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[RP] La diagonale du Fou

Edern
HRP : RP ouvert mais me contacter avant, petites erreurs d'organisation possibles ; action postérieure à "Sur la trace des mots passants".

Au bout d'un monde...

Là où coulait la sève.
Là où l'infini s'achève.
Là où mourront les rêves.

Quelle est cette ombre d'absolu qui gravit, seule, le sentier d'une falaise perdue ?
Quel est cet être irréel que le vent sifflant repousse vers le ciel ?
Qui saurait nommer la créature qui émerge de la lande obscure ?

Le Fou.
Ce qu'il en reste.
Fin des mots, mots de la fin.

Son corps est fouetté par la pluie qui ne cesse de tomber dru. L'eau désormais ruisselle, sapant sa citadelle. Il mourra avant que la boue ne s'y mélange et vienne souiller le blanc et le noir d'un habit qu'il ne méritera guère plus longtemps. Aux questions lapidaires ont succédé les longs soupirs. Moins qu'un spectre. Qui l'a remarqué ? Car il a traversé sans le remarquer les remparts de villes époustouflantes de réalité, et ces silhouettes buvant dans des tavernes trop heureuses pour être joyeuses. Recraché les miettes de pain qu'on lui proposait pour lendemain. Abandonné les feuilles blanches impossibles à gorger d'encre, elle aussi répandue sur le chemin, tache illusoire. Des rencontres ? Ni anges, ni démons. Des marionnettes, une poignée d'animaux, des bêtes qui ont peut-être reconnu en lui celui qui cherche son cimetière. Qui ont pris peur devant ce squelette habillé de chair. Les jambes fatiguées ne sont qu'à peine soutenues par un bâton qui s'effrite, témoin d'une ère révolue. Pourtant, l'esprit ne connaît cette souffrance que de loin. Il est occupé à la sienne, incomparable. Le sombre de ses iris ne cache presque plus la guerre qui se perd entre des murs invisibles. A chaque pas, les mots défilent, se défilent. Tous. Les récits s'effacent, l'amour et la haine se dérobent, les chants sont faussés, les légendes, oubliées. Détenteurs du pouvoir le plus ancien, les noms sont les derniers à partir. Ils les a aimés. Tous. Rien ne vient prendre leur place, sinon un martèlement sourd, celui d'un coeur qui bat dans le vide. Les battements lui sont comptés. Pas de sursis pour qui dépend d'un univers en pleine dissolution. Il faut avancer, même si c'est pour mieux reculer jusqu'à la source. Toute proche. Un pas, encore. Il relève la tête pour l'ultime épreuve, libère ses sens. Il y est arrivé. Au bord...

L'océan ! Furieusement multicolore... sa musique absurde l'étreint avec violence. Un million de vagues l'invitent à les rattraper. L'horizon se livre avec la douceur d'un raz-de-marée. L'iode l'envahit enfin. Des jours et des années elle chasse le parfum, fût-il écarlate.
Tue-moi sans me rendre ! Tue-moi sans attendre !
Une dernière vision s'offre à lui.

~~~~~

Un petit garçon écoutait.
Il écoutait les notes et les mots de l'homme au chapeau.
Chapeau dont il rêvait de se parer depuis le début de la soirée.
Soirée à laquelle il n'aurait pas dû assister puisque sur un bateau il devait se trouver.
Il se trouvait qu'aucune prière n'avait pu gonfler les voiles du navire familial dont toutes les rafales persistaient à rire.
Rire que nul n'avait jamais entendu chez l'enfant qui était moqué par ses pairs pour ne pas jouer et par ses pères pour son poids plume.
Plume arrachée sans raison un jour de tempête à un oiseau dont il taisait le nom et qu'il gardait précieusement dans une de ses poches en toute occasion sans pour autant en faire état à ses maîtres.
Maîtres qui ne supportaient ni son apparente apathie ni le regard impénétrable qu'ils obtenaient pour toute réponse lorsqu'ils tentaient de lui inculquer un peu de leur discipline ni sa soif de parchemins quand du travail sonnait la fin.
Un petit garçon écoutait.
(...)
Ici s'achève l'histoire des origines
De ce fol enchanteur nommé Taliesin !

Il ne se leva pas avec les autres quand ils battirent l'air de leurs grosses mains pour exprimer leur pleine et entière satisfaction du spectacle qu'ils avaient d'ailleurs peu cher payé. Il attendit que le miel des félicitations fut épuisé et que les abeilles aient regagné le confort de leur maisonnée vainement bourdonnante. Il n'y eut personne pour l'appeler à travers la salle qui se refroidissait peu à peu.
Deux paires d'yeux se croisèrent naturellement et ne se quittèrent pas.
L'homme invita l'enfant sur la scène déserte, où deux sièges furent montés.
Ils s'assirent tous deux sans bruit.
Alors tout commença.

Pourquoi vous êtes ici ?
Pourquoi serais-je ailleurs ?
Vous êtes vieux ?
Tu es jeune ?
Moi je ne trouve pas.
Un sourire vint illuminer le visage de l'homme.
Je sais ce que tu cherches.
Vous aimez pas mes questions ?
Ce soir, elles sont tout ce que j'aime. Qu'aimes-tu ?
Il ne sut que répondre. Une main s'en alla instinctivement à la rencontre de la plume et s'y piqua. Il ferma les paupières. Écouta un murmure...
Il y a une route où l'on ne peut mourir.
Une Éternité.
Il y a une route où le silence n'a pas d'étendard.
Un Ennemi.
Il y a une route où les mots sont d'or.
Un Éclat.
A ce jeu, on ne perd que la raison. Cela t'effraie-t-il ?
Non de la tête.
Alors jouons. Qui es-tu ?
Les yeux bruns s'étaient lentement ouverts. Sur une chaise vide.

Je suis le Fou.

~~~~~

Un dernier pas d'homme dans la nuit, vers le précipice démesuré.
Deux larmes scintillantes vont rejoindre l'océan. Salées.
Une plume noire s'envole en toute innocence.
Le Fou se noie en silence.
--Mordred_
[Le vieil homme et l’amer ]

Koc'h...


Le bruit du choc et de la gerbe d'eau a heurté les vieux tympans même avec le bruit du ressac... Les yeux clairs scrutent l'onde, alors que la carcasse s'est redressée avec une vivacité étonnante. Il y a un corps qui flotte, là, non loin. Un amas de noir et de blanc vaque au gré des vagues qui jouent avec une tignasse brune.
Les mains calleuses ont redressé la barre. Le sinagot obéit, virant vers la forme et la falaise sans geindre ni rébellion. Les voiles pourpres claquent avant qu'elles retombent mollement sur ordre de leur maitre.

Il est sur le pont, debout. Dans les bras puissants, un long bâton de bois terminé par un crochet. Les cheveux couleur neige viennent voleter devant les prunelles azurs, cernées de rides. La bouche cachée derrière une épaisse barbe où disparaissent les vagues plissées de sa peau creusées par les ans et le sel ne se crispe pas, ne criera pas.

Lorsque la coque passe non loin du corps flottant, il laisse glisser le crochet dans l'eau pour accrocher le tissu blanc et noir. Lorsqu'il harponne la chemise de laine, le bateau vrille et tourne. Il tire sur ses bras, dont les veines ressortent sous l'effort. Il ne dit rien quand le pli des manches retroussées cisaille un peu les biceps bandés. Un souffle trahit la difficulté de remonter le corps sur le petit bateau de pêche. Le corps sans réaction, poupée de chiffon atterrit sur les planches usées. Le vieux s'agenouille et enlève les mèches sombres qui sont posées sur le visage.

Un gamin. Un gamin qu'il est celui là... en tout cas aux yeux du vieil homme qui soupire avant de mettre le corps sur le côté en lui ouvrant la bouche. Un filet d'eau sort et se déverse sur le pont. Les doigts bougent un peu. De longs doigts fins... les sourcils touffus se plissent pendant que le vieux loup de mer attrape une bouteille d'alcool. Il respire encore. Pas grand chose. Infime. Un couteau est tiré et ouvre avec une précision méticuleuse la chemise en deux. Le bouchon saute ensuite, extirpé par les dents usées et l'eau de vie se déverse sur le poitrail marbré. Les vieilles mains frottent avec vigueur le torse, les bras, le cou le visage. Et pendant qu'il s'affaire, il regarde.

