Elle sourit dabord, alors que Béatrice se plaignait de son état et des conséquences quelle devait bien contre son gré en retirer. Non par moquerie ou quelconque autre type de raillerie, elle était en ce jour -et les jours qui suivraient, les semaines, peut-être même les mois-, elle était donc aujourdhui tout à fait incapable de se prêter à ce genre de mimique ironique qui parfois sautorisait à fugacement venir illuminer son visage lorsquelle était en présence amie, détendue, amusée, délicieusement sarcastique sil était possible dêtre à la fois délicieuse et sarcastique. Et elle ne souriait pas non plus par signe de compréhension, parce que si Clémence pouvait se targuer de toujours vouloir essayer de comprendre les autres, bon nombre de leurs sentiments et de leurs comportements, de parfois y réussir sans effort et de souvent y parvenir avec difficulté rarement avait-elle échoué à cet exercice, et ces rares fois elle en était restée mortifiée-, et bien donc, cette fois là, la demoiselle ne pouvait guère tenter de comprendre la Duchesse de Nevers. Elle fonctionnait comme lon pourrait le dire par empathie, et elle était bien en peine de savoir ce que pouvait ressentir une femme enceinte ne layant jamais été et nen ayant côtoyé que très peu.
Alors elle souriait par compassion, pour encourager Béatrice, dun petit sourire qui lui étirait vaguement les lèvres mais qui faisait briller dans ses yeux toute la sympathie que pouvait lui inspirer la situation.
Et puis, elle sautorisa un léger commentaire, qui sonnait presque comme une remontrance habile :
Allons, dautres avant vous sen sont très bien sorties. Il vous suffit dêtre patiente et dattendre en vous réjouissant que votre propre mère vous ai faite si encline à la maternité. Car ça nétait sûrement pas uniquement la chance, qui avait permis à Béatrice de déjà porter un héritier à Nevers et Bolchen alors que le mariage était encore bien proche et lépoux
aah, lépoux
Restez donc encore un peu, le temps de vous reposer. Votre époux et votre nouvel empire pourront bien vous attendre quelques jours de plus. Peut-être quau moment de repartir, les douleurs se seront alors amoindries. Ou quelles auront définitivement disparu
La jeune Duchesse aborda alors le sujet. LE sujet, entendons bien. Celui que lon attend mais que lon redoute à la fois. Et en guise (Guise ?) dintroduction, elle évoqua le bal, le fameux. Elle ne fit que lévoquer, sa voix se teintant de cette affliction qui ne pouvait aller quà certaines femmes sans paraître alors excessivement agaçante elle en usait elle-même bien trop souvent, cétait un fait indéniable auquel elle tenterait désormais de remédier toujours-, et alors Clémence espéra que son amie lui en apprendrait plus. Oh bien sûr, elle navait pas pu manquer la fuite de Béatrice, laissant là le Roi sans cavalière, elle navait pu imaginer dautres raisons ayant pu la pousser à ça quun flot trop conséquent démotions contradictoires, quun surplus de sentiments, dangoisses et de désillusions tout cela bien entendu était basé sur ce quelle pouvait en supposer, de ce quelle-même aurait pu éprouver au bras du Roi de France, meilleur parti qui soit en vérité, parti rêvé pour nimporte quelle pucelle de bonne famille. Mais elle navait pas eu le fin mot, celui de Béatrice, qui lui aurait expliqué plus en détail ce qui avait bien pu lui traverser lesprit alors quelle laissait derrière elle ce Roi qui pourtant par toutes était secrètement ou moins secrètement convoité. Et cela
jamais elle ne lui demanderait. Car si lon disait que lamitié permettait de tout révéler ou au contraire de tout demander, il restait cette pudeur, tout de même, lot de la noblesse peut-être, celui de Clémence en tous les cas, et cette crainte de réveiller des remords qui navaient pas ou plus besoin de se faire jour maintenant.
Et donc, Béatrice fit jouer un talent que Clémence ne lui connaissait pas encore.
Elle la fit attendre, alors même que la demoiselle nen pouvait déjà plus de presque lentendre nommer celui auquel elle pensait mais de ne pas le faire encore, pour préférer marquer un temps de silence, léger, mais tellement interminable pourtant. Le nom quelle prononcerait
serait-ce à celui là quelle ajouterait le sien ? Serait-ce sous celui là quun jour, on la connaitrait, quon la reconnaitrait ?
