Samedi matin. Le Magnifique, chapeau blanc vissé sur la tête, avançait d'un pas guilleret vers la place centrale, une liasse de parchemins sous le bras. La veille, il avait placardé en quelques lieux stratégiques de la ville des affiches lapidaires. Le calendrier avait été minutieusement préparé : le dépôt de sa candidature un jour avant le début des votes, une feuille de route tripartite à la veille de son discours pour laisser le temps aux rumeurs de prendre leur essor, tout avait été stratégiquement étudié. C'est pas comme si on l'avait convaincu, jeudi soir, de présenter sa candidature, et que la suite avait suivi à l'improviste. Sur ces pensées, il se trouva être arrivé sur la grande place de la cité. Il avisa un ban de pierre qui traînait là, et commença à parler.
Mes chers combourgeois, braves Limougeauds, que le Très Haut vous bénisse !
Voici plusieurs semaines que je suis arrivé en Limousin, et presqu'autant que je vis à Limoges. Je suis venu en ce charmant pays dont on me vantait les mérites depuis fort longtemps afin de voir par moi-même ce qu'il en était ; et les choses correspondaient tant à l'image enchanteresse qu'on m'en avait dépeinte que je n'ai pu quitter cette belle cité. Mais, chers combourgeois, braves Limougeauds, je ne suis pas là pour vous conter ma vie.
Aujourd'hui, ainsi, après un temps certain passé dans cette capitale paradoxalement aussi bouillante qu'elle est morne, je souhaite faire profiter de mes connaissances et de mon expérience à la communauté. Chers combourgeois, braves Limougeauds, vous l'aurez compris : je dépose ce jour ma candidature comme bourgmestre de Limoges, dont l'élection aura lieu maintenant dans 7 jours. Dans une semaine, *vous*
-il insiste sur le vous- aureu choisi si vous voulez la routine commune ou le changement et l'innovation. Car, vous l'aurez compris, je ne me présente pas pour me présenter, bien que je le pourrais au vu de mon expérience, puisque j'ai été conseiller auprès du maire de Genève, ambassadeur plénipotentiaire de cette cité, bailli puis commissaire aux mines de la Confédération helvétique, et j'en passe. Si je me présente, c'est pour apporter à la ville quelque chose de plus.
A ce point de son discours, le grandiloquent Kartouche observera la foule -évidemment !- massée pour l'écouter et y cherchera la mairesse actuelle. S'il la trouve, il fixera ses yeux dessus, autrement il regardera en quelque tiers endroit.
Que les choses soient claires, je n'ai rien à reprocher à notre estimée bourgmestre, Dame Beulbeul. Bien au contraire, je constate avec contentement qu'elle accomplit son travail d'une manière exemplaire, que le marché est sain, que la forêt est optimalement exploitée, que les comptes sont assurément bien équilibré. Que la cité est entre de bonnes mains, pour le dire franchement. Toutefois, il manque à Limoges un petit quelque chose. Limoges est une cité remarquable, on ne peut plus vivante (il suffit de se rendre le soir dans une auberge de la cité ou du château pour s'en rendre compte) avec des personnalités remarquables, des individualités qui ont quelque chose à apporter, des gens d'une grande sagesse et d'autres d'un grand dynamisme.
Ici, il regarde le jeune Arnaut. de Malemort, qui se tient sûrement à ses côtés.
Mon programme est ambitieux. Il s'inscrit à long terme. Mon but n'est pas -seulement- de faire de Limoges une cité riche, prospère et confortable à vivre. Il est aussi -et principalement- de rendre à Limoges son rôle de capitale, au sens littéral du terme : la ville de tête. Pour cela, je vous propose une feuille de route en trois points. Il n'est, évidemment, pas une liste exhaustif des tâches que j'accomplirai en tant que maire, car il ne me semble pas pertinent de dire que je ferai tout ce qu'un maire doit faire : gérer les caisses de la ville, la protéger, entretenir les haches et valoriser la forêt, faire en sorte de conserver une économie équilibrée et un marché sain, rendre compte au conseil et à ses combourgeois, et ainsi de suite. L'essence de ce programme peut se résumer ainsi :
engagement, responsabilité, dynamisme. Sous mon égide, nous amènerons Limoges au faîte du royaume !
