevêque.
- C’est tout le courrier d’aujourd’hui, mon bon Christophe?
- Si Arquebisbe, une quinzaine de lettres, dont quelques missives provenant de Rome, l’on s’inquiète de l’annulation de votre voyage pour la Pâques.
- Oh, qu’ils s’inquiètent, les routes sont si emplies de brigands, je ne m’y risques plus, et puis, j’ai promis à Élisea que je resterai à la maison pour le printemps, la pauvre, je crois qu’elle est débordée avec Guillermo.
- Une bonne initiative arquebisbe,
L’homme ressortit prestement après avoir déposé sa charge sur le bureau du prélat. Ce dernier s’approcha du panier et y pigea une missive, au hasard, loupant la très urgente lettre de la Comtesse d’un tout petit index. Il décacheta la lettre qu’il tenait en ses mains, une correspondance de la par de Gustave Savonarole, un réputé herboriste de Milan, qui l’informait de la meilleur marche à suivre pour obtenir les lys blancs qu’il souhaitait tant pour le frontispice de la cathédrale. Souriant en lisant les lignes, savourant une victoire intérieure contre le capricieux Florient Bégon, celui qui depuis le début minait ses efforts pour sa façade de lys blanc, l’homme d’église s’affaissa dans un confortable divan, se demandant s’il devait répondre immédiatement où continuer sa besogne de courrier. Il se décida, en une courte moue, à piger une nouvelle missive.
Quelle ne fut pas sa surprise de remarquer le sceau caractéristique de son Éminence Ubaldo, Cardinal-Évêque d’Agen. Une réponse si rapide? Voilà qui était intéressant. Il dévala les différentes lignes finement écrites par le prélat, qui constituaient un traité sur les bulbes floraux et les conditions de la floraison. De tout les clercs de l’Église Aristotélicienne, Son Éminence Ubaldo était celui qui était le plus docte en matière florales, s’occupant du potager papal depuis plusieurs années. L’italien plaça la missive en sureté dans une étagère, chérissant ces nouvelles qui lui permettrait hors de tout doute, désormais, de remporter le concours du plus beau jardin de l’Assemblée Épiscopale de France. La gloire serait enfin sienne!
Vint finalement la missive arborant le sceau de la Comtesse d’Armagnac-Comminges. Levant un sourcil, l’italien se demanda bien ce qu’elle pouvait lui demander, la dame avait l’habitude de venir en personne pour discuter des sujets dont elle souhaitait. Parcourant rapidement la missive, il sursauta. La démente! Elle avait donc osé se présenter à la tête d’une armée? L’inquiétude s’inscrit sur le visage de marbre de l’homme, mourdieux! Il fallait sans plus attendre désamorcer la situation qui promettait d’être explosive si elle n’était pas traitée avec sérieux. Prenant son mantel de feutrine sur une patère, il sorti en claudiquant, sa canne à la main, se dirigeant vers la sortie de la ville, seul…
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Archevêque d'Auch