Qu'es-tu gamin ? Pourquoi as-tu fait ce saut d'l'ange ? Pour les yeux d'une belle ? Pour la rejoindre ? Pour l'oublier ? Qu'as-tu fui gamin ? T'as la vie devant toi encore... j'en ai vu tellement mourir, gamin, alors qu'ils le voulaient pas. Des mômes, même plus mômes que toi... fauchés sans cris, ou agonisant des heures, fiévreux, délirants. Même des vieux, redevenus des enfants qui appelaient leur mère. Pourquoi es-tu ici ?

Un certaine colère monte dans les prunelles grises du vieillard aux cheveux d'albâtre que le soleil épars fait scintiller. Il a choisi la mer pour ne plus voir le chaos de la terre. Il y a si longtemps... Il a choisi le large et le murmure des flots, pour que se noient le fracas des armes. Il a laissé un nom, une terre. Il n'a plus de famille. La guerre et les hommes se sont chargé d'eux. Et ce brun là a choisi de mourir, en faisant fi de Dieu lui-même et de la vie. Les mains parcourent les chairs et remettent une rasade. Chauffe toi au feu de ce que la terre a fait, bonhomme... la peau devient rouge et piquetée de tremblements sous l'effet de la morsure de l'alcool.

Mordred lève une lourde main et l'abat sur la joue gauche de celui qui a voulu en finir. C'est pas l'homme qui prend la mer... et toi tu n'es pas digne qu'elle te prenne. Tu n'as pas combattu sa fureur, même sans espoir, tu n'as pas connu les lames qui déferlent, gamin. Tu n'as pas senti la puissance t'écraser au creux de sa main. Toi tu as juste fait un pas en avant... trop facile gamin. Trop injuste. Pour tout ceux qui y dorment déjà.


Réveille toi...


La voix grave et cassée de n'avoir pas servi a tonné au milieu des vagues. Et les mains de jouer encore sur la peau froide... je ferai en sorte que tu t'accroches. On n'offre pas souvent de deuxième chance. Choisis maintenant, gamin.
Edern
La plume virevolte entre les êtres volatiles qui rasent la houle, dépasse les ailes rapides des goélands et autres oiseaux de Bassan, s'élève vers le ciel ténébreux, invisible écriture, transperce les nuages noirs et blancs dont les lourdes vapeurs ne peuvent retenir pareille arme volante, salue les rayons voyageurs de la lune et du soleil tous proches, s'arrête devant les étoiles enfin. Elle hésite un instant, petite et frémissante. Semble attendre un dénouement. Là-haut, là-bas ? On ne sait pas... puis elle n'attend plus. Elle s'élance dans l'espace. File et fait fi de toute fatalité. Descend en flèche vers la main qui l'a si souvent pointée contre ses cibles. Elle plane, la plume, elle plane... suspendue entre la mer et le ciel, suspendue au destin qui se joue à sa pointe.

Là, balloté par les flots, un mince amas humain flotte entre deux eaux. Tout à l'heure, un corps a heurté la dure surface de l'océan invincible pour qu'un esprit vienne à bout de l'indicible qui le torturait. Quelques gerbes d'écume se sont à peine soulevées à son bref passage d'un univers au suivant. Un banc de poissons a peureusement esquivé la masse qui a perturbé sa course sous-marine. Un liquide salé a inondé deux poumons déjà vides de tout air, ont irrigué veines et artères du véritable sang bleu. Surprise de n'avoir rencontré aucune vaine résistance, la furie océanique a accueilli de sa froide tranquillité celui qui a voulu s'y perdre. Il n'y est pas mort pour autant... étoile filante dans l'obscurité, une pensée suit son chemin.

Le Fou s'est noyé et il a su.
S'est rappelé son prénom.
Edern.

Edern !
Alors l'heure est à l'union.
Alors aucun mot n'a disparu.

Plongé au coeur de son récit, le Fou a compris. Il n'a commis qu'une erreur dans sa solitude. De sa folie il a oublié la terrible incomplétude. En rejetant ce qu'a pu être son passé pour mieux conter celui des autres et par la question découvrir leur délivrance, il s'est éloigné du pacte qui scella sa démence. A ignoré les implicites conditions posées par le solitaire démon. Héraut d'une cause perdue où tout est à gagner, il a cherché le choc des mots, le poids des faux tordues par la plume sur des champs de bataille sublimes ou ridicules. Joueur exalté et impitoyable, il s'est presque toujours dressé contre. S'est forgé des ennemis en tout lieu et en tout temps afin de pouvoir lutter contre l'Ennemi, a construit des scènes éphémères pour que sonnent ici et là ses airs. Il le fallait absolument. C'était nécessaire. Mais pas suffisant. Sa puissance lui a été retirée parce qu'il n'a pas totalement été ce qu'il avait promis d'être. Pas une punition, un signe. Maintenant, une nouvelle proposition. Une éternelle seconde chance. Il a appris qu'il n'est pas condamné à s'éteindre dans une épave. Des mots il pourra encore être le maître et l'esclave. Comment a-t-il pu en douter ? Ne l'a-t-il pas su dès son arrivée ? Le vieux barde est parti en le chargeant de son héritage, mélange de légèreté et d'orage. Il lui faut le compléter par la plus belle des fusions - a-t-il vraiment cru maîtriser son savoir ? - et en assurer la transmission. Il n'y a que lui pour diffuser par-delà la lande l'onde, faire souffler en choeur les vents de fronde. Révéler le combat aux combattants qui s'ignorent. Forcer la liberté. Éveiller les Fous alliés...

Combien seront-ils ? Un et mille.
Aimeront-ils Edern, ou le Fou ? Les deux.
Est-il encore temps ? Peut-être.

La Fuite a cessé. Le Fou ne fait plus pénitence. Les contours d'une nouvelle route se dessinent en son inconscience. Entrecroisée de fils dorés et pavée d'improbables vérités, elle reflète la lumière des astres qui se sont allumés. Un défi a été relevé.

Trouve les enfants dans leur prison.
Révèle-leur les mots de leur libération.
Rassemble-les en une seule armée infinie.
À l'assaut du vide mène la Folle Compagnie.


Réveille toi...

A ces mots sa volonté fait écho. Le pouvoir est de retour en ce monde ! Le sommeil ne lui est plus permis, il n'y aura plus de rêves que les siens et ceux des âmes qui feront sa légion. Chaque sens lui revient. Une réalité bouillante le pénètre dans un rugissement, chacun de ses os est une lame qu'il accepte pour exquise douleur alors que le tambour de la vie résonne de nouveau en lui. L'ayant lavé de sa souillure, les eaux cherchent leur mer. Il ne peut les en empêcher et laisse le courant s'échapper. Un vent de renaissance balaie son être jusqu'aux dernières poussières, jusqu'aux coins du cercle de sa déraison, glaciale invasion. Toutes les secondes qui se bousculent alentour sont l'occasion d'une salutaire respiration.

En d'autres mots, un semi-cadavre échaudé est ranimé brutalement au fond d'une coquille de noix, sauvé par l'alcool et une paire de claques, vomit autour de lui ce qui lui reste de tripes et boyaux et manque de s'étouffer grelottant dans sa propre bile.

C'est fou.
--Mordred_
Un grognement accompagne le vidage de tripes.

Le vieux a eu juste le temps de se reculer et sa lourde carcasse s'est abattue sur le pont. Tellement seul sur son sinagot qu'il en a oublié les réflexes d'un noyé. Tellement habitué à n'être qu'avec lui-même qu'il s'est trop bien habitué à l'absence des désagréments occasionnés par un... compagnon.