Béatrice la mettait au supplice, bien quil fut impensable que Clémence de lEpine le signalât dun seul tressaillement de cils. Un nom
Donnez-moi un nom que je juge, que je sache, que je me pâme ou que je choisisse plutôt le suivant
après un froncement de pommettes déçu.
Qui était celui que son père ne pourrait lui refuser ? Lexigence venait en fait plutôt de sa mère, pour ce quen savait Clémence, même si le mot final revenait à celui à qui lon devait le Marquisat. Et puis, Matthilde de Beaugency avait été enterrée : ses exigences et ses volontés ne vivraient plus que par le souvenir de sa fille.
Et elle continuait de sourire, même si lon pouvait noter, si lon était fin observateur, les fossettes qui se forçaient un peu et lencoignure des lèvres qui se tiraient désormais avec un peu plus de crispation.
Suffit, Béatrice
Et enfin, elle suffit. Ou plutôt, enfin, elle se décida à parler, à donner un nom. Ou non : davantage une association de titres qui définissait un nom. Le Prince de Condé. Uruk de Margny-Riddermark, respectivement fils et petit fils des prestigieux Almaric de Margny et Tristant de Salignac. Ce dernier, contrairement à son propre père Albert de lEpine -elle lavait appris un jour où ses lectures lavait conduite jusquà son nom, avait préféré donner sa fidélité au Roy plutôt quà son propre grand-père Caedes lors de la Fronde. Mais au fond, qui pouvait aujourdhui encore len blâmer, si ce nétait peut-être les rares survivants de ce grand temps révolu, et fervents admirateurs du Duc Raffaello de la Francesca ? Sil était possible, dautant plus, de blâmer encore un mort. Ne pouvait-on pas laisser les morts en paix là où ils étaient
Et donc, alors ? Le grand-père du désormais Prince de Condé navait point suivi le sien dans la Fronde, allant même jusquà vouloir se soulever contre lui. Certes. Clémence était fière, point idiote. Elle aimait plus que tout sa famille et ses origines, mais cela ne la rendait pas bornée. Cela appartenait au passé, et au passé, elle avait déjà trop pensé.
Son regard bleu paraissait tellement plus bleu à ce moment là, alors quelle fixait Béatrice et se remémorait ce quelle pouvait bien connaître de ce Prince que venait lui offrir, ou plutôt lui présenter son amie. Peu de choses, à dire vrai. Si elle lui avait rapidement été présentée au mariage de Béatrice, tout aussi rapidement avait-il disparu de son champ de vision sans quelle ait même pu amorcer un semblant de discussion avec lui. Cétait ainsi, les fêtes mondaines : lon croisait et recroisait chacun sans pour autant forcément les connaître à la fin. De lui, elle ne connaissait que son nom, puisque son visage ne lui revenait que difficilement à la mémoire, et ses illustres origines.
Oh, Béatrice
Vous feriez le bonheur de ma mère, le savez-vous ? Non, bien entendu, vous ne pouvez le savoir ! Elle se pencha très légèrement en avant et vint, sur le ton de la confidence, instruire Béatrice sur ce quelle ne savait donc pas encore. Ma mère me souhaitait mariée à un Prince, je crois bien quelle naurait accepté de parti moins glorieux.
De ce quelle a pu men dire, le Prince à qui elle me destinait, avec feue ma marraine, sa filleule, nous a quittés un peu trop tôt paix à leurs âmes- et je crois bien quelle ne sen est jamais tout à fait remise. Alors comprenez ma satisfaction si je parvenais, par delà la mort, à combler lun de ses désirs les plus précieux ! Voir sa fille mariée à un Prince.
Son regard brillant senvola et se posa sur les nues. Un soupir vint lui faire rejoindre terre. Un soupir daise, mais peut-être aussi un soupir dennui et de consternation.
Mais dites-moi, chère amie. Si jai pu croiser notre Prince de Condé à votre mariage, je ne connais pourtant rien de lui. De lhomme. Elle eut un regard entendu à lattention de la Duchesse. Le connaissez-vous ? Savez-vous ce quon dit de lui ? Et vous-même, que pouvez-vous men dire ?
Questions légitimes, sil en est, dune jeune pucelle qui dès lors simagine devant lautel aux côtés dun Prince quelle ne connait pas à la fois tellement exaltée et fébrile mais également tellement angoissée de ne pas pouvoir elle-même se faire une idée du personnage, de celui qui dans ses pensées lui passe l'anneau au doigt, tel un Guise pour sa Béatrice.
Et face à Béatrice, elle a limpression de retrouver ses dix ans, quand elle pouvait encore librement senthousiasmer de tout.