- Le premier point est motivé par un constat alarmant. Le comté du Limousin est fréquemment en alerte, ces derniers mois. Comme le seigneur qui doit aide à son suzerain, le bourgeois doit protection à la cité. Pour concrétiser ce devoir moral et dans le but d'être prêt à défendre la ville contre quelqu'attaque venue de l'extérieur, nous instituerons le service d'ost, obligatoire pour tout habitant de Limoges. Tous les gens possédant terre, échoppe ou hôtel particulier devront se mettre à disposition de la défense de la cité et se faire recenser. Il y aura naturellement des exceptions ; les femmes, les vieillards et les prêtres ne peuvent malheureusement porter les armes, et ils seraient plus dangereux sur les murs que bien au chaud dans une auberge.
Celui qui y dérogera paiera une taxe -ou, plus exactement, celui qui y sera inscrit verra cette taxe remboursée- et ne sera pas bourgeois à part entière. Autrement dit, il ne pourra siéger à l'assemblée de ville -j'y reviens dans la deuxième partie du programme-, pas plus qu'il ne pourra prétendre à profiter de tous les services municipaux, par exemple en terme de marchandises à prix préférentiel ou de loterie.
Le recensé sera formé aux techniques de la défense moderne. Il apprendra à monter sur les remparts, veiller toute la nuit et contrôler les gens entrant dans la ville. L'équipement des soldats de l'ost sera financé par la municipalité, dans la mesure des possibilités offertes par la taxation des gens évitant le service. A intervalle régulier, les ostiens seront employés à la défense de la cité, et recevront une solde équivalent au salaire des miliciens, si ce n'est supérieure. Si la ville est menacée, l'ost permettra -par le biais d'une série de précédures simples, efficaces et transparentes- une mobilisation rapide des toutes les forces pouvant participer à la défense de la ville.
- La deuxième chose, je le confesse, est moins ambitieuse. Mais c'est un symbole qui s'inscrit dans la même veine de responsabilisation collective, dans le même but de profiter des compétences et des initiatives de chacun. Le commerce, c'est l'avenir ; il nous faut anticiper cet avenir proche où, probablement, nous aurons plus grande latitude, cet avenir hanséatique qui nous promet des potentialités commerciales décuplées, de sorte à pouvoir profiter au mieux de tout cela.
D'ordinaire, lorsqu'il s'agit de commerce, les autorités d'une cité concluent un contrat avec un bourg de la région, puis mandatent un marchand pour cette mission bien précise. Une telle manière de faire, si elle est efficace, me semble pouvoir être améliorée. La gestion du commerce reposera à l'avenir sur ceux qui voyagent, sur ces marchands qui ont de larges réseaux. La cité leur avancera des fonds, et ils auront toute latitude pour faire prospérer ce pécule, en partenariat avec la cité. Naturellement, cela ne veut pas dire que nous délaisserons tout le volet commercial ; nous continuerons à trouver des arrangements avec nos voisins. Mais afin de dynamiser les choses, nous souhaitons permettre à ceux qui le désirent de de faire profiter la cité de leur expertise et de leurs liens.
Le second point de ce programme consiste ainsi à libéraliser l'économie, à faire reposer le commerce limougeaud dans les mains de ceux qui souhaitent s'y investir, en leur laissant de grande liberté. Car la liberté est ce qui guide l'homme, mes chers combourgeois !
Le loquace Kartouche s'arrête quelques instants. Il se baisse et, de sa besace, tire une fiole. De l'Armagnac, ha !
- Le troisième élément se place au-dessus des deux premiers. Dans son essence, il est la jonction des idées qui sous-tendent aux deux précédentes propositions. Il est à la fois renforcement des mécanismes civiques et responsabilisation des bourgeois de la cité. Nous instituerons, une fois élus, une assemblée de ville, que l'on pourra nommer «conseil des bourgeois», par exemple. Comme ce nom l'indique, y siégeront automatiquement les bourgeois de la cité, c'est à dire ceux qui sont recensés dans l'ost. Les seuls, les vrais !
Pour rester simple, les prérogatives de cette assemblée de village, réunie en permanence, seront celles qu'a le bourgmestre aujourd'hui en matière de législation, et de décisions à long terme. Elle sera par exemple chargée d'avaliser d'éventuelles levées d'impôts, des accords de coopération économique avec nos voisins, ou des modifications au sein des fonctionnaires de la cité. D'autre part, le maire -moi, autrement dit- devra lui rendre compte régulièrement de son action. La première tâche de cette assemblée sera de concrétiser l'ost et le recensement des bourgeois. Ensuite, elle pourra légiférer à sa guise...
Et puis, pour ne pas déroger à la règle, on organisera des loteries, on fera plein d'animations, on vendra des miches à deux écus aux plus démunis et on fera venir un curé pour avoir la boulasse.