Les yeux gris regardent néanmoins.
Bon signe... il parle pas de la pâleur qui rappelle que la Faucheuse l'attendait au tournant du creux d'une vague. Le gamin dégobille, il halète c'est qu'il est vivant. Respire, bonhomme... ça doit faire mal. Ça doit brûler comme si toutes les dentellières de Quimper te plantaient leur aiguilles dans le gosier et dans la chair. Mais t'es vivant gamin... c'est quand on a mal qu'on est vivant, qu'on le sait, jusqu'au fond des tripes que tu viens d'éparpiller sur MON pont... foutredieu, va falloir qu'il nettoie. S'il aime l'odeur du varech, l'odeur de la mort, il supporte pas... ou plus. Quand on a plus mal, gamin c'est qu'il est déjà trop tard...

Le vieux se relève avec l'agilité de celui qui connait son rafiot comme sa monture, qui connait les rythmes des roulis comme un troubadour son papier à musique. Il s'en va non loin ouvrir une planche ornée d'un anneau. Elle gémit lentement alors que là haut, les mouettes jacassent. La main lourde et calleuse fouille avant de réapparaitre avec une couverture de laine pendue à ses doigts. Les pas dansent sur le bois mouvant jusqu'au jeunot brun qui a les cheveux dégoulinant.

Il s'accroupit sans un mot. Les mains abandonnent la couverture sur ses genoux et les doigts défont la cape. Le brun s'agite en grognant et en essayant d'esquiver les doigts qui fouillent les nœuds et les rivets.


Sioul, goujard...


La poigne est ferme mais non violente. La cape s'évapore à son côté puis le mantel... un pan sert à essuyer le visage du naufragé. Sans cérémonie... mais avec une attention retenue. Des gestes qui semblent millénaires pour s'être répétés. Maintes fois. Trop de fois. Puis il le fait glisser sans prendre en compte les réprimandes ânonnées vers un coin près de la rambarde avant de le couvrir.

Dors maintenant.

Les pas s'écartent vers le mât. La voile claque avant de se gonfler de vent. Le vieux s'empare de la barre.

Je te ramène sur terre, bonhomme...

Ô sombre héros de l'amer... sauras-tu traverser les océans du vide ?
Il posera pas de question le vieux. Il sait qu'il ne faut pas remuer le couteau dans les plaies surtout quand elles ont juste ouvertes. Il le laisse au soin des mouvements de la mère qui le bercera lentement dans ses bras aqueux, sur ce berceau de bois. Il le laisse se gorger d'embruns et de silence. Il le laisse tranquille sans le laisser seul.

Il regarde du coin de l'oeil Vannes qui s'avance.... il aura de l'aide. Lui ou le gamin, Dieu seul sait...
Edern
Cela passe, comme qui dirait. Le corps a tout rejeté. Ne reste que l'essentiel, la folie et ce qui la contient... coin coin.

L'air qu'il respire est si frais ! Il en aspire de pleines poignées, tousse un peu pour la forme, beaucoup pour ne pas s'étouffer. Ne dit rien, sa langue percluse de sel n'est pas encore prête à recevoir les mots qui l'attendront quoi qu'il advienne. On s'occupe de lui. Il se révolte par réflexe contre les invisibles tentacules qui souhaitent le déshabiller, ne peut résister, comprend au ton des paroles qu'il perçoit à travers la brume qui s'estompe progressivement qu'il a intérêt à se laisser faire. Pour une fois. N'est pas coutume. Il doit faire confiance à la présence qu'il sent à ses côtés. A celui qui a fait ce jour une prise inhabituelle. On ne sort pas tous les jours un Fou de ces profondeurs...
Il n'a pas tenté de se lever et est encore allongé au fond du navire, paupières closes. Mais il ne subit plus. Ce repos est le sien, l'oeil du cyclone en formation, le calme avant sa tempête. Loin de le bercer, le lent balancement de l'embarcation l'aide à rassembler les pensées qui tourbillonnent en lui, à les concentrer en un point unique. Un seul tableau pour toutes ses esquisses. Alors que le capitaine, seul maître à bord, manipule barre et voilure, jouant avec sa compagne de toujours, le Fou pense à son propre sillage. Scrute la ligne tracée pour lui. Essaie toutes les vues. A l'envers, à l'endroit, à...

Une légère brise vient caresser sa joue. Il assiste aux débuts du Fou. Un gamin sur les chemins, un étrange sourire aux lèvres. Cinquante écus plus ou moins volés dans un coffre avant un départ définitif. La faim, longtemps. Ne pas se salir les mains ! Ne pas les abîmer sur le manche d'un outil qui ne creuse que la roche. Elles finissent pourtant par retirer un bout de la forêt, une branchette incassable. Brave Excalibur. L'arme dérange ou ne suffit pas. On lui refuse l'hospitalité. On le vole. On le bat. On n'aime pas que le rictus demeure sur la face de ce garçon qui joue trop bien d'une plume qu'il n'a plus dans sa poche.

Gerioù...

Un soleil perce timidement les nuages qui blanchissent à la vitesse d'un cheval au galop, ou pas loin. Les mains se font plus adroites et suivent l'esprit dans ses acrobaties. Fine, l'enveloppe n'en devient pas moins forte. Adulte, il s'emploie à être employé. Des mots contre des écus. Pour des écus ? Ils affluent. Plusieurs instruments à sa ceinture. Les mélodies se délient pour lui. On l'applaudit même si on ne sait très pas bien pourquoi. On sait son nom.

Ar Foll...

Puis rien.

Mais... là, au-dessus, à l'aube d'un âge inédit... quel est cet oiseau tournoyant qui clame fièrement son existence dans les cieux rougeoyant ?
Quelles couleurs annonce-t-il à ceux qui sans honte se défilent ?

Gwenn... ha... du.

Donc il n'abandonnera pas. Sa mission est immense. C'est qu'il mènera mille danses !
L'univers entier devra l'accueillir et l'acclamer.
Une promesse d'alliance à honorer...
Tant de défis à lancer.
Tant de folies à créer.
Et de quoi s'amuser.

Penchée vers le futur, sa tête est pleine d'images.
Des routes.
Des hommes.
Des femmes.
Une fleur.
Des rires.
Des pleurs.
Des cris.
Des chuchotements.
Des taudis confortables.
Des châteaux misérables.

Écoute donc...

Le rivage est proche. Des sons. D'autres voiles qui claquent. On s'exclame en breton.
La marée est haute, il est temps de partir en mer. La pêche sera bonne. Embrasse les enfants pour moi. Un p'tit coup de chouchen ? Oublie pas de prier ce soir.

Oui. Ce sont bien les échos familiers d'un port qui parviennent à ses oreilles. Les yeux bruns s'ouvrent sur leurs gris égaux. Oui. La voix abyssale et les mains baladeuses appartenaient bien à un vieil homme. L'a-t-il suivi jusqu'à la falaise ? Ou bien se trouvait-il au milieu de l'océan depuis la nuit des temps ? Qui est-il ? Qu'est-il ? Il y a un nom pour chaque chose. Il y a un temps pour chaque nom. Il saura celui du vieux marin miraculeux quand les mots en exigeront le refrain. Quand l'océan réclamera à nouveau son dû. D'ici là... s'enfoncer dans les terres et faire courir ses racines plus profond qu'on ne l'a jamais fait au cours de l'Histoire et des autres, serrer coeurs et âmes d'une folle étreinte et laisser bien plus qu'un pâle souvenir aux Hommes qui le croiseront. Plus que les petites comédies qu'il a pu joué ces dernières semaines dans des établissements douteux. Plus que les habits médiocres qu'il a revêtu pour pas grand-chose. Oh, bas les masques... non. Il s'est déjà fait passé pour un duc en quête d'épouse, un inquisiteur, un mari trompé, un tavernier vengeur, un commerçant vénal. A trompé les imbéciles heureux le temps d'une représentation. Non. Il s'agit d'aller plus loin... plus haut.

