[Pendant ce temps, à Bouseux Land]
"Quand je serai grande je serai une super guerrière et tout le monde il aura peur de moi !" étaient les quelques mots qui cristallisaient son rêve d'enfance. "Ferme ta gueule et va faire à bouffer pétasse !" étaient les quelques mots de son géniteur qui cristallisaient la différence entre le rêve et la réalité.
Elle se demanda si un jour viendrait dans l'histoire de l'humanité où la femme ne paierait plus son péché de gourmandise par tout un lot de corvées plus inintéressants les unes que les autres. Qui sait, on recommanderait peut-être même de manger des pommes ? Finalement, que ce soit en Guyenne, Languedoc ou Périgueux, elle se retrouvait toujours le bec dans l'eau à se cramer la poire sous un soleil plombant pour faire un truc de merd*, au sens propre ou figuré. Elle qui se voyait déjà voler au secours du redouté tribun de Montauban, secondée par un vaillant médicastre que n'effrayait ni la tripe ni l'hémoglobine, sauvant les blessés à même le champ de bataille... Les sabots de leurs terribles chevaux de guerre soulevaient des mottes de terre larges comme des galettes bretonnes. Fière et droite sur sa jument ébène, son regard d'aigle fixait le champ de débris sans ciller, infaillible, lorsqu'elle repéra sa cible. Par ici médicastre ! Ils tournèrent bride brusquement, et traversèrent les monceaux de cadavre qui annonçaient la cruauté du combat ayant eu lieu céans. Le sire Sancte était là, couché sur le côté, une lame brisée traversant son flan gauche, sa cotte de mailles recouverte d'un sang épais alors qu'il luttait en héros avec la mort qui souhaitait fermer ses yeux quand soudain, AHA ! Ces lâches ennemis refaisaient surface, à cent contre dix, profitant de la faiblesse de leurs adversaires pour les attaquer dans le dos !
Ne craignez rien messire, je m'en vais occire ces malandrins de ma fidèle épée ! YAAAAAAAAAAAAAA !
Son bâton alla se planter dans une touffe d'herbe sur le bord de la route. Le lapin qui s'y nourrissait peinard lui lança un regard narquois avant de lui présenter la touffe blanche de son postérieur et partir dignement lapiner plus loin.
Bon, c'était pas gagné... Personne à gauche, personne à droite, elle récupéra son bien et traça sa route vite fait.
Mais le sieur Sancte avait promis de lui montrer la chasse comme la pratiquait les grands de ce monde, rien à voir sans doute avec ses petits pièges miteux qu'elle posait discrétos en hiver sur les terres de son seigneur pour agrémenter les jours de vache si maigre qu'on ne pouvait plus rien en tirer. C'est donc avec toute la bonne volonté que pouvait lui conférer sa naïveté absolue sur le bon fond du genre humain que la donzelle trainait ses guêtres à travers champs, à la recherche d'une proie apte à satisfaire l'appétit d'un guerrier diminué par l'insurmontable amputation de trois quenottes et d'une grande folle en soieries. Chercher le meilleur médicastre puis la meilleure truie... Fallait-il y voir une analogie de bon aloi ?
Par derrière chez ma tante, il y a-t'un p'tit moulin
Ce sont trois demoiselles qui vont faire moudre leur grain
Ah revenez donc tous , nous sommes des doux
Nous sommes des gars des gars des filles d'amour
Revenez au moulin, car il va l'train-train,
Car il va l'bon train mon moulin
Car il va l'bon train pour moudre
Ce sont trois demoiselles qui vont faire moudre leur grain
Moi j'ai pris la plus jeune, je la jette sur le grain
Ah revenez donc tous , nous sommes des doux
Nous sommes des gars des gars des filles d'amour
Revenez au moulin, car il va l'train-train,
Car il va l'bon train mon moulin
Car il va l'bon train pour moudre
La belle s'est endormie sur l' tic-tac du moulin
Réveillez- vous la belle car votre sac est plein !
En parlant de plein, c'était-y pas une bonne truie bien grasse que voilà ? Et son non moins gras propriétaire juste à côté ? La damoiselle stoppa des deux pieds devant la petite masure isolée en pleine pinède le temps de détailler l'animal et son propriétaire. Le regard vif, l'il brillant, la pense charnue et la peau délicatement rosée... L'animal hein, pas le propriétaire. Celui-ci était justement occupé à la nourrir d'un grain épais et riche, et releva vers elle son visage au nez écrasé recouvert de veines éclatées en toile d'araignée. Exactement ce qu'elle cherchait, le sire serait content. C'est en déployant tous les trésors de la langue et de l'accent qui mettent en confiance les vilains quand ils se retrouvent entre eux qu'elle s'adressa à lui.
Bonjorn l'Georges, combien c'est-y qu't'y vend ta grosse et tes mousserons que j'vé sous l'arbre tantôt, hé ? L'seigneur veut faire francherepue et je ferai bien grailler celle-ci au guiguet 'stoire qu'y soit content d'moué, s'r'ait bien capable de m'esmoignoner ou m'cingler à mort si j'm'acquitte point ben d'mes corvées...
Nul doute que peu de gens parmi les dignes beaux-parleurs qu'elle s'apprêtait à rejoindre eurent pu suivre ce monologue... Le gueux en revanche n'en loupa pas une miette, et c'est la mirette partagée entre méfiance et effroi qu'il considéra le freluquet bout de femme, évaluant ses dires. Elle crut bon d'ajouter, sur le ton de la confidence :
Le répète à personne, tu m'as pas l'air d'un coquebert et ton entendement va te sauver la mise : j'suis asservie par un foimenteor de sicaire du Lion... Tu sais d'quoi je jacte hein, à la nuitée y peut très bien me faer avec ses devinances, aussi si tu m'refuses la truie il deviendra ton pire tourmenteur et te viendra douloir... Parait même qu'il aurait des tendances fot-en-cul...
C'est le sourire large comme le Tarn que la belle reparti sur les chemins, une truie en laisse au poignet, un panier de champignons frais cueillis sous le bras, et trois bouteilles de bon rouge dans sa besace.
Encore une victoire de Tétard !