Prenant appui sur le bastingage, Edern se lève péniblement, tranquillement. Il observe les gestes mesurés du vieillard, fait son possible pour ne pas le gêner dans la manoeuvre. Ils s'amarrent au quai grouillant, sans heurts. Le noyé ramasse sa cape détrempée, rajuste tant bien que mal son mantel déchiré. Il jauge la distance qui le sépare du continent. Presque. Échangeant un deuxième regard avec le pêcheur, il hoche lentement la tête, à la fois grave et souriant. Donne d'une voix rauque qui ne tardera plus à retrouver les chants qu'elle affectionne tant.

Trugarez...

Le Fou descend du frêle esquif qui l'a ramené en ce monde.
Fait un pas vers la foule, loin de l'onde.
Lui vient un petit air.
Terre !
Chimera
[Port-fourmilière, première]

Non!!

Mais non Beilhal! Pas comme ça! Plus haut!
Et plus à droite.
Là oui, parfait.
Non, c'est de travers!
Non, non!!! L'autre côté!
Moui, ça me semble bien ainsi.

La scène lui arrache un sourire. Pas à dire, l'intendant, s'il excelle dans la gestion de son domaine, manque sur ce coup là de goût. Fort heureusement, il est soutenu par l'oeil expert de vannetaises rompues à l'exercice.

Et les tonneaux, Itron?
Une voix venue d'ailleurs. Derrière, plus précisément. Elle se retourne. Supervision, quand tu nous tient...
Un doigt qui se pointe, indiquant le lieu de fin de vie desdits tonneaux. Ou du moins l'endroit où ils diront adieu à leur précieux contenu. Il n'est pas précieux que pour eux, pardi.

Hum... là.... non loin de l'estrade. Nul doute que Lemerco aura des envies de se rincer le gosier après son discours.
Roule tonneau, roule...
Là, oui, parfait.

Parlant de ça... prenons donc le droit de tester la marchandise.
Aussi dit, aussitôt fût.
Deux godets discrets, Chimera hèle Beilhal qui a bien mérité sa pause, et se hisse sur le bord de l'estrade, savourant cet instant de répit dans les tumultes de l'organisation. Les marins peuvent toujours se pointer avec leurs histoires de tempêtes.
Cette agitation là, qui plus est, à l'avantage de ne pas retourner les tripes. Pas avant du moins...
Mais l'homme a besoin d'être homme, et affronte donc les colères de Manannan mac Lir pour lui prouver qu'il est bien là.

Vannes. Doux espace de conflit entre vents allants et vents venants.
Avenante, toujours, quel qu'en soit le sens.

Elle suit d'un oeil curieux les manœuvres des marins, et songe aux dires de Foxfire.
Quelle est la Breton attitude en matière de navigation?
Voilà qui lui échappe quelque peu.
A sa décharge, tout connaître sur tout tient de la gageure.
Mais elle n'aime pas ça, la baronne.
Curieuse, donc, elle observe et apprend, s'improvise galibot des mers, moussaillon, marin d'eau douce sachant pertinemment que ces eaux risquent de ne pas le rester longtemps, douces et paisibles...
Dans l'écume des vagues qui viennent s'écraser mollement sur les pilliers du ponton, elle voit l'écho livide du lointain tumulte d'Albion. Lointain comment, pour eux? Seule la Mère le sait, et c'est un secret qu'Elle se garde bien de divulguer. Peuple de Dagda, prépare-toi, tu n'es pas à l'abri d'un débarquement de Fomoires.

Les pavillons des navires, petits tartans chauvins, hérauts nationalistes, la plongent dans une contemplation peu ordinaire. Gwenn ha du... Souvenirs nostalgiques de la taverne éponyme et tristement disparue, de son arrière-salle aux milles contes et histoires, de cette vie d'antan autour de celle que son hencher, disparu lui aussi, nommait sa Reyne.
Disparus... le souvenir de la gloire de Penthièvre est désormais diffus.
Il réapparaît néanmoins parfois, via le rire d'un petit garçon. Ael, dernier né d'une glorieuse lignée, héritier d'un prestige dont il ignore l'ampleur...
En bonne scelaig, il lui faudra veiller à ce qu'il apprenne de quel bois il est fait, quelle sève coule dans ses jeunes veines.

Pensée coupable qui se faufile parmi celles-ci. Vile oisiveté sort de ce corps.
Oui... oui...
Elle repose son godet vide, sourit à Beilhal et saute d'un bond leste au bas de l'estrade. Au turbin.
Grimace, une main posée dans le bas du dos.
Malin...
Détourner l'attention, vite, et scruter alentour pour identifier sa prochaine mission.
Mais l'esprit curieux frappe encore...
Tiens, une arrivée.
La baronne aime ça, les arrivées. Elle se hisse sur la pointe des pieds, maudissant gentiment les vannetais qui -eux- s'affairent aux préparations, qui portant le siège destiné à accueillir le glorieux séant du chef de port, qui trimballant un sac de grain destiné aux cuisines...

Pardon, pardon, milles excuses, oops, pardon.
La rousse se faufile.
Quoi? Elle se doit d'aller se renseigner. Sait-on jamais, il lui livre peut-être une horde d'émissaires anglois. Chimera est optimiste.

Elle observe les échappés du pont, tout frais débarqués du navire. Le tri est nécessaire.
Regard à droite, à gauche. Thamara n'est pas en vue. Il faudra bien t'improviser tribun.
Cela dit, n'accueillera pas les malheureux passagers à nageoires embarqués contre leur gré. Ils n'en ont plus besoin, mais feront probablement le bonheur d'Isolde qui les emploiera à régaler quelques palais.
Non, Chimera, c'est bien connu, fait plus dans l'humain.
Celui qu'elle avise ne semble pas de la toute première fraicheur, contrairement à ses infortunés compagnons de route qui frétillent parfois encore.

Ils ont bien choisi le moment pour accoster, ceux-là... le ponton est à peine praticable. Elle a l'avantage d'être chez elle, les marins la connaissent et font au mieux pour faciliter sa progression jsuqu'à l'inconnu du bateau.
La nuque s'incline légèrement, les lèvres s'étirent en un sourire accueillant.


Degemer mat e Gwened...
Vous tombez à pic, la ville se prépare pour célébrer l'inauguration de son port de commerce.
Première visite en notre belle cité? Est-il quelque chose dont vous auriez besoin?

_________________
Lastree
[ Le simple bonheur de se laisser bousculer ... ]


Elle est là elle aussi ... elle profite ... le nez au vent, elle respire les odeurs agressives du port et s'en nourrit ... ça sent le poisson et la sueur, les odeurs rances des passagers qui n'ont pas su résister à la houle et au roulis et qui ont vidé leur tripes par dessus bord ... ça pue oui, mais ça sent la vie! La vie qui grouille et vous bouscule ... On la bouscule! Et elle s'en réjouit presque, irritée qu'elle est par l'infinie précaution avec laquelle on la traite depuis qu'elle arbore ce ventre rond comme figure de proue.

Le regard gris se pose partout ... sur ces marins qui déchargent le contenu des cales et qui lui lancent parfois des œillades qui en disent long sur leur état après des jours passés en mer ... Elle pourrait s'en offusquer, mais elle apprécie, dernier relief de fierté de cette beauté qui fut sienne et dont elle se sent orpheline à présent. Elle rend sourire pour sourire ... parole douce pour marque d'intérêt, regard rieur pour œil fripon ... elle profite et se sent revivre ...

Soudain elle se sent projetée vers l'avant et tangue, se rattrapant de justesse à la manche d'une chemise de bonne facture. Elle se redresse et s'excuse avant de reconnaître son sauveur inconscient:


"Je suis navrée vraiment, je crois que je gène ... vous ... vous?"

Elle dévisageait Beilhal comme s'il s'agissait d'une apparition ... pourquoi être si surprise d'ailleurs? Il devait être en train de faire une course pour sa maîtresse. Le voyant rosir, comme souvent lorsqu'il la croisait, elle se ressaisit et baissa les yeux avant de lui demander:

"Chim ... La Baronne est-elle là?"

Déjà elle tendait le cou, essayant de voir par dessus la large épaule si elle apercevait le feu rougeoyant de la chevelure de son amie.

« Par là Dame, je crois qu’elle est par là … »

Des yeux elle suivit le doigt qui se pointait vers le ponton et, après l’avoir remercié et gratifié d’un sourire, se dirigea vers le lieu indiqué. Elle ne fut pas longue à la rejoindre, la trouvant en train de faire salon au beau milieu des morues fraîches et des thons à dos argenté. Elle sourit, il n’y avait qu’elle pour rester aussi polie et accorte au milieu de tous ces cris.
Pourtant son vis-à-vis n’avait pas l’air au mieux … son teint grisâtre et son corps squelettique n’en faisait pas le candidat idéal pour prendre la tisane dans un noble salon.

Elle se pencha vers son amie et, prenant le risque de la faire sursauter, elle lui murmura :


« M’a pas l’air en grande forme ton gus, m’est avis que ce dont il a le plus besoin, c’est d’un lit et d’un bouillon bien chaud … il m’a tout l’air d’avoir flirté avec l’Ankou »

Elle osa un sourire vers l’étranger qui semblait bien loin de toutes ces considérations.
_________________
--Mordred_
Il regarde...

Il regarde de ses yeux gris ridés le monde.
Les cris du port qui résonnent comme des échos d'un temps lointain. Le roulement des barriques sur les pontons qui font comme un tic tac mal huilé sur les lattes plus ou moins égales. Les cris des poissonniers qui appâtent non les chalands mais les pièces de monnaie.
Les odeurs... les odeurs saumâtres des eaux qui dorment. Les relents d'épices et d'alcool... l'odeur du sel... l'odeur de la terre humide...

Perdu, le vieillard un instant dans la contemplation de l'agitation si inhabituelle dans son monde fait d'horizons bleus, de clapotis et de cris de mouettes. Il est comme un moine de la mer, un pénitent des vergues et des voilures. Il a fait vœux de silence comme on fait voeux de sobriété après le verre de trop.

Et pourtant...
Le monde qui s'agite, remue là, haut fond du vieux cœur détrempé de vagues et de sel... les souvenirs. Les souvenirs d'un autre temps qui a laissé des traces sur le visage buriné et ridés comme un vieux parchemin sur lequel on peut lire le temps.

Il en a oublié le gamin qui s'est relevé chancelant.


Trugarez...

Les yeux gris regardent la silhouette qui s'éloigne sur le ponton. Déjà une roussette qui s'approche et qui lui cause... et puis une brune qui apparait pour se pencher à l'oreille de la première... tu vois petit. Une de perdue... dix de retrouvées. Sauf quand...

Je sais pas si j'dois te dire de rien pour ma part... t'as intérêt d'te tenir à carreau..
.

La voix a maugréé dans la barbe grise et s'y est perdue. La main s'empare du crochet qui a servi a repêcher le futur ex-noyé et il s'emploie à pousser le sinagot avec le plus de souplesse possible.
Les voiles se tendent de nouveau en claquant sous le vent. Les vagues viennent lécher la coque et les bruits lentement s'effacent.

Mordred a repris la mer. Pour longtemps.
Edern
Terre !
Un si joli mot qu'il s'empresse de l'examiner de plus près.
Plus exactement, encore affaibli par une immersion prolongée dans un liquide de type aqueux et marqué par le mouvement de roulis que la houle a imprimé à l'embarcation dont il était l'involontaire passager, donc à lui-même par simple déduction logique, il s'écrase lamentablement contre le sol boisé. Avec un plaisir non dissimulé, ou presque. N'est-ce pas la meilleure façon d'accoster, cette chute maladroite ? Il a annoncé son retour à cette réalité, il est normal qu'elle lui retourne un peu de cette taquine politesse métaphysique. Et tant pis si c'est au moyen d'une bosse qui ne le défigurera que quelques jours. Que d'insignifiance dans cette violence ! Sa superbe retrouvée ne sera pas affaire de frivole beauté. L'Enchanteur a d'autres charmes dont il sait user...
Edern se relève avec précaution, tâchant de ne pas surestimer la force qui revient progressivement dans les muscles de ses jambes endolories. Son regard balaie l'étendue du port environnant, s'attarde à peine sur les hommes qui courent ça et là. La Bretagne se prépare à la conquête de l'océan. Folle entreprise. Qui dégage une odeur... certaine. Comment ça il est pas frais mon poisson ? Le commerce a des raisons que le goût ignore. Tsss. Il faudra se faire inviter à une table. Plus tard...
En attendant, le Fou est debout. Quelques marins passant le montrent du doigt sans pour autant s'étonner outre mesure de la présence d'un revenant sur leur petit ponton. Une légère agitation. Ils font place à... une rousse. Décidément. En d'autres temps, on aurait joué du briquet pour moins de rouquine prolifération. Que de tolérance, mes aïeux. Elle se courbe à peine, dans une tentative de salut diplomatique qu'il ne perçoit que vaguement, tout occupé à fixer le Soleil déjà haut à l'est, derrière l'épaule de la femme qui ne sait pas ce qu'elle risque à lui sourire sans déclaration préalable. Paix ? Guerre ? Guerre et Paix ? On ne va pas en faire un roman. Derrière encore, une autre badaude pataude qui progresse vers la scène en construction. Viennent-elles connaître ? l'interroger ? le faire taire ?

Deux contre un. Aucune chance de l'emporter.


[...] Vous tombez à pic [...]

Littéralement...

[...] Est-il quelque chose dont vous auriez besoin?

Les yeux bruns se lèvent un peu plus vers le ciel.
Au loin passe une hirondelle. C'est un printemps magnifique qui s'annonce en ce joli mois de mai. De millions de bourgeons on va célébrer l'éclosion. Des terres entières sont à repeupler. Jusqu'à la mer le fleuve charriera leurs alluvions. Jouissance et réjouissance. On sèmera le vent et on récoltera la tempête. Qui soufflera joyeusement dans les plaines, s'engouffrera dans la demeure des puissants et se déversera dans leurs vassaux sanguins. On tissera des vêtements d'air et de chair. Vous les revêtirez, vous les va-nu-pieds, vous les vieux voraces, vous les végétaux vivaces, vous les jeunes voûtés ! Nulle Vérité ne sera épargnée ! L'hiver est terminé, tous doivent se soulever ! Ne voyez-vous pas les ailes de la délivrance battre pour vous avec aisance ?

Dans son dos, la voix de la mer qui s'éloigne. Le Fou ne se retournera pas. Il sait qu'il ne sait pas où ira son vaisseau. Là où il est déjà allé lui suffit.
Il lui sera renvoyé en temps et en heure. En bon heur !

... t'as intérêt d'te tenir à carreau...

Et à pique !
Et à trèfle !
Et à coeur...

Aujourd'hui les cartes sont rebattues. Pour le meilleur et pour l'empire de sa déraison. Car dans son désir de l'immortalité, il sera vainqueur de toute adversité.

Là-bas...

Auprès des créatures volatiles qui s'élèvent entre les nuages, une plume qui vole. Sa plume. Tu n'as jamais vraiment quitté le Fou, n'est-ce pas ? Tu n'as fait qu'attendre sa renaissance ! Tu savais ce qui ne pouvait qu'arriver. Et maintenant tu reviens vers lui, pointe au vent, tu reviens pour signer au monde la fin de sa terne quiétude. Ma main t'est ouverte et tu vas t'y poser délicatement pour ne plus jamais la quitter. Nous volerons ensemble !

Les vers ne rencontrent plus aucune résistance et ils fusent sans accroc, comme une méduse dans l'eau.
Ravissante image, n'est-il pas ?

Des amis à combattre et des ennemis à aimer
Une croisade pour ceux qui aiment les mots croiser...


Voilà ce dont il a besoin.
Ahem...
Ah oui.

Ainsi qu'un chapeau, des vêtements secs, de quoi faire du feu, me laver, de la nourriture pour dix jours, de l'eau de qualité - non salée de préférence -, une besace, des écus en quantité suffisante pour acheter mes instruments, des cartes, deux aiguilles à coudre, et l'assurance que vous me fournirez tout cela dans les plus brefs délais sans vous départir du sourire de façade qui est actuellement le vôtre.

Ne pas oublier l'essentiel...

De l'encre. Noire. Des parchemins. Blancs.

Deux petites sphères brillent dans leurs orbites.

Beaucoup de parchemins...
Chimera
[Si j'aurai su.... ]

Elle avait sourit en entendant la voix familière de Lastree lui souffler quelques mots à l’oreille.

Bien intentionnée, elle attribue le silence initial et le regard fuyant à un malaise de marin perturbé par la terre ferme… le corps poursuit le tangage quand la terre s’y refuse.
Parle-t-il seulement leur langue ?
Elle a rapidement confirmation…. Dans un souffle de brise marine qui apporte… une plume…
Elle semble l’inspirer, car il se décide à parler…
Si fait pour la horde d’émissaires anglois. C’est une horde d’exigences précises et proférées sans aucune façon qui débarque…
Ca change clairement la donne...
Elle se penche à l’oreille de Lastree :


L’Ankou, j’en sais rien, mais a mon avis il doit avoir bu la tasse en chemin pour avoir le verbe si a-mer… et si peu amène…

Alors que les requêtes se multiplient, elle écoute d’une oreille distraite. L’autre, elle, est perdue dans des souvenirs de soirs de contes....

Ce roi, Cathaer, avait également douze fils qui avaient l’habitude de venir chez Buchet rendre visite et parler avec leur sœur. Il s’autorisaient à venir en groupes de vingt ou trente. Ils ne faisaient aucun cas de ce que cela représentait et allaient jusqu’à attendre des présents de leur hôte.
Nombreuses, donc, étaient leur suite et leurs exigences, et quand ils n’étaient pas satisfaits, ils punissaient Buchet. L’un des fils saisissait ses chevaux, l’autre ses poulains, un troisième son meilleur betail, si bien que les fils de Cathaer finirent par ruiner Buchet, ne lui laissant rien d’autre que sept vaches et un taureau, quand il avait auparavant sept troupeaux et autant de taureaux.

L’enthousiasme presque enfantin qui la caractérise s’envole rapidement en entendant l’inconnu, balayé par une lame de fond bourrée d’une écume orgueilleuse et de malfaçon.
Ils ne parlent, en effet, pas la même langue…
Tu n’es pas ici en terrain conquis, l’ami… et c’est belle folie que de mordre ainsi la main tendue.
La baronne fronce les sourcils. Voilà bien le genre d’individus qui donne envie de penser à deux fois avant d’offrir spontanément son aide…

Assurément, nous sommes là en présence d’un des fils de Cathaer…
Se prend-t-il donc pour le maître des océans pour débarquer ainsi souverain ? Chose assez ironique s’il en est… Un mot d’elles et il a tous les hommes du ponton sur le dos, le sait-il ?
Es-tu donc né de la Morrigan pour parler ainsi, étranger ?

Soit. En bon Buchet, je vais accéder à ta demande…. Non sans dire ce que j’en pense auparavant…
Piquée au vif, la dame de cœur…


Vous êtes prompt à juger de la nature des choses.
Vous avez méjugé de celle de mon sourire, je le soustrais donc à vos yeux qui semblent ne pas souhaiter le voir.
Autant le conserver pour ceux qui savent l’apprécier sans chercher à l’estimer… Ces petites bêtes -quand elles sont de sincère espèce- sont si rares de nos jours...

Tournant la tête vers son intendant :


Beilhal ?
Le jeune homme se faufile vers eux, les joues à peine remises de leur rencontre avec Lastree.
Peux-tu je te prie faire une pause dans tes activités et rassembler les éléments suivants au château ?

Et la baronne de lister, d’un ton calme et posé, l’inventaire interminable des exigences du non-affable. On ne laisse pas un naufragé –si désagréable-soit-il- dans le besoin… Le besoin de celui là est grand, semble-t-il, et impunément déclaré, sans fioritures ni protocole… Ca n’est pas grand-chose pour le duché du vannetais, même si elle eût grandement préféré consacrer ces denrées à des individus plus aimables…
Un regard au fraichement débarqué.
Courbe sous le poids de l’hospitalité naïve, ingrat naufragé, elle est aussi gratuite que tes sarcasmes….


Souhaitez-vous également quelque boisson non salée pour vous désaltérer ?
Un verre de chouchen peut-être ? Voilà qui vous aiderait à mettre du miel sur vos mots.


En d’autres circonstances, elle l’aurait convié à la fête…
_________________
Edern
En d'autres circonstances, il serait exactement le même. C'est-à-dire différent. Oui, faut suivre...

Si les parasites ailés acceptaient Edern dans leur Eden, le Fou serait aux anges.
Le débarquement ? Une réussite malgré la rencontre inopinée entre son enveloppe physique et le dur plancher des vaches.
Les premiers contacts avec la population indigène ? Un succès, on lui offre déjà naïvement toutes les ressources matérielles dont il a besoin.
La bataille du sourire ? Gagnée, même s'il faut garder à l'esprit que les rousses font toujours des proies faciles, tels les troupeaux de lapins gambadant joyeusement entre les buissons verdoyants jusqu'à ce qu'une flèche bien placée répande tout aussi joyeusement leur cervelle aux quatre coins de la forêt, et ce même si la forêt ne compte pas le susdit nombre de coins. Encore une affaire de canards... ils sont partout. Énerve-toi, ma petite canne. Sors de ta mare paisible et éclabousse au passage les camarades palmipèdes de cette boue dans laquelle ils resteront confinés. N'aie pas peur de la solitude. Attire-les là où bon te semble et plume-les. Joue avec l'appeau, l'honnie !

Ah, elle a au moins un domestique. L'apanage de l'aristocratie bretonne... baronne, comtesse, duchesse, quelle importance ? Qu'est-ce qu'un blason sinon la preuve de la noble incapacité à traduire en mots les images de leur reconnaissance, de leur puissance ? Cela dit, la créature innocente qui lui fait face ne porte pas la couronne propre à son rang. Fausse humilité ? Souci d'efficacité ? Honte dissimulée ? Dommage. Il n'y a pas plus amusant que les têtes couronnées. C'est qu'il est si facile de les rouler. Quant à les faire rouler... il n'y a pas d'épée sur sa route. Damoclès avait une plume.

Ici-bas, Edern a faim, il a soif, il a froid, il veut sa maman, enfin non, il tient à peine debout sur un ponton devant deux individus formellement identifiés comme de sexe féminin qui pourraient le noyer définitivement en lui soufflant dessus, et de tout cela le Fou n'a cure. Ce n'est plus le temps qui manque. Le regard se porte vers l'autre femme, qui plus prudente, s'en est tenue à un rôle de chuchoteuse. Allons. Les mains tendues, ça se dévore jusqu'au bras, jusqu'à l'épaule, jusqu'à ce qu'il ne reste plus que le squelette souriant de la sollicitude. Alors profitons-en, c'est jour de fête, paraît-il.

Dites-moi... de quelle couleur est votre plus belle robe ? Je ne verrais pas d'inconvénient à ce que vous me l'offriez, sauf s'il s'agit de ces affreux haillons couvrant le tas de chair rebondie qui se présente hélas à mes prunelles délicates, bien évidemment.

Palsambleu, il a oublié de dire bonjour. Quel malheur. Tant pis, ce sera pour la prochaine fois... voilà que recommence le babillage de sa gracieuse hôtesse. Au moins saura-t-il où chercher des échansons s'il organise un jour improbable des réceptions en quelque château. Vous reprendrez bien un peu de vin. Goûtez ces biscuits, ils sont délicieux, je les ai faits moi-même avec amour. Sans sel, comme vous l'aimez sûrement. Oh, vous partez déjà ?
S'abîmant dans ces profondes considérations, le Fou est pourtant alerté par des paroles qui flottent, indécises, dans l'air poissonneux qui le sépare de ses charmantes interlocutrices, ou qui du moins fait tout comme.


[...] du miel sur vos mots.

Nouveau monde, nouveau souffle.
En scène...

Et que faudrait-il taire ?
Chasser un maître puissant, vivre d'abandon,
Et d'un silence mourir de suffocation
Et ne plus goûter à la sève sous l'écorce,
Gaver les mots de miel pour noyer leur force ?
Non, merci. Dédier, comme tous ils le font,
Des vers aux modérés ? se changer en bouffon
Dans l'espoir de voir enfin, aux lèvres d'un cuistre,
Naître une phrase que la folie administre ?
Non, merci. Discourir, chaque jour, d'angelots ?
Avoir l'esprit usé par un rien ? un écho
Qui vite perdu dans la foule, se fait banal ?
Excuser la médiocrité par idéal ?...
Non, merci. D'une main barrer le nom du Fou
Cependant que, de l'autre, on calme ce courroux,
Éclatant les nuits d'orage entre les arbres,
Animant, toujours, les vieux visages de marbre ?
Non, merci ! Se plaire à n'être jamais qu'un pion,
Devenir homme, rater la divine éclosion,
Et pour acquiescer à cette mort qu'on proclame
Enchaîner un seul destin à toutes les âmes ?
Non, merci ! Chez ces éternels et bons amis
Faire assaut, mais de leur politesse ? Non, merci !
S'aller faire aimer par des animaux dociles
Qu'un mot de trop par sa beauté rend si fébriles ?
Non, merci ! Travailler à la perte d'un nom
Suivre une ligne, au lieu de la tracer ? Non,
Merci ! N'avaler de ce monde que les miettes ?
Être bien repu pour moins qu'une de ses lettres,
Et se dire sans cesse : "Oh ! Pourvu que je sois
Dans les p'tits papiers de l'individu lambda ?"...
Non, merci ! Calculer l'inconnu du système,
Arraisonner sans tarder ces vilains poèmes,
Rédigés par leur plume en mal d'éternité ?
Non, merci ! non, merci ! non merci ! Mais...


Mais.


© Edmond R. pour l'inspiration
Lastree
[ ... ]


Les yeux se plissent, et la bouche se fend d’un sourire teinté d’ironie … difficile de rester sérieuse devant telle diatribe, l’Ankou ne l’a pas emporté certes non et le flot provocateur qui sort de la bouche aux lèvres fines en est là plus belle preuve.

Il raille et se moque de l’hospitalité bretonne personnalisée par la personne de son amie, raillera bien qui raillera le dernier et elle sait que déjà les mots s’organisent en l’esprit de Chimera. Elle n’a pas ce talent et les laisse se renvoyer la balle sans vraiment écouter et pourtant il lui demande quelque chose … une robe. Elle attend que revienne le silence et demande, naïve :


« Que ferais-tu d’une robe l’étranger ? Les miennes ne sont que rarement de bonne facture, et à moitié distendues à présent, comme aura pu le constater ton incisif regard. Mais si tu escomptes en faire une voile pour prendre la mer de façon plus conventionnelle, je crois qu’il s’en vend au marché … avec les écus que l’on t’offre sans sourciller, tu auras largement de quoi en commander. »

L’homme sait jouer avec les mots à n’en point douter mais sait-il les faire chanter pour gagner sa pitance ? Elle ajouta :

« Mais j’entends que les mots dansent dans ta bouche et roulent sur ta langue … vas donc au château, je crois qu’ils y cherchent un amuseur public. Tu pourras tout à loisir écrire des pamphlets sur les bretons qui t’accueillent et te tendent la main et même les lire si personne ne te coupe la langue d’ici là »

Elle l’observe … car malgré tout elle aime la différence et apprécie le culot, trop rare ou trop calculé … Là cela semble différent, instinctif et l’animal n’en est que plus intéressant, il passera sans s’arrêter elle en mettrait sa main au feu, il passera et sera oublié, comme tant de bonnes choses le sont.
_________________
Chimera
[A l’Ouest…
Rien de nouveau.
Remarque….]


.... Il l’est, très certainement à l’Ouest.

Elle est parfois barde sans mots, il semble souffrir du mal contraire…

Assurément, c’est un drôle d’oiseau que le rafiot leur a livré….
Ledit rafiot, d’ailleurs, s’est déjà presque évaporé, comme fuyant le lieu de son forfait…
Ce sont d'autres flots que ceux qui l'emportent qui les submergent désormais...

Mon petit gars, si tu crois que ta réplique nous impressionne, c’est que tu n’as jamais eu à endurer les longs discours de SA Myrlin de Pontcallec. Qui plus est, Breizh, le sais-tu, est experte à noyer sous de nobles mots des intentions qui ne le sont pas.


S'aller faire aimer par des animaux dociles
Qu'un mot de trop par sa beauté rend si fébriles ?

Dit-il....
Il est culotté, le naufragé, de prononcer de tels mots quand il semble à peine tenir sur ses pieds. Mais diantre que la formule est touchante. Faut-il donc avoir les dents longues et les mains ornées de griffes pour être à l'épreuve de... l'épreuve? Toujours chercher à faire céder... plus encore quand se présentent des ouvertures.
« Tout votre être porte à l’insulte », lui disait il y a peu un homme refusant lui aussi toute forme de docilité, avec beaucoup moins de classe, il faut bien l’avouer.
Quel besoin de se faire aimer? Aucun. Dans un sens comme dans l'autre.
Qu'il aille donc se faire voir ailleurs, si ce n'est aimer.

On ignore toujours bien des choses d'autrui. C'est le simple et fantastique mystère de l'altérité.
L’on est toujours l’inconnu du système pour quelqu’un….
X,
ou Y,
pour ne pas dire Lambda… c’est tout à fait cela…
Individu lambda ou l'oxymore de l'être.
Exister
Existere
Avoir l'être...
Par-soi-même: Con-stare...
Elle se prend à être d’accord avec le cocasse conquistador.

Elles sont à ses yeux deux potiches sans rien de mieux à offrir que des miches, il est à leurs yeux un pédant supplémentaire que sa force précède, puant à des lieues à la ronde. Déballage, manière possible de s’assurer qu’elle fera fuir les passants au nez délicat. Indignes, sûrement, de par leur inférieur odorat. Tous les nez ne sont pas faits pareils.
Triste dichotomie d’un monde, qui jamais ne s’estompe lorsque celui de la volonté refuse à s’y plonger.

Voilà…. Il avoue. Il se présente comme la négation de la gratitude.


Allez-y doucement, vous allez vous étouffer sur vos mots.
Nier un simple merci avec tant d’acharnement est dangereux pour la santé, voyez.

Lassitude. L’art du barde est bien entaché si le verbe est ainsi employé pour dégrader la simple hospitalité…
Passe ton chemin, amer pèlerin…
Non… nul pèlerin n’exigerait ainsi….. quoique….
C'est une quête après tout, pourquoi pas donc une re-quête?
Pèlerin récidiviste?

Lastree intervient, piquée au vif, elle aussi, où est-ce par la curiosité ?
Bonne idée, à vrai dire… autant l’avoir à l’œil. L’avoir en le château même, pour éviter qu’il n’aille déverser le fruit de sa folle incontinence verbale dans les rues de Vannes.


Puisque vous semblez aussi épuisé que déterminé à exploiter l’hospitalité vannetaise en faisant la nique à son humilité, je vous offre le gîte et le couvert au château de Vannes. Vous avez deux jours, hospitalité limitée puisque vous me semblez faire peu de cas de la paix et du respect dus à une main tendue.
Si je me trompe, cela dit, alors vous êtes effectivement, comme dit plus tôt et sans faux-semblants, le bienvenu à Gwened.


Dénonce-t-il les simples discours, les discours des simples ou les simples tout court ? Voilà un nœud qu’elle n’a guère envie de démêler.

Si nous y suivre vous ennuie, cela dit, vous pouvez tout aussi bien tracer votre chemin, puisque vous semblez y tenir.
S’il veut ses denrées rapidement, néanmoins, il lui faudra bien s’y rendre. Quelle frustration. Beilhal est un intendant fabuleux, mais ne saurait rassembler une telle quantité de matériel en l’espace de quelques instants.
Tristes et humbles limites de l’humanité, condamnée à prendre le temps qu’il faut.
Et la baronne sans couronne de faire demi tour sur le ponton dans la direction du château, le bras sous celui de Lastree. La porte de Calment n’est pas loin. Est-il seulement en état de marcher jusque là ?


Un doigt en l’air qui ne demande aucune permission scolaire.
Juste un mot, néanmoins.
C’est à la divine éclosion dont vous parlez que nous devons notre existence. Réalisez bien qu’aucun être vivant ne l’a ratée. C’est un fait, même si je me doute que nous n’avons pas la même conception de ce qu’être vivant signifie.

_________________
--Edern


Être vivant.

Sourire qui aux lèvres s'étire. Un regard brun qui flotte, dérive jusqu'à la petite chose qui repose au creux de sa main. Sa plume. Il s'en saisit avec toute la douceur de la Terre. L'élève à la lumière, contemple les innombrables traits changeants qui la composent, descend le long de la tige impolie, s'arrête à sa pointe légère. On y distingue une trace brillante d'écarlate. Un doigt se porte à sa rencontre et une goutte coule, file dans l'air, rougit le bois d'un point final, minuscule empreinte laissée à sa surface. La craquelure d'un monde longtemps pris dans les glaces. Aujourd'hui, la plume a retrouvé sa place.

N'être que vivant ? Non. Être Fou.

Retour au grand marché de Vannes. Un commerce portuaire inhabituel. Si la demande augmente, l'offre suit en conséquence, voire au-delà de toutes les espérances... en voilà une loi intéressante. Est-ce qu'il devrait demander ce grand et riche navire amarré là-bas ? Une bague de fiançailles à enfiler sur leurs doigts de fées ? La couronne royale ? Le sacrifice simultané de mille vierges sur l'autel d'un temple élevé à sa gloire ? Tout cela, elles le lui donneraient sans une hésitation, adorables comme elles le sont.

Heureusement qu'il est bien trop humble pour exagérer.

Où l'invitent-elles ? Dans un château ! Il aime les châteaux. Leurs murs de papier. Leurs plafonds de verre. L'ombre chatoyante des tours qui se détachent à l'horizon. Les fourmis qui s'agitent en contrebas. Les violons qui épuisent les silences nocturnes. L'idée d'imprenables forteresses. Les vaincus qu'on appelle altesse. Ah, s'amuser à remplir les créneaux...

Les deux femmes partent sans lui, sans lui avoir apporté le nécessaire. Elles partent tout en l'attendant, il le sait. Curieux spectacle que celui des Vannetaises désertant leur propre ponton. Deux prêtresses d'un ordre qui n'est pas le sien. Une rousse, une stupide rousse, une brune, une rigide brune. A peine fuyantes. Ce qui les unit ? L'Hermine. Que savent-elles de la blancheur ? Qu'ont-elles appris de la noirceur ? Dans leur bouche, il n'entend qu'un seul langage, celui des âmes qui oscillent encore entre la scène et la fosse aux lions.
Murmure, pour lui-même.


Des sœurs, nées de la même mère...

Qu'a-t-il à faire de pareille famille ? Une ligne dans un carnet, deux peut-être ? Il va pourtant falloir les rattraper pour obtenir ses temporels sésames. Recevoir son dû sans mourir de la main d'un homme assez hardi pour venger l'amour-propre de ces dames. Halte-là, mon brave ! Rangez-moi cette insolence que je ne saurais voir ! Qu'on la fasse exécuter ! Fini de persifler...
Alors le Fou se met à siffler. Avec entrain. Sur le chemin s'élève comme un air enfantin... Trêve d'éloquence ! Tous les gamins savent qu'il y a plusieurs registres à l'impertinence. Plusieurs cordes aux instruments... qu'importe le rythme qui bat. La mélodie ne change pas !

Il commence à marcher derrière elles, le pas mal assuré. Il tient debout, tient à le rester. Pas question de leur accorder le privilège de le voir chuter. Entre deux respirations, d'autres questions viennent en revanche agiter sa langue, se plaisent à courir en direction de quatre oreilles féminines, courtes et agaçantes. S'ennuyer... elles n'y pensent pas. Goguenard, il adresse de maladroites révérences aux passants qui devant lui osent passer, des grimaces aux multiples bambins qui peuplent tous les recoins de la ville marchande. Rions donc... quitte à dérailler. En premier ou en dernier !


Dites, c'est encore loin ?

L'édifice est visible à des lieues à la ronde.

Et vous savez que j'ai mal aux pieds ?

C'est qu'il en est tout juste à sa troisième enjambée.

Combien y a-t-il de plumes dans vos oreillers ?

Est-ce la destination finale de ces mouettes rieuses qui planent dangereusement au-dessus de leurs têtes ?

Puisque je suis le bienvenu en ces eaux, je pourrai dormir dans la plus haute tour du château ?

Pour se rapprocher de la voûte étoilée, fermer la porte du dernier niveau et s'y enfermer jusqu'à ce qu'on tente de l'en déloger.
Au-delà des chamailleries échangées avec ses hôtes infortunées, une interrogation demeure dans l'esprit du Fou. Edern est réveillé à présent, exige des âmes à affoler, plus que du sang, de nouvelles cartes à jouer, des pieds sur lesquels danser. La folie a aussi des appétits à contenter...
Alors il s'empresse de la laisser s'échapper.


Vous avez des enfants ?

Une longue quête s'annonce...
Notre joyeux drille attend deux réponses !
Lastree
[ Le fou est-il juste fou?]


Elle sentit le bras de Chimera glisser sous le sien tandis que la baronne l'entrainait un peu plus loin sur le ponton ... pas trop vite ... lui laissait-elle une chance?

L'aristocratique doigt se leva comme saisit d'une soudaine inspiration.
Prenait-elle la mesure du vent?
S'il venait de l'Ouest comme c'était souvent le cas, elles l'attendraient, s'il venait du nord, ce serait une toute autre histoire ... mais non ... elle n'était pas si joueuse ... les mots fusèrent, aurait-elle le dernier sur son adversaire?

La marche reprit et le visage grave de Lastree se tourna vers les murailles qu'elle ne voulait plus franchir depuis le dernier affront fait à sa satanée fierté ... Dommage, quelle idiote elle faisait parfois, mais cette fois était celle de trop.

Le gris du regard n'est pas froid pourtant tandis qu'il dérive, se cache sous la franche des cils bruns et se tourne pour observer le naufragé dont le bateau semble avoir sombré depuis bien des siècles ... il suit.

L'étranger parlait … comme on déverse tout ce qui vous passe par la tête lorsque finalement, l’on a rien à dire … et son discours lui rappelait celui d'un enfant trop impatient, il geignait et se renseignait, était-il inquiet sous le vernis? A bien y réfléchir, il en avait tout l'air, l'animal grogne et mord parfois tant qu'il se sent en danger, que craignait-il? Qui?
Elle devait arrêter d'essayer de toujours tout vouloir décortiquer, il était ... point. Pourtant ...


"Vous avez des enfants?"

Elle s'arrêta net et son regard croisa celui de son amie.
Quelle question incongrue au milieu de "j'ai mal au pied", "c'est encore loin?", "c'est quand qu'on mange?", elle se tourna à demi, chassant l'image de la fillette aux yeux d'océan qu'on lui avait arrachée, posant enfin une main sur la rondeur du ventre qu'elle tapota tendrement:


"Pas encore non ..."

Puis les yeux se plissèrent et la bouche s'étira en un sourire moqueur, tandis que la voix calme demandait:

"Vous voulez la place?"
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